Stupeur et tremblements

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Il avait choisi un hôtel très chic, en périphérie de Carcassonne, l’auberge du Val fleuri, un domaine d’une dizaine d’hectares, niché dans la nature, auquel on accédait après avoir parcouru une longue allée ombragée, cernée de haies parfaitement taillées.

Quand on arrivait, un bassin rond en pierre agrémenté de roseaux et de nymphéas ajoutait une touche de couleur à cette immense bâtisse datant sans doute du 18ᵉ siècle. Elle était imposante, impressionnante, de part sa hauteur et le gigantesque escalier qu’on devait gravir pour accéder à l’entrée magnifiait l’ensemble. Je ne m’étais jamais rendue dans cet endroit dont on m’avait vanté les qualités, mais je savais que mes moyens ne me permettaient pas de m’offrir une seule nuit dans cet établissement prestigieux.

J’essayais de marcher de façon élégante malgré mes chaussures étroites qui me faisaient souffrir, j’avais l’impression de ne pas être à ma place.

Je croisai un couple tout de blanc vêtu, la femme portait un chapeau aux bords dorés, l’homme transportait une valise et une mallette. Je me sentais gauche, la belle dame ne me regardait-elle pas d’un drôle d’air ?

Je signalai à la réceptionniste que j’étais attendue par Sébastien Le Drian, lequel devait être connu car elle m’indiqua aussitôt le numéro de la chambre. Mon cœur battait la chamade, mes jambes flageolaient, mon cerveau était embrouillé. Je réajustai mon chemisier à volants qui avait tendance à dévoiler plus que ce que je voulais qu’on entrevoit, mes escarpins étroits comprimaient horriblement mes pieds. Je pris l’ascenseur, rajoutai du rouge sur mes lèvres, mâchouillai hâtivement un bonbon à la menthe pour masquer d’éventuelles odeurs désagréables, fis quelques exercices de respiration.

J’étais arrivée à l’étage souhaité, je longeai le long couloir moquetté de rouge jusqu’à la chambre 59, me surpris à regretter mentalement qu’elle ne porte pas le numéro 69. Je gloussai intérieurement de mon idée loufoque, mais après tout, je m’y rendais uniquement pour cela j’imaginais. J’espérais être à la hauteur.

Je toquai. Aucun son ne parvint à mes oreilles, l’établissement était calme, le vent soufflait derrière les carreaux, je voyais les arbres du parc agiter leurs branches. C’était un endroit très cosy, j’avais l’impression d’être une héroïne de roman, tel «L’amant» de Marguerite Yourcenar.

Comme je n’avais pas obtenu de réponse, j’actionnai alors la poignée de la porte. Je le vis allongé sur le lit, en peignoir de bain.

Immédiatement les effluves de son parfum parvinrent à mes narines et achevèrent de me pâmer.

Je dis timidement :

— Alors, voilà, c’est ici que vous avez choisi que nous nous retrouvions ?

— Oui, je suis content que vous n’ayez pas hésité à venir, j’aurais pu rester là, seul, tout l’après-midi. Je ne savais pas si c’était trop tôt, si vous en aviez envie. J’ai décidé de suivre mon cœur, et apparemment, j’ai bien fait.

— J’ai hésité à venir, croyez-moi, je vous rappelle que je suis mariée. Je ne suis pas sûre de bien faire, mais ce que je sais, c’est que vous me plaisez beaucoup. Vous avez plutôt l’habitude de côtoyer des femmes d’un certain niveau culturel, charmantes, fines et entretenues. Pourquoi moi ?

Je déposai mon sac sur le fauteuil que j’avais repéré dans le salon, car ce n’était pas juste une chambre mais un appartement entier, composé de plusieurs pièces avec une vue magnifique sur le parc arboré.

— Approchez-vous. On pourrait se tutoyer, non ?

— Oui, bien sûr. Sébastien. Je ne corresponds pas aux femmes qui t’accompagnent habituellement, je suis ronde, tu vas découvrir un corps qui n’a jamais fréquenté les salles de sport. Es-tu bien sûr de toi ?

— Viens t’asseoir sur le lit. Tu m’attires beaucoup, c’est indéniable, sinon tu ne serais pas là. Je n’aime pas les femmes qui s’apprêtent trop, on voit bien souvent l’envers du décor, après avoir enlevé les couches de maquillage. Et je te l’ai dit, au restaurant, c’est insupportable, elles réclament une salade et un verre d’eau. Leur vie n’est que restrictions pour espérer plaire à la gent masculine, en tout cas celle qui est attirée par ce genre de femmes. Moi, j’aime ton naturel, ta timidité, tes grands yeux noirs, et je suis sûr que tu as la peau très douce. Je me trompe ?

