Bribes d'elles

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14 aout 2013 – Dijon

D’abord ce fut difficile. Tant de silence. Puis un mot, un autre. Un filet de mots devint une avalanche. Pour dire le silence, pour dire ces voix qui se sont tues. Maryem, Angélique, Camille, d’autres sans nom. De vraies personnes que nul n’avait recherchées ou sues trouver. Mes compagnes de cauchemar.

***

11 ans plus tôt

Maryem était la première de sa famille à entrer à l’université. Son père n’en comprenait pas l’intérêt tout en tirant fierté de la réaction de ses amis ou voisins lorsqu’il mentionnait que « sa grande allait à la fac de médecine ». Maryem ne voulait pas être médecin. « Juste » kiné. Et pour se préparer au concours, elle s’était dit que la médecine serait un beau challenge. Et bien plus simple à expliquer à son père.

Sa mère les ayant quittés à la naissance du troisième fils, elle était un peu la mère de substitutions de tous ces garçons. Ses frères en plein âge bête avaient suggéré à son père que la place d’une fille était à la maison. Maryem lui avait présenté un planning établi avec ses voisines et amies pour l’ensemble des tâches à répartir. Ses frères étaient également mis à contribution. Le paternel, moins conservateur qu’il n’y paraissait, donna son assentiment après une nuit de cogitation. Bien conscient que sa fille quitterait le domicile familial d’ici quelques années, il approuvait que ses fils puissent prendre la relève en cuisine comme à la buanderie. Lui ramenait l’argent ; c’était son travail de maître de la famille.

Maryem fit de nombreuses rencontres lors du premier trimestre, s’épanouit sous les cernes du labeur imposé par les études grâce aux moments partagés avec les autres étudiants. Sa disparition ne passa pas inaperçue. Son père remua ciel et terre. Les élèves et professeurs assurèrent aux policiers que la jeune femme était assidue et prometteuse. Aucun n’avait noté de changement d’attitude ou de personne lui tournant autour. Sans aucune piste permettant de conclure à un enlèvement, la police finit par statuer sur un départ volontaire de la jeune femme, en s’appuyant sur un mail qui indiquait qu’elle pensait sérieusement quitter la région et l’achat d’un aller-simple pour Dijon. Les petits frères, sur qui retombèrent les corvées féminines, répandirent des rumeurs de laxisme paternel et d’émancipation de femme indisciplinée. Le père sentit la communauté se détourner de lui. Il enferma sa douleur et continua de travailler pour ses fils. Personne ne se demanda pourquoi ce billet aller-simple n’avait jamais été utilisé.

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