XXCCCV. Tellement n’brick

6 minutes de lecture

XXCCCV. Tellement n’brick*


Mon séjour à la maternité fut infiniment plus tranquille que la fois précédente… Ceci pour une raison simple : Lina avait pointé son petit nez parmi nous avec une dizaine de jours d’avance sur la date prévue, et tous ses grands-parents avaient mal calculé leur coup ! Je pus donc profiter d’un calme relatif pour me remettre de mes émotions. Mais Chiara était tellement déçue qu’elle en gronda presque Louka, ce qui le fit beaucoup rire.

Dès le lendemain de mon accouchement, Zio Pietro eut l’honneur d’être le premier visiteur de ma petite princesse. Il avait un sourire tout tendre en la prenant dans ses bras dans un geste très doux, plein de bienveillance, tout en laissant tomber dans ses minuscules oreilles quelques phrases italiennes à voix très basse. Louka regardait la scène en silence, avec un sourire indulgent mais aussi une certaine gravité : comme un instant fondateur, presque historique.


« - Pietro, m’informai-je, qu’est-ce que tu lui racontes de beau ?

- Je lui dis que je serai son Zio préféré. Que je serai là quand elle en aura besoin. Que si son papa est trop chiant avec elle, je la défendrai. Que ma porte sera toujours ouverte.

- Eh ben, elle en a de la chance !

- Je ne te le fais pas dire ! Ton mec est bien le seul à ne pas s’en rendre compte.

(L’intéressé sourit en grand sans dire un mot)

- Moi, enchaînai-je, je crois au contraire qu’il s’en rend parfaitement compte. Et… Pourquoi tu lui dis tout ça en italien ?

- Perché je crois que dans la vie, il y a des choses qu’il faut exprimer dans sa langue maternelle.

- I understand… approuvai-je.

- … »

Un quart d’heure plus tard, Pietro reprenait la route de Cargèse avec dans ses bagages un jeune papa parfaitement épuisé. Je ne valais guère mieux, d’ailleurs, et dès que ma fille eut fini de prendre son biberon, je m’endormis sans demander mon reste. Cela me fit un bien fou ! Et en début d’après-midi, à l’heure de recevoir mon visiteur le plus attendu, j’étais plutôt en forme.


Lisandru entra tout timidement. Il tenait, d’une main, les doigts de son père bien serrés dans les siens, et de l’autre, un joli poisson-clown en peluche qu’il avait choisi lui-même pour sa petite sœur. Il était trognon comme tout, avec ses grands yeux bleus pleins de curiosité, ses épaules droites comme si soudain il se sentait grand, ses gestes tout en retenue comme s’il avait peur d’abîmer Lina qui était si petite, si fragile… Et si rouge, comme il ne manqua pas de le souligner avec son impitoyable franchise enfantine. Nous immortalisâmes the rencontre : les deux loupiots ensemble, puis avec leur père, avec moi, avec nous deux, bref, les mêmes photographies que prennent tous les jeunes parents du monde depuis l'invention du téléphone portable.


Ensuite ce fut au tour d’Ingrid, qui patientait jusque-là dans la salle d’attente. Elle entra sur la pointe des pieds, avec son peps incroyable, ses yeux brillants, son accent délicieux, armée d’un petit paquet rose qui s’avéra être une turbulette très rigolote arborant le dessin d’une gaufre de Liège, en plein duel avec le capitaine Haddock qu’elle traitait de… moule à gaufres. Dès la première seconde, ma fille découvrit ainsi que sa Tata Ingrid était culottée, décalée, spontanée et parfaitement belge. Et ce cocktail détonnant eut l’air de lui plaire puisqu’elle s’endormit dans ses bras avec une confiance absolue, infiniment sucrée, merveilleusement ouatée.

« - Elle est si jolie… Félicitations à vous deux. C’est drôle, ses yeux ont la même forme que les tiens, Romy… Une vraie poupée. Et Lina, j’aime beaucoup, c’est gai ! Comme une note de musique… C’est un prénom corse, de nouveau ? Ou italien ?

- En fait, expliqua Louka, c’est un diminutif. Celui d’Anghjulina ; ça vient d’ici, en effet, et c’est imprononçable partout ailleurs ! Alors on a simplifié… Et Romy voulait un prénom commençant par L. En plus, Lina existe aussi en italien et en arabe. On a fait d’une pierre, trois coups.
- En tout cas, c’est vraiment joli. Et vous lui avez donné d’autres prénoms ?