Je rougis.

— C’est la première fois que je suis draguée par un autre homme que le mien, permets-moi d’être surprise, mais très agréablement surprise, quelle femme n’aime pas séduire ?

— J’en conviens, vous avez toutes droit à réaliser vos fantasmes. En as-tu d’ailleurs ?

— Eh bien, je n’ai jamais fait l’amour dans l’eau. Et toi ?

— Oui, j’avoue, c’est très agréable, la chaleur de l’eau stimule les sens. Tu aimerais qu’on le fasse ?

Il y a une baignoire balnéo dans la salle de bain. Je te propose de te déshabiller tranquillement, de t’immerger dans l’eau, de mettre plein de mousse, et je te rejoindrai pour, par exemple te faire un massage. Qu’en dis-tu ?

– C’est une très bonne idée. Tu en as d’autres comme ça ?

Il rit à gorge déployée. À ce moment-là, son peignoir s’ouvrit, révélant son intimité qui me mit en émoi : un membre épais et lisse se nichait au milieu de poils pubiens bien entretenus, son torse glabre était un appel aux caresses. Je mouillai instantanément à cette vue. J’étais prête à faire ce saut vers l’extase, car avec lui, j’étais certaine d’atteindre l’orgasme, enfin, je le pensais. Tout me plaisait en lui et je venais de voir ce sexe viril que je rêvais de prendre dans ma main.

Essayant de me concentrer sur ce que j’avais à faire pour que ce moment soit tel que je l’avais imaginé (chaud et humide), je lui dis simplement :

— Parfait. À tout à l’heure.

Je rentrai dans la magnifique salle de bain aux meubles en marbre noirs et blancs, au sol immaculé, dotée d’un splendide miroir haut de deux mètres, parfait pour cette pièce haute de plafond. Une douche à l’italienne se trouvait dans un angle et à l’autre extrémité, une baignoire de grande dimension, idéale pour deux. Je me pris à penser que ce que je vivais, il l’avait déjà scénarisé avec une autre, et ce n’était pas une pensée agréable.

Sébastien était-il le serial lover des magazines, celui qui enchaînait les conquêtes, sans jamais éprouver quoi que ce soit, juste le sentiment de toute puissance sur les femmes, l’assurance que quoi qu’il fasse elles tombaient comme des mouches ?

Peut-être, mais je comptais bien profiter de ce moment, puisque c’était ce que je voulais.

Je fis couler de l’eau chaude dans la baignoire, trouvai sur une étagère un bain douche au monoï. J’en versai généreusement dans l’eau, les effluves distillèrent leur parfum envoûtant dans toute la pièce. La vapeur commença à masquer ses contours, je ne pouvais plus vérifier si j’avais une belle allure dans le miroir. Qu’importe, le moment était venu de me mettre à nu, d’exposer ce corps dont j’avais honte, ces bourrelets aux cuisses qui révélaient mon inactivité flagrante, ces varices disgracieuses qui couraient sur ma jambe, ce cou plissé de gras qui me vieillissait.

Je savais que ma poitrine plaisait. Je la débarrassais de mon chemisier qui tout à coup me sembla peser une tonne. J’avais chaud, je libérai ces seins aux auréoles larges et brunes que mon mari palpait avec délice pendant chaque assaut. La marque du soutien-gorge s’était imprimée sous mes globes lourds et blancs. Je fis un massage dans le sens des aiguilles d’une montre pour les délasser. Les bouts pointèrent effrontément, ils étaient très sensibles aux caresses.

Derrière la porte, je ne percevais aucun bruit. Je me demandais ce que faisait Sébastien. Il devait regarder ses messages sur son portable, sans doute, en attendant que je l’appelle. Je m’entraînai à mi-voix seule dans le bain. Comment allais-je lui annoncer que j’étais prête ? Je pris ma plus douce voix aux intonations les plus enjôleuses pour dire :

— Tu viens Sébastien ?

Trop banal. Ou bien :

— Rejoins-moi, c’est si bon !

Plutôt aguicheuse. Non, plutôt :

— Je t’attends, viens ! Pas assez glamour.

Mon corps nu dans cette eau chaude était un délice, je m’y prélassais sans penser à rien. Cela faisait un quart d’heure que Sébastien patientait, ce n’était pas raisonnable de le faire attendre davantage. Je m’amusai intérieurement de le voir regarder sa montre, se demandant si j’allais oser l’appeler, me montrer, le caresser, toutes ces questions que je me posais moi aussi.

