Grenadier Café, High Park TORONTO, 13 Juillet 2026.

J’ai passé la semaine à commencer la rédaction de leur histoire, en la romançant pour en faire l’aventure sentimentale d’un amour impossible.

J’attendais avec impatience mon rendez-vous avec Emmanuelle.

Elle est arrivée en retard, comme la fois précédente, mais cette fois, elle était souriante.

Après les salutations d’usage, elle est entrée dans le vif du sujet.

- Vous avez de ses nouvelles ? Il a répondu ?

- Oui, je lui ai transmis votre adresse mail, il vous contactera. Tout comme vous, il m’a fait comprendre que la suite ne me regardait pas.

- Je le reconnait bien là. Merci.

- Je ne vais pas vous cacher que ça m’ennuie, mais je comprends vos points de vue. C’est dommage, ça aurait étoffé mon histoire.

- Vous aurez l’histoire que vous vouliez. N’en demandez pas trop, vous pourriez ne pas avoir la suite.

Malgré la fermeté du ton, elle gardait le sourire.

- Si vous me disiez quel chapitre vous voulez aborder aujourd’hui ? Mon anniversaire, ça vous tente ? C’était une très belle journée.

- Eh bien, je voulais garder ce passage pour notre dernière rencontre. Aujourd’hui, je voulais que vous commentiez la page 10 du carnet.

Elle prit le carnet dans son sac à main et l’ouvrit. Je vis son visage s’assombrir à mesure qu’elle découvrait ce qui était écrit.

Comme convenu, elle se mit à lire à haute voix. Une voix morte, triste. Et quand elle eut fini, quand ses yeux revinrent croiser les miens, elle pleurait.

- Pourquoi avoir choisi cet épisode ?

- C’est un passage important de votre histoire. J’aimerais avoir votre point de vue.

- C’est aussi un passage triste. Pour lui comme pour moi. Est-ce vraiment intéressant ?

- Il n’a pas énormément développé ce passage. J’espérais que vous m’en diriez un peu plus.

- Soit, comme vous voulez.

C’est d’une voix terne, éteinte qu’elle m’a expliqué qu’il s’était passé de son côté.

- A cette époque, j’ai pris peur. J’ai eu peur de moi, de ce que j’aurais été capable de faire pour lui.

Je passais énormément de temps avec lui, à attendre ses mails, à lui répondre, à penser à lui, à nous. Ca influait beaucoup sur ma vie. Sur mon travail, même en présence de mes élèves. Sur mon couple.

A ce moment de notre histoire, j’aurais pu tout quitter s’il me l’avait demandé. Et je ne le voulais pas.

Des problèmes familiaux sont venus se greffer là-dessus. J’ai préféré mettre de la distance entre nous.

- Vous pensiez à lui ?

- Oui bien sûr. Mais j’étais réellement occupée à reprendre ma vie en mains. Et puis, ses réactions m’ont elles aussi effrayé.

- Et pourtant, vous vous êtes revus en novembre de la même année. Qui de vous deux a repris contact ?

- Il n’a jamais vraiment cessé d’écrire. Sans savoir si je lisais ou pas. C’est un point très marquant chez lui, cette capacité à ne jamais perdre espoir. Et puis, un peu plus d’un mois plus tard, j’ai répondu. Et de fil en aiguille, nous nous sommes expliqués, retrouvés.

- Vous êtes même allés jusqu’à maintenir votre rendez-vous de novembre.

- Oui, et ça a été un instant magique. Je ne regrette rien.

L’évocation de leur rencontre de novembre 2019 lui redonne un semblant de sourire malgré les larmes qui continuent à couler sur ses joues.

- J’avais fait le point dans ma vie. Et j’avais accepté, comme lui, que nous ne serions jamais rien d’autre que des amants occasionnels. J’avais accepté l’idée de pouvoir aimé deux hommes. Je laissais plus de place à ma vie réelle, celle de tous les jours.

- Vous voulez bien me parler de cette troisième rencontre ?

- On a dit un épisode à chaque fois, vous devez respecter les règles. Vous avez choisi celui d’aujourd’hui, on ne parlera pas d’autre chose. En plus, je n’ai pas grand-chose de plus à rajouter à ce qu’il a écrit dans le carnet.

- Vous l’avez donc lu ?

- Pas en entier.

- Vous connaissez les raisons son départ ?

- Non, j’en parlerais avec lui s’il me contacte. Je dois partir, on se revoit dans une semaine.