Chapitre 9 - Déboussolée

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“T’es sûre de pas convaincre ton copain ?” demande Longuevue.

“Déjà c’est pas mon copain, c’est mon partenaire, comme toi et Facteur.” rétorque Alizée excédée.

“Vous êtes toujours l’un sur l’autre : on croirait des siamois. Tu m’avais dit qu’il serait avec nous, et là tu me dis le contraire. Je vais encore passer pour le briseur d’ambiance de votre colo de vacance. ”

“On dirait que ça te gêne maintenant ?”

“Evidemment que non, mais s’il vient à reculons et qu’il traîne des pieds, nos efforts auront servi à rien. J’ai Facteur qui m’attends pour descendre la lentille. S’il le faut, faudra aussi s’occuper de Pégasus et je compte sur toi.”

Alizée pose sa main sur le bras de Longuevue.

“Attends Longuevue, tu veux dire quoi par s’occuper ?”

Elle voit dans le regard de Longuevue les années d’expérience en pillage. Dans ce regard elle voit que pour Longuevue ce n’est qu’une conséquence. Il l’a fait et le refera :

“Le tuer. Il va probablement résister s'il nous prend en flagrant délit. Donc suivons le plan et t'auras la conscience tranquille.”

Longuevue se dégage de l’emprise d’Alizée et se dirige vers le télescope. Alizée reste quelques secondes seule avant que Saule la rejoigne. Il se penche vers elle et fait un petit mouvement de main devant ses yeux :

“Alizée ? Je comprends pas, t’es la première à soutenir Indigo et là tu laisses tomber. Je comprends pas.”

“J’ai pas à te répondre, j’ai mes raisons. Et c’est toi qui oublis l’objectif. Vous n’auriez jamais dû ramener Indigo, il sera qu’un poids mort pour tout le groupe. La mission avant tout.”

Saule recule de quelque pas, les yeux ronds. Incrédule, il répond :

“On croirait Longuevue qui parle. Je te reconnais pas.”

“C’est peut être parce que tu ne nous connais pas Saule. Personne ne se connait dans cette équipe malgré les mois de randonnées. Donc, tu vas être gentil et t’occuper de ton petit chef. S’il ne se réveille pas très vite, on part sans lui.”

Saule encaisse les coups en reculant. Alizée sait qu’en aboyant assez fort, Saule arrêterait de la pousser. Elle gère mal cette pression. Tant pis s’ils ne sont plus amis, elle veut éviter les ennuis pour Mistral. Saule se rapproche de la porte et avant de sortir de la pièce il lance :

“Mistral a demandé du temps pour y réfléchir. Donc même ce statu quo me va.”

Cette journée s’écoula étrangement : chaque membre de l’équipe réarrangea ses affaires, recomposa ses rations, vérifia ses masques et ses combinaisons. Certains raccommodaient, les autres vérifiaient s’ils ne trouvaient rien d’intéressant dans les décombres de l’observatoire. Tout cela sous le regard amusé de Pégasus. Alizée, passa la journée à essayer de remettre la main sur Mistral mais sans y parvenir. Il était aussi insaisissable qu’un coup de vent et lorsqu’elle réussit enfin à le croiser, Pégasus intervint : 

“Ma chère Alizée, je n’ai pas eû l’occasion de discuter avec vous. Votre compère m’a pourtant dit beaucoup de bien.”

“Laissez moi tranquille, je cherche justement à lui parler.”

Alizée tente de contourner Pégasus qui se met sur son chemin.

“J’insiste, quelques instants. C’est peut être la dernière fois que je reçois chez moi. Vous pouvez bien faire ça pour un vieil homme ?”

Pégasus tends sa main vers deux chaises. Alizée s’installe et le vieil homme lui fait un grand sourire.

“Votre ami subit un grand conflit intérieur. J’ai le sentiment que d’habitude vous êtes son phare et aujourd’hui vous ne semblez pas le guider.”

“Nos affaires ne vous regardent pas.”

“Je le sais bien, mais vous êtes chez moi. Alors j’aimerais bien un petit effort de votre part. Par ailleurs, si vous abandonnez votre camarade, j’aimerais au moins m’assurer que vous lui ferez une tombe. C’est que je n’ai plus l’âge pour enterrer un inconnu.”

“Mais il est encore vivant.”

“Si vous l’abandonnez avec moi, il va mourir. Je ne suis pas un meurtrier et j’aimerais bien continuer à ne pas l’être. Mais voyez vous, je sens que votre désir de partir peut se régler par le soucis que vous apportez au pas de ma porte… Je vous laisse y réfléchir... Je comprends mieux pourquoi votre ami est perdu, vous l’êtes tout autant.”