Il ne manquait plus qu’une musique apaisante lounge et je me laisserai emporter.

— Sébastien, aurais-tu une playlist sur ton portable ? Ce serait tellement agréable !

— Oui, oui, bonne idée, je vais te la trouver, tu me dis quand je peux venir, répondit-il à travers la cloison.

— Tu peux venir ! assurai-je alors de mon air le plus naturel.

Il apparut, nu, dans l’encadrement de la porte, ses pectoraux étaient saillants, son sourire franc. J’étais plongée dans la mousse, il ne pouvait voir que mon visage, mon sourire hilare et mes yeux pétillant d’envie. Ce qui m’arrangeait bien évidemment.

J’évitais de sortir mes pieds boudinés de la baignoire, je n’étais pas prête à faire un strip-tease genre «Neuf semaines et demie ». Ma séduction naturelle et mon sourire contrit suffiraient-ils à l’attirer définitivement vers moi pour une session d’amour torride ?

J’avais peine à l’imaginer. Mais j’avais le droit de fantasmer après tout.

Je me remémorai les premiers instants de notre relation, et il me semblait bien que je n’avais pas tout fait pour qu’il s’intéressat à moi.

Bon, j’avais simulé une proposition d’achat pour un de ces tableaux, certes. Heureusement, j'étais sortie indemne de ce mauvais pas.

Une musique incroyablement douce et planante envahit la pièce, je ne connaissais pas, je découvrais décidément beaucoup de choses en peu de temps .

Sous mes yeux ébahis, je le vis entamer une danse sensuelle sans aucune gêne, tournoyer en rythme sur lui-même, se déhancher langoureusement, tout en fermant les yeux pour mieux savourer le moment. Les miens ne pouvaient pas être plus écarquillés qu’à cet instant-là. Je vivais vraiment un rêve éveillé. Mon regard allait de son buste à son sexe avec un plaisir non dissimulé.

Soudain, je perçus un bruit étrange derrière la cloison, un cognement fort contre le mur, suivi d’un deuxième, assorti d’un cri féminin.

Dans cet établissement où tout était calme et volupté, j’en avais oublié qu’il se pouvait que d’autres personnes soient dans les chambres contiguës à la nôtre. J’étais étonnée aussi de pouvoir distinguer des sons provenant de la pièce d’à côté. Devant mon air surpris, Sébastien s’approcha, je lui murmurai :

-Je viens d’entendre des bruits à côté. Il m’assura que c’était impossible, que jamais on n’entendait quoi que ce soit, qu’il connaissait les lieux comme sa poche.

— Continuons si tu veux bien, est-ce que ma parade nuptiale t’a un peu émoustillée ?

— Oh oui, tu es si excitant, rejoins-moi dans l’eau.

Ce qu’il fit. Je pus enfin me lover contre son corps doux et chaud, mes mains le parcoururent, je le couvris de baisers dans le cou. Qu’il sentait bon ! Ce fameux parfum qui m’avait attirée la première fois. Il ne parlait pas. Il savourait l’instant, comme moi, nous nous lancions dans la découverte de nos anatomies.

Bien sûr, il prit mes seins dans ses mains, les titilla, les pinça. Nous dansâmes ainsi, bercés par la musique.

Tout à coup, celle-ci s’arrêta pour je ne sais quelle raison.

Nous entendîmes clairement à ce moment-là trois coups sur la cloison suivis de gémissements à peine perceptibles. Nous nous regardâmes, je ne savais pas quoi penser, mais je fus prise d’angoisse.

Sébastien entreprit une fois de plus de me rassurer, quelqu’un devait faire le ménage dans la chambre à côté, il déplaçait des meubles, sans douceur certes et à une heure incongrue, mais c’était sûrement cela. Pourquoi imaginer autre chose ?

Sébastien, comme tous les hommes, prenait plaisir à caresser la femme qui était avec lui dans l’eau parfumée, il n’hésita pas à immiscer sa main dans ma vulve, pour la caresser, d’abord, dessus, doucement, puis il inséra deux doigts plus profondément dans mon vagin, j’en eus aussitôt des spasmes de plaisir qui montèrent, laissant mon corps alangui. Je me dis qu’il fallait que je prenne des initiatives, je ne voulais pas qu’il me considère comme une gourde sans expérience. Je savais que le moment était propice, et j’avais tellement envie de ce membre que j’avais admiré tout à l’heure. Je ne pensais qu’à une chose, le prendre dans ma bouche.

