Déposition - 2

4 minutes de lecture

25 ans auparavant

Elle sort du lycée ravie. Elle est toujours la première de sa classe. Elle peut avancer la tête haute. Un jour, elle partira; elle sera libre. Le bruit du moteur du bus la tire de ses pensées. Elle court tout en sachant qu'il est trop tard. Le bus n'attend jamais. Elle doit rentrer à pied. Elle sera en retard. Une pluie fine se met à tomber. Elle arrive chez elle, trempée, tremblante de froid. Pas encore de peur. Elle a laissé une bouteille de whisky sur l'évier ce matin. S’il est rentré tôt, il l'a déjà vidé et dort avachi devant la télé. Le silence quand elle passe la porte la cueille. Pas de bruit de fond de la télé. Son père allume et la regarde. Il s'écarte et lui fait signe de monter. Sans broncher, elle s'approche, passe devant lui la peur au ventre. Elle sent son regard sur son dos. Aucun cri. Aucun coup. Elle se dépêche de se changer pour préparer le dîner. La porte claque contre le mur. Son père la regarde en sous-vêtements. Puis fait sauter le bouton de son pantalon.

« Tu es assez grande maintenant. »

Après d’interminables minutes, il s'assied et la regarde avec un air implacable.

« Tu croyais quoi? Que tu partirais? Je t'ai marquée. Tu es à moi. Jusqu'au bout. Tu remplaceras ta mère dans toutes ses corvées maintenant. »

**

14 aout 2013 – Dijon

Les flics n'essayèrent pas de m'interrompre. Ils avaient été bien formés. Je crachais tout, je vomissais cette histoire.

« La première sensation dont je me souviens est le froid. Puis la nausée. Je vomis sur un sol en béton. Et là, l’inconnu m'envahit. Je ne savais pas où j'étais. Groggy, je regardais autour de moi sans comprendre. J’étais dans une cellule. Je le vis tout de suite ainsi. Une pièce étroite, sans fenêtre, avec un lit en bois qui avait connu des jours meilleurs. Je tentais de me rappeler comment j'avais atterri là. Un bar, des rires, quelques verres puis plus rien. GHB. Terrifiée, je m'examinais en quête de signes d'agression sexuelle. Pas moi, pitié, pas moi, murmurai-je. Mon souffle ralentit un peu. Aucune marque, aucune douleur. J'étais intacte. Pour l'instant. Je me levais pour examiner la pièce. Les murs étaient lisses à l'exception d'une niche dans le mur. Elle contenait un pantalon, un pull et un tablier de grand-mère. Tous gris.

A ce moment, mon cerveau switcha: "où est mon portable?" avant de se rappeler. J'étais enfermée. Il aurait été trop bête de me laisser mon portable. Ma montre et mes bijoux m'avaient également été retirés.

—Mets-toi contre le mur, me dit une voix de femme, je vais te déposer à manger.

Ce fut trop. Je me mis à hurler:

—Non! Je ne veux pas manger! Je veux sortir! Faites-moi sortir!

Les pas s'éloignèrent. Je crois que plus d'un jour s'écoula. A un moment, l'odeur de vomi me submergea et je jetai le tablier dessus pour ramasser ma bile. Quand la porte s'entrouvrit, j'étais trop faible pour réagir.

**

Six mois plus tôt

— Hé! Qu'est-ce que tu fais là?

Et une bise appuyée à la commissure des lèvres.

—Tiens donc, c'est une surprise. Je suis chez ma pote. Et toi? M’enquis-je avec un regard désabusée vers celle-ci.

—Euh, moi aussi. Camille m'a gentiment invité.

Ah! Camille, mon antonyme en apparence. Grande alors que je suis petite, posée voire effacée ce que je n'ai jamais été (quatre grand frères imposent de s’affirmer), aussi blanche et blonde que je suis noire et noire. Je l'adore et ne peux lui en vouloir d'avoir invité ce lourdaud d’Idriss. Je ne lui ai pas parlé depuis son retard à la réunion de labo. Belle partie de jambes en l'air mais finalement pas d'atomes crochus. Et puis comme Camille me le glisserait bien plus tard, m’arrachant des gloussements en des lieux plus lugubres: «il décorait bien les lieux» avec sa silhouette musclée juste qu'il faut et ses yeux verts illuminant sa peau mate. Dommage qu'il soit...lui.

Le gluon s’attacha à mes pas une dizaine de minutes jusqu'à ce que je lui jette la Mygale dans les pattes. Cette fille était connue pour quêter le prince charmant et ficeler tout potentiel prince avec l'efficacité d'une araignée. Ses collants rayés jaunes et noirs lors du séminaire des doctorants avaient aboutis à ce délicat surnom. Lui avais-je glissé qu'il la trouvait charmante? Tout à fait. Trop de boulot en thèse pour saborder une de mes rares soirées de liberté, et la première soirée organisée par Camille à laquelle j'arrive à participer avec mes allers-retours vers le Sud pour voir mes parents. Liberté! Je pouvais me lâcher. Camille veillerait au grain. Aucun garçon ne se permettrait un geste déplacé en sa présence. Ils la trouvaient tous douce et posée, sauf qu'aucun ne mouftait lorsqu'elle coulait un regard froid en remontant ses lunettes rondes. Ils ignoraient tout d'elle. Moi-même j'en savais si peu, pensais-je juste avant d'être happée par les premières notes du tube du moment.

**

Commissariat

« Je peux dire avec certitude qu'elle est morte par ma faute. Elle n'était pas prévue au programme. Pas le profil, pas du premier coup d’œil en tout cas. Mauvais endroit, mauvaise personne. Nous allions juste boire un verre au Stadium Bar en rentrant du ciné. Un de mes rituels. Tous les mercredis je choisissais un film nouvellement sorti dans mon cinéma de quartier. Ma grande récréation de la semaine entre le labo, l'étude de la biblio et la rédaction des protocoles ou comptes rendus pour le lendemain. Une thèse c'est comme entrer au séminaire. En terme d'assiduité aux études bien sûr, pas en terme de chasteté. C'était notre discussion ce jour-là, avant le vide et mon réveil, enfermée.

Je rentrais dans un cycle maniaco-dépressif ou plutôt boulimie-agressif. Je me jetai sur la nourriture dès que la porte s'ouvrait et invectivai copieusement la terre entière lorsque j'avais le ventre plein, avant de pleurer. Puis un jour, impossible de savoir au bout de combien de temps, je redevins calme. Et déterminée.

La femme en burqa qui me nourrissait parla ce jour-là: «Les tests commenceront demain».

Le lendemain et pendant quatre mois, je devins un rat de laboratoire et aucun comité d'éthique n'aurait approuvé ces tests.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire Lisa.D ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0