La Daviade(2) : la Rébellion du Sage

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"— Si la restauration de notre foi ancestrale au sein de mon royaume de Perse fût dans l’ensemble une transition pacifique et douce, elle suscitait néanmoins des heurts ou des réactions hostiles, spécialement de la part des généraux du Grand Seldjouk, ces guerriers des steppes, aussi vaillants au combat que pieux envers leur foi, l’avaient accompagné durant sa conquête, durant mainte batailles. Ils étaient à présent des vieillards qui pensaient à leur salut, à l’au delà, et leur ferveur religieuse s’en trouvait renforcée. D’autant plus que ces lieutenants digéraient mal leur relative éviction du pouvoir, au profit des nouveaux mazdéens récemment convertis.

Le plus puissant d’entre eux, Abul Muzaffar « le Sage », cristallisait les ressentiments et l’esprit de réaction, et rassemblait de plus en plus l’opposition au nouveau régime. Sa base de soutien se concentrait dans les plaines du Khorassan, au nord-est de l’empire, la terre d’où vient le Soleil, qui connut , et connaîtra encore, une pléthore de conquérants : les macédoniens d’Alexandre "le Grand", les Bactriens de Démétrios "l’Invincible", nos ancêtres Sassanides, les dynasties arabes Omeyyades et Abassides ou turques : les Samanides, les Ghaznévides et bien sur les Seldjoukides.

Je combattis ce courant séditieux vigoureusement, en distribuant cadeaux, pots de vins, charges et honneurs avec une prodigieuse prodigalité. La sauvegarde du Trône était à ce prix, je parvins à contenir l’opposition. Je tentais d’y mettre fin définitivement décapitant sa tête, j’envoyais dans ce dessein une escouade de fidèles arrêter le turbulent « Sage », Abul Muzzafar. Malheureusement, ce rusé briscard réussit à échapper à son arrestation, et sous peu, il déclara ouvertement sa rébellion.

Voulant étouffer cette révolte dans l’œuf, je convoquais les armées immédiatement disponibles sans atteindre les renforts de mes soutiens des confins de l’empire. En effet, celui-ci était fort étendu, des montagnes afghanes à celles du Kurdistan, et la mobilisation de la totalité du ban pouvait prendre des mois. Or je devais réagir prestement. Je quittais ma capitale, Téhéran, à la tête de mon ost personnel pour me diriger d’abord vers Nishapur la Belle. Cette ville, fondée par notre ancêtre le Shah Sassanide Shapur « le Grand » d’où elle tirait son nom, était l’une des plus prospères de perses de par ses mines de turquoises et ses plaines fertiles parsemées de cotons, de fruits et de céréales. Des alliés du rebelle Abul Muzaffar s’en étaient emparés et je ne pouvais stratégiquement laisser une telle place forte dans mon dos . Cela menacerait en effet ma logistique : à tout moment mes lignes ravitaillement seraient à la merci de mes ennemis et ceux ci pourraient également surgir sur mes arrières si je continuais ma route vers l’est pour affronter mon vassal rétif. De plus, l’occasion était trop belle de s’emparer d’une des quatres villes majeures du Khorassan.

Je pris donc le parti de m’emparer de Nishapur la parfaite, qui me revenait de droit de par mon héritage sassanides, il était grand temps de chasser les usurpateurs mahométans ! Je lançais plusieurs assauts infructueux contre les murs épais de la ville, avant de déployer les grands moyens, de crainte que le siège s’enlise, que Muzaffar et ses troupes n’aient le temps de se déplacer jusqu’à Nishapur puis me prennent en étau sous ses remparts. Je convoquais les plus habiles architectes du mon empire afin de leur ordonner la construction d’un fort, ou plutôt d’un important donjon, sur les collines entourant la ville. Ce fort avait une double vocation : interdire tout renfort ou ravitaillement à la ville assiégée et servir de base arrière sûre pour mon armée. Mon plan fonctionna à merveille, la construction se fit à une vitesse vertigineuse, et sous peu les étendards du Faravahar, symbole de notre prophète Zoroastre, flottaient sur les murs de Nishapur.