D’abord j’imprimai des va-et-vient avec ma main sur sa verge douce et lisse, impeccablement épilée. Elle grossit peu à peu dans mes doigts, son gland durcit, elle se tendit vers mon ventre, je le massai avec son membre. Que c’était bon !

Sébastien n’était pas indifférent à mes caresses, il gémissait, me susurrait :

— Encore !

— Plus vite !

Je lui demandai alors de s’asseoir sur le rebord de la baignoire, ce qu’il fit. Ses fesses musclées prirent place sur la céramique blanche, je les empoignai de mes deux mains, et amenai ma bouche vers son sexe, je le pris tout entier avec envie, en émettant moi aussi des petits gémissements de satisfaction. Au fur et à mesure de mes va-et-vient, son membre devint dur, j’étais en extase.

Je dus m’interrompre, car Sébastien n’avait pas remis la musique ce qui fit que j’entendis clairement un cri de femme, un «Non !»prononcé clairement à voix haute, un prénom énoncé avec un air de panique «José, non !».

Je perçus une intonation de femme effrayée, apeurée. Sébastien minimisa encore l’événement, pour lui il s’agissait d’une dispute entre employés de l’hôtel et nous n’avions pas à nous en mêler. Il sortit de la baignoire pour enclencher l’enceinte qui diffusa cette musique envoûtante qui nous permettrait à tous les deux de nous laisser aller au plaisir. D’ailleurs, il avait une autre idée désormais, celle de rouler tous les deux dans le lit douillet qui s’offrait à nous.

Mes mains commençaient à se rider au contact de l’eau chaude, mon cerveau se ramollissait. Un peu d’action était bienvenue. Sébastien s’allongea sur le lit, j’attrapai un peignoir de bain pour couvrir ma nudité, je pris l’initiative de fermer le rideaux occultants afin de tamiser un peu l’éclairage et me permettre d’être tout à fait à l’aise. Sébastien me laissa faire, sons sexe tendu dans l’attente de mes caresses.

Je gardai mon peignoir le plus longtemps possible, mais il se rendait bien compte que je ne voulais pas me dévoiler. Il fit glisser d’un geste le vêtement épais qui me recouvrait, je devais oublier ma pudeur, il le fallait. Mon corps gras s’offrit à lui, mon ventre retombant, avec ses vergetures lui faisait face, il gardait toujours ce même sourire satisfait, plein d’envies, je me laissai faire. Il écarta mes jambes, son visage glissa vers ma vulve humide, je rejetai ma tête en arrière. Sa langue fourrageait délicieusement dans mon intimité, ses doigts accompagnaient ses caresses.

Un grand «Boum» se fit alors entendre.

Je pensais que quelqu’un était tombé lourdement au sol. J’eus un flash, je me revis, enfant, aux alentours de huit ans, tétanisée au fond d’un placard, à la maison. Pendant que ma mère recevait les coups de mon beau-père, je me faisais la plus petite possible, je fourrais des bonbons dans ma bouche, des larmes coulaient le long de mes joues. J’étais impuissante face au bourreau qui vivait chez elle. Un homme trapu, sanguin, porté sur la boisson, et peu respectueux des femmes.

Pourquoi en cet instant, la même boule dans la gorge qui m’empêchait à cette époque d’agir bloqua ma respiration, soudain saccadée ? Était-ce là ce qui se jouait à côté ? Me retrouvais-je au milieu d’une scène identique à celle que vivait ma mère ? Nous étions certes dans un établissement luxueux, mais la violence conjugale existait sournoisement, dans certains couples depuis des années, sans que personne ne s’en aperçoive.

Sébastien, le visage toujours enfoui dans ma vulve se démenait pour me faire jouir, il inséra deux doigts en plus de sa langue, il ne savait pas que j’étais fontaine, le liquide chaud coula sur les draps je me cabrai sous l’assaut fulgurant du plaisir.

Il me demanda de me tourner, ce que je fis. Il me pénétra sans préambule, je jouis encore instantanément, il continua à s’agiter au-dessus de moi, sa respiration saccadée, son souffle court signalait l’imminence de l’orgasme. Il s’écroula sur moi. J’étais heureuse, certes, mon amant d’un jour avait vraiment pris soin de moi. Je jouissais rarement deux fois de suite, j’étais tellement excitée. C’était divin.

Déjà 16h30, je ne pouvais pas m’attarder davantage, je devais conserver mon emploi du temps habituel pour garder cette liaison secrète.

Sébastien, repu, sommeillait à mes côtés, ses fesses rondes et bronzées tout près de moi, je ne résistai pas à les caresser à nouveau, à vrai dire, je ne m’en lasserais pas.

