CLXXX. Il pleut

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CLXXX. Il pleut*

J-3.

Louka était adorablement fébrile en partant à l’aéroport. D’abord parce qu’il allait me laisser seule pendant trois heures alors que j’avais ressenti quelques contractions le matin-même. Ensuite parce qu’il allait récupérer à la fois Chiara et Malika, débarquant l’une de Palerme et l’autre de Buenos Aires à une heure d’intervalle. Il faisait un temps apocalyptique, des trombes d’eau s’abattaient sur Paris depuis déjà deux jours, la Seine était en crue, le ciel était sombre comme un wagon plombé.

Heureusement, dès leur arrivée dans l’appartement, ce fut comme si tout le soleil de la Méditerranée entrait derrière elles, perché sur leurs épaules. Embrassades, compliments, accolades : j’eus droit à tout le panel d’émotions possible, en double dose ! Chiara était surexcitée, Malika était plus en retenue, mais elles étaient toutes les deux infiniment classes, présentes, solides. Et fières, visiblement, de leur grand fils (ou presque) et de mon gros ventre.


Nous leur fîmes faire un tour de l’appartement pour leur montrer les différents changements que nous avions faits pour préparer l’arrivée du bébé, à commencer par sa petite chambre ! Sur laquelle, naturellement, elles ne manquèrent pas de s’extasier et de s’émouvoir.

« - C’est très joli, Louka mio, bravo !

- Grazie. Mais Pietro m’a aidé, quand même.

- Celle-ci, dit Malika en montrant la photo d’Essaouira sur le mur, c’est ton père qui l’avait prise. Tu t’en souviens ?

- Bien sûr, Mama. C’est pour ça que je l’ai choisie.

- Oh, intervins-je, tu ne me l’avais pas dit… Cachottier, va ! Et les autres photos ?

- Celle de New York est un tirage numéroté de Thomas Carter : j’ai cru qu’il allait s’étrangler quand je lui ai dit que je l’avais fait découper en forme de hublot ! Pour le Wyoming, j’ai demandé à ton papa. Et celle de Cargèse, c’est moi qui l’ai prise, il y a longtemps, depuis la terrasse de Chiara.

- Bien, conclut Malika, au moins cet enfant a déjà du monde penché sur son berceau ! Même de loin… La chambre est magnifique, tu as bien travaillé ! Maintenant, c’est toi, Romy, qui vas devoir travailler un peu dans deux ou trois jours… D’ailleurs, ne restons pas là debout, allons au salon, tu seras mieux.

- Je vais bien, Malika. Je ressemble à un tonneau, mais à part ça, je suis en pleine forme. Même si je veux bien me poser un peu.

- Assieds-toi, là… Shams, tu nous fais un thé, s’il te plait ?

- Ok.

- …

- Bon, maintenant que nous sommes entre femmes ! En vrai, comment vas-tu, Romy ?

- Vraiment, Malika, je vous assure que ça va. Même si je commence à appréhender un peu la naissance, évidemment…

- Je suis désolée, ma belle. Je ne peux même pas jouer mon rôle de belle-mère en te rassurant et en te disant comment se passent ces choses-là, puisqu’on m’a livré mon Louka déjà tout fait. Mais je suis sûre que tout ira bien, cette fois-ci.

- Mais, coupa Chiara, comment ça, “cette fois-ci” ?

- Oh, pardon, je pensais que tu étais au courant, Chiara.

- Au courant de quoi ?

- Well, intervins-je. J’ai fait une fausse couche, il y a quelques années. Une petite fille… Qui était la fille de Louka. À cinq mois de grossesse.

- Oh ! Je suis désolée, Romy. Et cet imbécile ne m’en a même pas parlé !?

- Il ne l’a su que beaucoup plus tard… Je n’en suis pas fière, mais à l’époque, je ne lui ai pas dit que j’étais enceinte.

- … Je n’en reviens pas…

- Pardon, Chiara, je ne voulais pas spécialement vous le cacher, c’est juste que l’occasion ne s’est jamais présentée.

- C’était quand ?

- Après le deuxième été que j’ai passé chez vous, avec Mila.

- Oh… Et ta santé ?

- Ça va, il n’y a pas eu de conséquences. Enfin, j’ai été vraiment très triste pendant des mois et des mois et puis, avec le temps… Mais je n’en ai parlé à Louka que plusieurs années plus tard.

- Va bene…

- Chiara, Malika, je vous assure que ma grossesse se passe très bien et qu’il n’y a pas de risque particulier pour le petit. Dans trois jours, s’il est ponctuel, vous le prendrez dans vos bras.

- Ponctuel, le fils de Louka ? railla Malika. Ce n’est pas gagné…

- Vous avez raison, souris-je.

- En tout cas, s’exclama Chiara, Pietro me doit un tour de vaisselle !

- Perché ? s’étonna Louka qui revenait avec le thé.

- Cet été-là, je trouvais étrange que tu ne ramènes aucune minette à la maison, Louka mio. Ce n’était pas dans tes habitudes, c’est de notoriété publique depuis la pointe de Pertusatu jusqu’à l’extrême Nord du cap corse !

- A ce point-là, Shams ?

- Euh… Peut-être, Mama…

- Et donc, reprit Chiara, comme je trouvais cette sagesse étonnante, voire franchement louche, j’ai parié avec Pietro qu’il y avait une fille là-dessous. Et que cette fille, c’était Romy ! J’ai donc gagné mon pari, et un tour de vaisselle… Ah, le filou ! Je finis mon thé et je descends lui tirer les oreilles pour ne m’avoir rien dit. Et toi, Louka mio, tu ne perds rien pour attendre. La prochaine fois que tu me fais des cachotteries, tu auras affaire à moi. »

Comme d’habitude, Louka resta impassible sous l’orage… Puis Chiara, fidèle à elle-même, passa à autre chose avec une facilité déconcertante ! Cette femme était un vrai film à elle toute seule… Un film qu’aucun de nous ne se lasserait jamais de regarder les soirs de pluie.

*Il pleut, d'Emilie Simon ; in Emilie Simon, 2003.

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