Homme qui rit à moitié dans son lit

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Nous nous vîmes le lendemain. Je trouvais cela assez précipité mais je fus bien contente d’avoir ce petit dérivatif qui m’aidait à supporter les contraintes du quotidien. Autant dire que la matinée fut longue. Je rongeais mon frein. J’avais préparé la veille une nouvelle tenue que j’espérais convenir pour l’occasion : chemisier cache-cœur à volants, pantalon cigarette, escarpins beiges, que je pris soin une fois encore de dissimuler dans une housse d’ordinateur. Je mis le tout dans un sac de courses. Mon mari ronflait tellement que je savais que je ne serai pas dérangée pendant cette délicate opération. Lorsque nous nous étions quittés, à la porte de la galerie, à la fin du vernissage, Sébastien m’avait proposé :

  • Alors, d’accord pour demain midi ?
  • Parfait, balbutiai-je, ravie.

Je faisais tout pour ne pas montrer ma joie, mais intérieurement, j’exultais. Il me précisa par texto l’adresse du restaurant dans la matinée, j’avais d’ailleurs sursauté malgré moi en entendant le bip signalant l’arrivée du message. J’espérais que ma collègue de bureau ne verrait pas la rougeur soudaine sur mes joues qui n’avait pas manqué d’apparaître. Moi, au restaurant, avec un directeur de galerie ? Je n’en revenais toujours pas. Comme je n’étais pas véhiculée, je passai du temps à essayer de visualiser le plan des transports urbains afin de trouver la ligne qui m’y amènerait à coup sûr.

Le restaurant se trouvait 74 allée d’Iéna, un quartier que je ne connaissais pas, assez éloigné de mon lieu de travail. C’était parfait. Je me délectais les papilles à l’avance, car «Chez Norbert», la spécialité était la viande, et j’avoue que je ne boudais pas mon plaisir de goûter à ces plats, j’en oubliais presque l’homme avec lequel je m’y rendais. Il faut dire que j’aime autant la viande que les hommes. Toutes les informations que je trouvai sur internet me confirmèrent que j allais passer un bon moment. Heureusement que j’avais pris mon après midi !

Midi sonna au clocher voisin, je laissai en plan la pile de fiches d’inscriptions qui attendrait jusqu’au lendemain pour être traitée et filait vers la sortie, non sans avoir dit bien fort à ma collègue :

  • À demain, Danièle, dis-je d’un air un peu trop guilleret.

Jamais je n’avais pris ce ton pour lui parler. Elle me dévisagea de ses yeux de chouette effarouchée. Je pensais qu’elle allait rouspéter, mais elle n’en fit rien et me souhaita une bonne soirée. Pendant le trajet en bus qui dura dix minutes, je ne cessais de me répéter des phrases toutes prêtes pour répondre à ses éventuelles questions.

  • Si je suis mariée ? Oui.
  • Avais-je fait des études ? Juste celles qui me destinaient à mon métier actuel.
  • Étais-je native de Carcassonne ? Oui.

Mes parents, toujours vaillants malgré leurs soixante et un ans, étaient les heureux organisateurs du festival d’été. Ils continuaient à proposer un programme musical de qualité qui attirait toujours plus de monde chaque année.

Situé dans une rue assez bruyante, coincé entre une agence immobilière et une rôtisserie, non loin de la distillerie Cabanel, le restaurant ne payait pas de mine au premier abord, mais l’intérieur chaleureux et la gouaille du patron achevèrent de me convaincre. Sébastien était déjà attablé dans une encoignure. J’étais en retard de cinq bonnes minutes, je prétextai un coup de fil urgent au travail qui m’avait retenue plus longtemps que prévu.

  • Nous avons tout notre temps pour discuter, dit-il, prendrez-vous un apéritif ?
  • Un kir, ce sera parfait.

Lui commanda un whisky.

  • Savez-vous que grâce à vous j’ai fait une excellente vente ? Avouez, vous n’aviez pas l’intention de l’acheter ?
  • Heu…non, en effet, je ne sais pas ce qui m’a pris. Mes mots ont dépassé ma pensée. Ma spontanéité est mon plus grand défaut. Je fonce sans réfléchir.
  • Je comprends, faites attention tout de même car vous mettez les pieds dans un milieu particulièrement friqué, peuplé de requins. Le mieux est d’observer d’abord, pour comprendre tous les enjeux, et si vous n’avez pas d’importantes sommes de cash à investir dans l’art, tournez-vous plutôt vers les reproductions, moins onéreuses.
  • Vous avez raison, mon comportement était stupide.
  • Regardez donc un peu la carte des plats, j’espère que vous aimez la viande.
  • En général, au début de l’hiver je cuisine un bon pot-au-feu, mon plat préféré, mais je vais certainement trouver un plat qui me convient.
  • Je vous conseille la pata negra, c’est un délice.
  • Je me laisse guider, je ne connais pas, et mieux vaut éviter un plat en sauce. Je me suis promis de faire un peu attention, j’ai tendance à trop apprécier la nourriture, si vous voyez ce que je veux dire.
  • Vous pouvez vous faire plaisir de temps en temps tout de même, moi je préfère quelqu’un qui aime la bonne chère aux personnes qui comptent la moindre calorie. Vous savez, il y a beaucoup d’hommes qui aiment les femmes qui ont des formes.