- Lina, Nour, Cheyenne, récitai-je.

- Cheyenne, je me doute que c’est un clin d'œil à tes ancêtres et à ta ville natale ! Et Nour ?

- C’est marocain, précisa Louka. Nûr signifie “lumière” en arabe.

- Alors elle s’appelle presque comme Lucia ! Elle va adorer.

- Moi, intervins-je, j’attends quand même de voir si elle va vraiment tolérer de partager son Zio chéri adoré préféré avec une autre ?

- Tsss… Je pense que oui. Ma fille n’est pas comme ça… Mais bon, gardez un oeil sur Lina quand même, au début ; on ne sait jamais ! »

Nous restâmes encore un moment à deviser ainsi sur nos progénitures puis Ingrid, voyant que je peinais à garder les yeux ouverts, déposa un baiser tout doux sur le front de ma merveille avant de la reposer dans son berceau, puis elle prit congé, emmenant avec elle un Lisandru un peu chamboulé mais tout à fait adorable. Ils n’avaient pas encore franchi la porte du couloir que Louka et moi nous étions déjà assoupis, tassés comme tout dans mon trop petit lit.


Je dormis quatre heures d’affilée… Et à mon réveil, Louka était assis sur le fauteuil, il tenait Lina dans ses bras et la berçait tout doucement. En me voyant ouvrir l'œil, il me sourit et se déplaça pour s’installer près de moi sur le lit. Je lui attrapai une main, le laissant disposer de l’autre pour stabiliser sa fille tandis qu’il chuchotait gentiment en arabe en lui papouillant les pieds. Je me laissais bercer par la mélodie de ces mots que je ne comprenais pas quand soudain, mon oreille intercepta un son qui lui rappela des souvenirs, et je sursautai.

« - Louka, passe-moi mon téléphone, please.

- Sure. Tiens…

(Je cherchai quelque chose sur Google… Et la lumière fut !)

- Alors c’est ça que tu m’avais dit !

- What ? (sourire étonné)

- Le soir où nous étions à Cannes. Après la projection du film de Chiara.

- Oh… (sourire innocent)

- Louka ? Ne fais pas semblant de ne pas t’en souvenir.

- … (sourire énigmatique)

- Hypocrite !

- … (sourire penaud)

- Puisque c’est comme ça… Comment dit-on “je t’aime” en arabe, s’il te plaît ?

- Pourquoi tu me demandes ça ? (sourire gêné)

- Because tu viens de le dire à Lina, n’est-ce pas ?

- Peut-être… (sourire canaille)

- Et je me souviens que le soir de cette bloody projection, tu avais marmonné une histoire de brique…

- Maybe. (sourire léger)

- Alors ? Comment on dit “je t’aime” dans ta langue maternelle ?

- N’brick… (sourire timide)

- Comment ?

- N’brick, Romy (sourire adorable)

- Ah ! J’avais bien deviné ! Quel filou tu fais…

- … (sourire immense)

- … I love you too, Louka. »


Il me regarda d’un air mi-gamin, mi-vieillard. Ses yeux verts jaillissaient de ses cernes mauves comme deux feux tribord en plein quart de nuit et s'accrochaient aux miens comme à une boussole. Il était beau, droit, exténué comme si nous venions de gagner les Jeux Olympiques en duo. Il semblait aussi fort que fragile, avec notre toute petite fille endormie dans ses bras et notre très grand amour bien éveillé dans ses veines.

La Corse rayonnait dans l’azur de l’été, Louka était doux comme un happy end et je ne doutais pas, ne doutais plus, que tout finirait bien et que sa main resterait dans la mienne pour les tempêtes comme pour les fééries.



- FIN -






Chers lecteurs,

Bravo et merci à vous de m'avoir suivie jusqu'ici ! J'espère que vous ne regrettez pas ce drôle de voyage et qu'il restera quelques bribes de Romy et de Louka dans vos mémoires...

Dans quelques jours, ce sera l'heure de l'épilogue, en deux épisodes ; et ensuite, cette histoire sera bel et bien terminée, je serai orpheline de mes propres créatures et pourrai me consacrer à l'écriture d'une nouvelle histoire dont j'ai commencé à poser l'univers et les personnages il y a plusieurs mois. 

Merci à tous, vos commentaires et votre enthousiasme me touchent à un point que vous n'imaginez même pas.

Marion



*Tellement n'brick, de Faudel ; in Baïda, 1997.

Annotations

Vous aimez lire Marion H. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0