Pégasus attends une réponse qui ne vient pas. Il se penche, tapote gentiment le genou d'Alizée puis met un pic dans sa main. Après quelques secondes et ne voyant pas de réponse, il hoche la tête, tape dans ses mains puis se lève et quitte la pièce.

En début de soirée, tous se retrouvent autour du feu. Alizée voit que Pégasus explique à Mistral qu'à cause du ciel voilé ils ne verront rien ce soir. Facteur et Longuevue chuchotent assis sur des paquetages. Lyla et Saule préparent le repas tandis que Bell reste stoïque à côté d’Indigo. Elle sentait le pic dans sa botte. Ce camp était très différent de celui qu’ils avaient établi il y a quelques jours. Les rires étaient remplacés par des murmures et les regards joyeux par des regards en coin. Ils se jugeaient tous à présent. Elle vit que Facteur lui faisait un signe pour les rejoindre.

“Alors Mimi est avec nous ?”

“J’ai besoin de temps.” réponds Alizée.

“Désolé Ali’, mais c’est ce soir qu’on lève le camp.”

Longuevue compléta :

“On a démonté la lentille et j’aimerais bien que Pégasus ne nous complique notre affaire. Avec ce ciel couvert il ne se rendra pas compte de l’absence de la lentille.”

“T’entends ça Ali’ ? Le grand méchant Longuevue a un coeur maintenant. Il épargne les vieillards. Bref, assure avec Mimi, prépare lui son sac, car la rentrée à l’école c’est ce soir à 2h00 pile. Dehors.”

Les trois alpinistes regardèrent Mistral pendant un moment. Facteur, brisa le silence :

“Tu nous a préparé quoi de bon Saule ?”

Au milieu de la nuit, Alizée se réveille légèrement déboussolée. Elle voit que les affaires de Facteur et Longuevue ont déjà disparu. Elle entends les respirations régulières de Lyla et de Saule depuis leur tente. Bell semble calme dans une position légèrement assise contre un mur. En passant sa main devant son masque, Alizée ne constate aucune réaction. Pégasus semble s’être terré dans son nid quelque part dans l’observatoire. Il reste Indigo.

Alizée se rapproche d’Indigo et entends son souffle. Il semble juste assoupi. Elle le secoue sans réaction de sa part. Alizée récupère le pic dans sa botte et lève l’objet au dessus d’Indigo. Alizée n’entend que son propre coeur battre à tout rompre dans ses oreilles. Elle vise la poitrine de son chef puis lève le pic. Un geste efficace, comme ça pas de souffrance et ils pourront tous partir. Elle pourra sûrement convaincre Facteur et Longuevue d'attendre les autres. Les autres... ils la haïront mais au moins ils seront ensemble. Ils auront besoin d’elle pour rentrer. Après, si elle est bannie, elle aura sauvé Mistral et l’équipe. Elle inspire, puis expire, puis inspire lentement. Sa main tremble, elle n’y arrive pas.

“Tu fais quoi Alizée ?”

C’est Mistral murmurant et inquiet. Surprise, elle faillit lâcher le pic. Il se rapproche d’Alizée les mains en évidence. D’une main, elle l’arrête :

“T’approche plus Mistral. On p-part maintenant. Facteur, Longuevue, toi et moi. Sinon... sinon, je… je le tue. Et ça sera ta faute.”

“Merde non. Tu peux pas faire ça Alizée. Tu m’as promis qu’on s’en sortirait. Tu vas pas le blesser quand même ?”

“J’ai pas trouvé de meilleur plan. S’il se réveille t’es banni. S’il meurt, on rentre tous et t’es sauf. Allez prends ton sac et sors, t'es pas obligé de voir ça.”

Pendant quelques secondes de silence, Alizée voit Mistral réfléchir à toute vitesse.

“Bordel Alizée, si tu fais ça, c’est toi qui sera bannie. Tu peux pas tuer Indigo. Tu ne dois pas le tuer.”

“Ah ouais ? T’aurais dû te décider plus tôt. Mistral... c’est trop tard maintenant.”

Alizée releva sa main tenant le pic prête à frapper. Elle ferma les yeux.

“Attends ! Attends ! C’est bon je viens. Ne le tue pas. Regarde, je prends mon sac. Tu le laisses vivre. T'es pas une tueuse, je ne veux pas que tu en sois une. S'il te plaît, vient ?”

Mistral range son sac de couchage rapidement, puis le clipse à son sac à dos. Il se dirige vers la porte à pas de loup tout en gardant ses mains bien visible. Inquiet il lance à voix basse :

“Allez, tu viens maintenant ? S’il te plaît ?”

Alizée et Mistral rejoignirent Facteur et Longuevue qui les accueillirent d’un hochement de tête. Ils chargèrent la lentille puis entamèrent à quatre une descente de la montagne.

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