J’étais à la fois gênée et flattée qu’il aborde si directement ce sujet, il avait l’air d’avoir de l’expérience en la matière. Ce qui ne me déplaisait pas. Je le trouvais encore plus séduisant que la veille. Il portait un polo bleu assorti à ses yeux. Nous trinquâmes en l’honneur de cette surprenante vente réalisée si facilement. J’étais soulagée de n’avoir rien à débourser, et j’avais gagné une nouvelle relation. Je ne croyais pas à l’amitié homme-femme, je pensais qu’il y avait toujours un rapport de séduction entre les sexes opposés, même si des deux côtés chacun pensait «Il ne peut rien y avoir entre nous».

  • La question personnelle à laquelle je m’attendais arriva au moment où les assiettes garnies de pata negra furent déposées sur la table. L’odeur du jambon s’instilla jusqu’à mes narines, délicieusement titillées par cet arôme.
  • Oui, je suis mariée depuis dix ans, et vous ?
  • Non, je n’ai pas le temps de m’y consacrer, mon travail me prend aussi mes week-end, je voyage souvent. Impossible d’envisager la stabilité en ce qui me concerne. J’ai eu quelques aventures sans lendemain. Les filles sont souvent attirées par le train de vie confortable que je pourrais leur offrir. J’aimerais être aimé en tant que personne.
  • Je comprends, vous vous méfiez des femmes qui cherchent un portefeuille bien garni plutôt qu’un homme aimant. C’est difficile. De nos jours, le paraître a pris le pas sur le bien-être.
  • Tout à fait, mais mon métier me procure ce confort que tout le monde cherche . Les gens ne savent pas si pour autant je suis heureux. Je vois que vous avez fini votre assiette, vous semblez avoir apprécié !
  • Oui, comme je vous ai dit, mieux vaut m’emmener au cinéma qu’au restaurant !
  • Pourquoi cette fascination pour le pot-au-feu ?
  • C’est un plat parfait pour l’hiver, il revigore, la viande mijotée avec les légumes a un fumet sans égal et elle est attendrie grâce à eux. De plus, il a toujours été présent dans nos repas familiaux depuis cinq générations. Et dans notre famille, on s’y connaît en bons petits plats !
  • Chaque famille a en effet un plat de référence, moi ce sont plutôt les chipirons, car je suis d’origine basque. Mais cela ne se voit pas, je suis le seul de la famille à avoir les yeux bleus, personne ne sait pourquoi.

Soudain il consulta sa montre.

  • Déjà 13h30 ! Il faut que je file, j’ai un rendez-vous dans une demi-heure. Que diriez-vous d’un café gourmand pour finir ?
  • Oui bien sûr, je ne veux pas vous mettre en retard.
  • J’espère qu’on se reverra. Il posa sa main sur la mienne. Je vous sens triste.
  • Oui, je suis en plein questionnement en ce moment. J’ai trente ans et la vie que je mène ne me plaît pas vraiment. J’aspire à autre chose. Mais je ne sais pas comment on s’y prend pour changer de vie.
  • C’est simple et compliqué à la fois, dit-il d’un ton mystérieux. Moi j’ai trente-neuf ans et je veux profiter des plaisirs de la vie. N’êtes-vous pas d’accord ?
  • Oui, bien sûr, c’est ce qu’il faut faire, répondis-je d’une voix peu convaincante.

Était-il en train de me faire une proposition ? J’étais en train de rêver.

Je pris mon bus, lui sa voiture, nos chemins se séparèrent. Je ne savais pas quand je le reverrais. C’est à ce moment-là que je reçus le fameux texto. Ma tête disait non, mon cœur disait oui. J’étais en plein dilemme.

Évidemment mon corps tout entier rêvait de cette aventure interdite, car l’inconnu m’attirait, ce bel éphèbe correspondait à ce qu’au fond de moi je recherchais depuis longtemps. Un homme séduisant, libre, qui aime mon corps tel qu’il est. Épicure n’a-t-il pas dit : «Hâtons-nous de succomber à la tentation de peur qu’elle ne s’éloigne»? Il faut profiter des bons moments lorsque l’occasion se présente. Ce que j’allais faire était immoral mais j’étais en train de vivre ce que bon nombre de femmes aimeraient faire, amorcer un changement de vie, un virage dans sa vie personnelle, et là cela impliquait que je trompe mon mari.

Moi qui abhorrais l’adultère, j’allais me jeter dans les bras d’un homme que je connaissais à peine, au risque de foutre en l’air ma vie conjugale. Je n’avais pas peur de passer ce cap. Il m’offrait juste une après-midi douce et différente de mon quotidien insipide. Qui refuserait ?

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