CLXXIX. I’ll stand by you

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CLXXIX. I’ll stand by you*

J-15.

J’avais l’impression d’être enceinte depuis les siècles des siècles, depuis la nuit des temps, depuis l’origine du monde, ou même pire ! Je me sentais prête à éclater à chaque seconde et pourtant, mon ventre trouvait le moyen de grossir encore un peu plus chaque jour.

Un après-midi, Ingrid m’avait confié très temporairement sa petite Lucia pour emmener Nils chez le pédiatre. Il faisait un temps superbe, l’automne était bleu, cristallin, comme si l’été indien du Nord de l’Amérique s’était invité à Paris en mon honneur. Je passais une heure au soleil, assise sur un banc du Jardin du Luxembourg, tandis que la loupiote courait dans tous les sens avec quelques autres enfants. Puis le ciel se teinta de rose et de mauve et il fallut rentrer se mettre au chaud.

C’est ainsi qu’Ingrid nous retrouva un peu plus tard à la maison, Lucia et moi, attablées devant deux chocolats chauds, en train de faire une partie acharnée de mémory que j’étais sur le point de perdre.

« - Je vois que vous vous amusez bien ! Ça va, Lucia a été sage ?

- Adorable ! Tu as juste gagné un tour de lessive, parce qu’elle est tombée dans l’herbe en jouant. Mais elle ne s’est pas fait mal.

- Ok.

- Et où est Nils ? Comment il va ?

- Il dort, là ; Pietro a pris le relais. Il a la varicelle. Grosse fièvre et boutons partout. Tu l’as déjà eue, toi ?

- Oui, quand j’étais petite.

- Tant mieux… Je n’aurais pas voulu te faire courir de risques. Ne le prends pas mal, Romy, mais tu as un peu mauvaise mine. Tu es sûre que ça va ?

- Mais oui…

- Lucia, ma chérie, tu vas prendre une feuille et des crayons sur le bureau de Zio Louka et tu nous fais un beau dessin ? Et quand tu as fini, tu reviens nous le montrer, d’accord ?

- …

- Maintenant, reprit Ingrid, dis-moi ce qui se passe.

- Rien…

- Mais encore ?

- Bah, tu me connais, je m’inquiète.

- A quel sujet ?

- Louka.

- Pourquoi ?

- Pour rien… Mais j’ai tellement peur de sa réaction, quand le bébé sera là…

- Peur de quoi ?

- Peur qu’il panique. Peur qu’il parte. Peur qu’il fuie.

- A cause du bébé ?

- Oui.

- Ce n’est pas vrai.

- What ?

- Ce n’est pas vrai ! Romy, je sais que Louka n’est pas le genre de type qu’on imagine en gentil papa : il est bien trop sexy pour ça… Trop sexy, et trop blessé, aussi. Mais quand même ! Il t’a demandé d’emménager chez lui, il a reconnu ton enfant à la Mairie, il a déménagé la moitié de ses affaires pour préparer la chambre du petit… Tu crois qu’il aurait fait tout ça s’il avait l’intention de te laisser tomber ? C’est absurde. Et même un peu injuste.

- …

- Tu me permets de te parler franchement ?

- Bien sûr !

- Je crois que celle qui panique, c’est toi.

- Comment ça ?

- Tu te sens comment, ces temps-ci ?

- Énorme, affreuse, monstrueuse.

- Rien que ça ! Et Louka, il va bien ? Il est en audience ces jours-ci, je crois ?

- Oui. Lui, tu sais, il est en pleine forme. Je me demande tous les jours par quel miracle il rentre chaque nuit pour dormir avec moi. Tu as vu comme il est beau ? J’ai l’impression d’être le ver de terre amoureux d’une étoile. Et je me dis qu’un jour, il ouvrira les yeux et il partira.

- Tu as raison… Mais tu te trompes, pourtant.

- Je ne comprends pas.

- Eh bien… Tu as raison, évidemment : Louka est diaboliquement canon ! Et il le sait, l’animal… Et ce n’est pas tout : il est drôle, intelligent, bien roulé… Sans parler de son célèbre patronyme ou des maisons de famille qui ont la bonne idée d’être en Corse et à Essaouira plutôt que dans les Ardennes belges ou le Pas-de-Calais. Il gagne bien sa vie alors qu’il n’en a même pas besoin. Et en plus, il cuisine ! Franchement, si Pietro n’existait pas, je dirais que Louka est l’homme idéal.

- Ah ! Tu vois.

- Mais Romy, au lieu de te dévaloriser toutes les trois secondes pour une raison qui m’échappe… Tu devrais te dire que tu as de la chance de vivre avec lui, de porter son enfant ; et en profiter ! Au lieu de te faire du mal comme ça. C’est vrai, ton mec pourrait se taper la Terre entière s’il le voulait. Et alors ? Ce qui compte, c’est qu’il rentre dans tes bras à toi, tous les soirs. Tu ne crois pas ?

- Si…

- Tu as juste peur de le perdre, Romy… Je te comprends, mais je pense que tu devrais le lui dire, déjà, et puis faire un peu de ménage dans ta tête pour te concentrer sur toi, sur lui, sur vous deux, et aussi sur vous trois.

- …

- Vous faites quoi, ce soir ?

- Rien. Enfin, Louka m’a dit qu’il rentrerait tard du tribunal, alors moi, je vais appeler mon père et puis regarder un film, je pense.

- Bon. Changement de programme ! Tu vas appeler ton Papa là, maintenant. Ensuite tu vas aller te reposer un peu, pour être en forme. Et puis tu vas te faire belle, sortir trois bougies, préparer un petit dîner et vous allez passer une super soirée en amoureux.

- Je suis nulle en cuisine…

- Et alors ? Commande un truc.

- Et je n’ai rien à me mettre !

- Bon, pour ça, je peux t’aider. Je vais te prêter ma robe de grossesse fétiche, tu m’en diras de nouvelles ! Allez, je vais récupérer Lucia et son dessin, et on descend à la maison pour un essayage. »

Ingrid était infiniment digne de son illustre belle-mère sur un point : quand elle avait quelque chose en tête, il était inutile de perdre son temps à argumenter… Je la suivis donc sans aucune objection et, avec une jolie robe et un peu de maquillage, je me sentis mieux. Certes, j'avais toujours la circonférence de l’Equateur et le dos en compote de poires, mais au moins j’étais joliment emballée !

Trois heures plus tard, Louka rentrait enfin. Il était fatigué, mais il s’illumina comme un lumignon en découvrant qu’il n’avait plus qu’à s’asseoir pour déguster un champagne bien frais, accompagné d’un carpaccio de boeuf et de pâtes aux truffes tout droit venus du traiteur italien du coin, et en guise de dessert, une petite Américaine excessivement ventrue mais cuite à point.

Nous fîmes l’amour très délicatement, non sans avoir envoyé valser la jolie robe d’Ingrid ! Ce fut doux, délicieux, précautionneux. Et quand Louka resta en moi, collé contre mon dos, le bras posé sur mon ventre, les lèvres lovées au creux de ma nuque, je soupirai d’aise en me disant qu’une fois de plus, Ingrid avait eu raison sur toute la ligne.

*I'll stand by you, de The Pretenders ; in Last of the Independents, 1994.

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