Gabriel

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Je vis depuis des années dans un refuge, pour les gens qui sont comme moi. Je suis arrivée là par hasard, j'ai été recueillie parce que je mettais ma vie et celle des autres en danger en restant seule dans la rue. Avec un passif aussi lourd, je ne pouvais aller nulle part ailleurs. La vie aurait été trop compliquée. Les vieilles habitudes sont tenaces, et ici tout le monde le sait. Nous sommes brutaux, nous sommes indomptables. Il n'est pas rare que les incidents arrivent et que par malheur quelqu'un perde la vie. Le Directeur du Refuge a été très clair à ce sujet : pas de meurtres entre nous. Mais cela n'empêche pas les tentatives.

Il y a un mois de cela, j'ai voulu assassiner Gabriel, l'ange déchu du troisème étage. Et, comme on ne se frotte pas impunément au divin, il a cherché à me rendre la pareille.

******

Je ne me sentais pas bien, la journée avait été épuisante. Lorsque j'étais rentrée, j'avais préféré monter me reposer dans ma chambre plutôt que de rester avec les autres au salon. Leur bonne humeur n'aurait rien pu contre la mélancolie brutale qui m'avait envahie. Après des mois sans rien entendre, les voix dans ma tête s'étaient réveillées.

Je m'enfouis sous les couvertures et plaquais l'oreiller sur ma tête pour les faire taire. Mais rien n'y fit. Les heures passèrent comme des années, me laissant me débattre contre ces maudites voix qui refusaient de me laisser tranquille.

Vers 21 heures, le responsable de notre étage, Lux, vint me voir. Il avait l'air inquiet.

  • Tu vas bien ? Tu n'es pas descendue dîner.
  • J'essaie de me reposer. Ca a été...compliqué, aujourd'hui.
  • Elles sont revenues?

J'acquiesçai avec une grimace. C'était grâce à sa compassion que ce grand gaillard avait été promu reponsable du premier étage. En tant que démon, sa force était surhumaine. En tant que simple humain, sa gentillesse n'avait pas d'égal.

  • Et toi, qu'est-ce que tu fais là?
  • J'ai vu Gabriel verser quelque chose dans ta bouteille. Comme le stipule le règlement, je n'ai pas le droit d'intervenir dans vos disputes. Mais j'ai pensé que tu voudrais être prévenue.

Mon sang ne fit qu'un tour, la vague de panique qui m'envahit fut telle que les voix se turent une seconde. Bloody hell. Je savais qu'il chercherait à se venger, mais pas si tôt ! Une solution, vite !

Mourir ne faisait pas partie de mes priorités. J'avais déjà du mal à rester en vie par mes propres moyens. J'utilisais ma bouteille pour faire passer le médicament qui calmait les hurlements de mon esprit, c'était la seule façon que j'avais trouvée pour garder un semblant de santé mentale.

D'un signe de tête, je remerciai Lux. Son regard désolé lorsque la porte claqua ne m'échappa pas. Nous connaissions tous les deux Gabriel. Plus têtu, tu meurs.

Il était 22 heures lorsqu'on toqua à la porte. Gabriel était là, vêtu de son costume rouge sang, son halo rouillé lui ceignant le front, un sourire infernal plaqué sur les lèvres. Etait-ce cela, le sourire de la vengeance ? En le voyant, les voix hurlèrent de plus belle, crachant, vociférant leur colère jusqu'à ce que je doive fermer les yeux pour atténuer la douleur. Je me sentais mal. Gabriel m'avait toujours fait un peu peur. Et là, il me terrifiait.

Nonchalant, il s'assit sur le lit près de moi. Je sentais son odeur suave, ses cheveux d'une blancheur immaculée qui me fascinaient encore. Je m'attendais à ce qu'il soit brutal, au lieu de cela, Gabriel fit preuve d'une incroyable douceur. Je devais avoir l'air vraiment mal en point pour qu'il me regardât avec autant de pitié. Ses crocs luisaient faiblement. Lors de notre première rencontre, ils m'avaient terrifiée.

  • Tiens, tu as oublié ça en bas.

Je murmurai un vague "merci" en serrant la bouteille, si fort que le plastique craqua. Gabriel avait l'air détaché, pensif même. Prenait-il cet air lorsqu'il tuait quelqu'un ? Mais je ne voulais pas mourir.