Mes arrières assurés, j’allais à la rencontre de l’astucieux Muzaffar, dans les steppes de Sarakhs, étape de la route de la Soie, pour y mener bataille. Avec le siège de Nishapur et la garnison que j’avais dû y laisser, mon armée était inférieure en nombre à celle du sage Muzaffar. J’optais donc pour une tactique audacieuse : l’ordre oblique, si cher à Epaminondas. Je dégarnissais mon flanc gauche ainsi que mon centre pour renforcer considérablement mon flanc droit. Mon plan de bataille consistait à lancer mon infanterie et mes troupes de jet dans une attaque au centre, pour fixer le gros des troupes adverses tandis que notre flanc gauche restait en retrait, trop faible pour tenter quoi que ce soit. Puis, instant décisif, une attaque massive et foudroyante avec mon aile droite, constituée d’archers à cheval et de ma cavalerie légère afin de surprendre et déborder l’armée rebelle. Le coup était audacieux mais le jeu en valait la chandelle, un succès ici marquerait la fin définitive de la révolte. Le terrain se résumait en une steppe désertique,typique de la région, avec cependant des reliefs qui rompaient la monotonie du paysage, dans notre dos et à la droite de l’armée dissidente.

Je menais donc l’attaque au centre avec force et conviction, inspirant mes troupes levées encore inexpérimentées pour la plupart contrairement à l’armée de vétérans adverse. Las ! Le vieux renard avait plus d’un tour dans son sac et vit clair dans mon jeu ! Le rusé guerrier avait fait creuser des tranchées remplies de pieux en son centre. Nous étions donc bloqués, sans pouvoir atteindre nos opposants et sous la menace de leurs flèches. Muzaffar le sage stratège avait donc contenu l’attaque au centre avec un minimum de troupes et de risques, il avait de plus laisser ses meilleures troupes, sa cavalerie lourde cuirassée , en réserve. Il eut donc tout le loisir de dégarnir son centre et d’envoyer sa réserve pour parer à l’attaque massive de notre aile droite. Le combat fit rage, la portée et la vigueur de l’attaque déstabilisa dans un premier temps les troupes du Sage, je cru même pendant un court instant que la percée était à portée de mains, je me précipitais alors pour encourager mes hommes à un ultime effort. En vain, progressivement, les renforts du centre et l’expérience de la réserve rebelle, des cavaliers chevronnés habitués à la steppe et aux rudes affrontements, firent la différence, et mes cavaliers commencèrent à reculer.

Le piège ne tarda pas à se refermer tout entier sur nous.

Car le vieux seigneur révolté, avait un dernier stratagème. Subitement, des archers montés Turkmènes surgirent de derrière les collines, à notre droite. Ils fondirent sur notre flanc droit épuisé par tant de combats et n’en firent qu’une bouchée. Je devais réagir vite pour éviter un désastre, car je le savais, lors d’une bataille la différence de pertes entre deux armées a lieu durant la fuite des vaincus, car ces derniers perdent toute cohésion et constituent des proies faciles, surtout pour la cavalerie. Je pris donc la tête de ma garde personnelle et de mes maigres restes de cavalerie pour charger et couvrir la retraite de mes troupes sur les élévations derrière le champ de bataille. La retraite se fit en bonne ordre, mon geste salvateur évita la débâcle mais pas la défaite. Une fois sur les hauteurs, je reconstituais l’ordre et la ligne de combat, nous combattîmes jusqu’au crépuscule avec l’énergie du désespoir. Le relief, le courage de mon ost mené par son Shah et la prudence de Muzaffar, qui hésitait à engager toute son armée dans l’attaque de peur d’éventuels renforts. Enfin, le vieux renard ordonna le repli à la nuit tombée, car les combats nocturnes sont très incertains.

J’avais évité le pire, mais le danger demeurait imminent. A l’aube, un nouvel assaut nous serait fatal. J’imaginais donc une ruse pour nous sortir de cette situation périlleuse, j’envoyais une petite troupe de cavaliers avec des instruments à vents : neys et balabans, et à percussion : tombaks et dayres, en direction du camp ennemi. Je leur ordonnais de faire le plus de bruit possible et de pousser des cris de guerre pour faire croire à l’arrivée de renforts et couvrir le son de ma retraite. Nos ennemis furent pris de panique, ce qui me permis de nous retirer en bon ordre et en toute sécurité.

J’avais donc perdu la bataille des steppes de Sarakhs mais j'avais tout de même assurer l’essentiel, mon armée était sauvée et je reçu bientôt des renforts du sud avec les Gaznévids, mais surtout le Chef Šayan de Ahvaz et Balashk Abdulid, mes deux commandants les plus éminents. Ensembles, j'en étais certain, nous prendrons notre revanche contre le sage rebelle ! "

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