Nous perçûmes des pleurs à travers la cloison. Toujours la même femme.

Se faisait-elle battre pendant que moi je tendais vers le plus beau des orgasmes ? Sébastien ne voulait pas l’admettre, mais moi qui avais vécu cela, je sentais qu’un drame se jouait à côté. Pour lui ce n’était pas une raison pour s’en mêler, il argua de certains hommes violents et protecteurs à la fois, il ne laissait pas les autres juger de leur relation de couple, fut-elle chaotique et basée sur la violence. J’avais de la peine pour cette femme, mon instinct me disait qu’il fallait la défendre, par solidarité, tout simplement.

Mais, lovée contre le corps chaud de cet homme si viril et séduisant, je savourais mon plaisir, pour encore quelques minutes me dis-je. Le temps passait si vite, l’intensité de ce moment fugace restera à jamais gravé dans mon cœur.

Je recouvris mon corps du drap fin, toujours cette pudeur qui me tenaille. Je revoyais le visage triste de ma mère. Pendant des années, je subis comme elle cette situation ubuesque, personne n’était venu nous aider. Un jour, son compagnon ne rentra pas à la maison, nous ne le revîmes jamais, ma mère resta seule. Pour elle, c’était préférable, elle avait trop peur de tomber à nouveau dans l’engrenage d’une relation toxique.

  • Sébastien, je vais devoir y aller.

Je récupérai mes habits et allai m’habiller dans la salle de bain, j’ouvris la fenêtre pour aérer cet espace clos. C’est là que je la vis : une ambulance s’approchait du porche, ses sirènes clignotaient mais aucun son alarmant ne nous parvenait, par discrétion, sans doute.

Ce qui se produisit alors me donna la chair de poule : deux pompiers sortirent de l’établissement avec une femmes sur une civière. Du premier étage où je me situais je pouvais voir clairement des blessures sur son visage, ses bras, ses jambes. Des bruits de pas dans le couloir attirèrent mon attention, j’entrouvris discrètement la porte et pus voir un homme menotté sortir de la chambre d’à côté, encadré par deux policiers en tenue.

Je déglutis difficilement, je tremblai tout à coup. Je m’assis sur le lit. J’avais laissé une femme se faire battre dans la chambre d’à côté. Je n’avais pas réagi. Je n’avais pas apporté mon aide alors que j’aurais pu. J’aurais dû ? La culpabilité me rongeait, je me mordis les lèvres. Sébastien entreprit de me calmer :

  • Claire, ce n’est pas de ta faute tu aurais probablement amplifié la situation. Maintenant , elle est entre les mains des médecins, si son cas est grave, elle portera plainte voilà tout.

Je savais que la plupart des femmes battues ne portaient pas plainte. J’avais l’impression d’avoir été inutile, impuissante.

Cela gâchait un peu ce que je venais de vivre. J’offris un sourire triste à Sébastien, que je trouvai peu compatissant et plutôt indifférent à son sort. Il prenait du recul face à cette histoire, moi, j’en étais incapable.

Un baiser plus tard, tendre et fougueux, je me retrouvai dehors.

L’effervescence que j’avais perçue tout l’heure avait disparu, comme si rien ne s’était passé, que tout était occulté, dans un soucis de discrétion. Ce n’est pas le genre d’événement dont on s’enorgueillit, tout établissement qui se respecte évite la mauvaise publicité. J’en ressentis une certaine amertume, et je ne pus empercher de m’imaginer à la place de cette femme.

Je pensais revoir Sébastien, et peut-être entamer un liaison discrète, mais nous n’en fîmes rien, d’un commun accord. Chacun reprit sa vie d’avant, et comme il était peu probable que je le rencontrasse à nouveau par hasard, je me fis une raison, et je me contentai de mon quotidien tranquille avec mon mécano de mari, cet homme aux plaisirs simples, à la fidélité sans faille, qui chaque jour était à mes côtés.

Une bonne nouvelle arriva en décembre, je conçus un petit être, je ne m’en aperçus qu’au sixième mois, ayant un cycle capricieux depuis toujours, et même si parfois je me dis que ce n’est pas son fils, je mène une vie heureuse.

On arrive finalement à oublier ce qui doit l’être et préserver son train de vie, en espérant toujours avoir une vie meilleure. Viser la lune, en ce qui me concerne, c’est vivre intensément chaque minute de cette vie simple, et m’acclimater de mon corps qui, un jour, vibra sous d’intenses caresses.

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