Nous nous mîmes à discuter, de tout et de rien, racontant nos journées respectives. Comme deux connaissances. Comme deux amis. Mais je me méfiais. Ca commencait toujours de cette manière. Il commençait toujours par être aimable. Je tentais de conserver mon indifférence habituelle, mais au fond, je n'en menais pas large. Les yeux fixés sur lui, je regardais Gabriel. S'il tentait une attaque physique, je ne pourrais pas riposter. Calmer les cris dans mon esprit concentrait toute mon énergie. Je l'aimais bien, pourtant. Même si nous étions en froid, nous avions quand même passé de bons moments ensemble. Il allait me manquer.

L'église sonna onze coups, me tirant de mes pensée. Comme un glas. J'avais soif. C'était l'heure de mon traitement. La boîte de pilules était dans le tiroir de la table de nuit, je perçai l'opercule d'aluminium et la pastille violette se logea dans le creux de ma main. La bouteille était pleine de poison. J'en étais certaine. Sinon, pourquoi Lux se serait-il donné la peine de m'avertir ? En soupirant, je fis tourner le bouchon dans un crissement de plastique et portai l'eau à mes lèvres.

Adossé à la fenêtre, Gabriel épiait le moindre de mes gestes, et sourit de plus belle. Il allait arriver à ses fins. Je fis mine de porter la bouteille à mes lèvres. Mais au dernier moment, je la renversai d'un geste brusque. L'eau gicla sur le parquet, sous les yeux ébahis de l'ange déchu.

  • Comment as-tu su?
  • Tu ne viens jamais m'apporter quoi que ce soit, répondis-je d'une voix égale. Et c'est étonnant que tu commences aujourd'hui. Pas après que je t'aie planté un couteau dans le dos.

Gabriel siffla de mécontentement avec un rictus. Je me sentis coupable, soudain. D'accord, il l'avait cherché, à sans cesse dresser le tableau de chasse de ses victimes. A toujours me rabaisser, parce que j'était dépendante d'un médicament pour ne pas me transformer en un monstre sanguinaire, alors qu'il avait été renvoyé de chez lui pour avoir fait du mal à ses semblables. Un jour, j'en avais eu assez. En plein milieu du repas de Noël, alors qu'il m'avait raillée pour la énième fois, je l'avais poignardé avec un couteau.

J'étais ignorante à l'époque, trop occupée à affronter mes propres démons pour songer à ceux des autres. Je n'imaginais pas mon erreur. L'espace d'un instant, le fait que Gabriel soit un ange déchu n'était qu'une vague information noyée par la colère. Plus tard, quand il était sorti de l'infirmerie, j'avais pris conscience de la gravité de mon geste. J'avais blessé Gabriel. A l'endroit exact où une de ses ailes avait laissé une cicatrice profonde. Gabriel les avait perdues il y a fort longtemps, lorsqu'il avait commis l'irréparable. Banni, le Directeur l'avait accueilli à bras ouverts, mais tout le monde au Refuge savait que Gabriel éprouvait une rancoeur tenace envers le Ciel. Même s'il se plaisait sur Terre.

Je l'aimais bien, cet ange bizarre. Si on m'avait dit un jour que j'éprouverai du remord au moment de mourir...Je me sentis coupable, soudain. Coupable de cette rivalité idiote, coupable de lui avoir fait si mal. Coupable de l'apprécier.

Les larmes se mirent à couler sur mes joues, et je rejetai la bouteille au loin. Les voix s'étaient tues. Gabriel aurait pu s'en aller. Il aurait le faire. Mais à ma grande surprise, il revint s'assoir près de moi et m'enlaça fort contre lui en murmurant des mots qui m'échappèrent. Je tentai de lui échapper, mais il me serra un peu plus, chuchotant ce que je compris être des paroles de réconfort.

  • Je suis tellement désolée, Gabriel...Tes ailes...Je ne savais pas...
  • Tu n'es pas la seule à avoir des secrets, Rose. Sinon, on ne serait pas là. Et puis, ajouta-t-il en grinçant des dents, j'ai essayé de de tuer, ce soir. Pas de la manière la plus brillante qui soit, c'est vrai. Mais moi aussi, j'ai voulu te blesser. Alors on va dire qu'on est quittes.

Il me regarda droit dans les yeux. A ce moment précis, je pus entrevoir l'ange qu'il avait été pointer son nez derrière la noirceur de son âme traumatisée. Gabriel déposa un baiser léger sur mon front, m'arrachant un sourire épuisé. Quelle rivalité ?

  • Tu penses retrouver tes ailes, un jour ? demandai-je pour la forme.
  • Quand tu cesseras d'entendre des voix.

Il rit. L'eau détrempait le sol, mais tant pis. Nous étions là, enlacés sur les couvertures mouillées. Tous les deux. Le médicament avait fondu sous ma langue.

J'allais vivre quelques jours de plus.

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