CLXXXI. My heart belongs to Daddy

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CLXXXI. My heart belongs to Daddy*


J-1.

Mon papa atterrit à Roissy sous un ciel d’encre ou de pétrole ; l’avion avait du retard, les bagagistes faisaient grève et la machine biométrique de la douane était en panne : bienvenue en France ! Mais il ne s’en préoccupa même pas, tout à sa joie de me retrouver.

A peine une heure plus tard, il me serrait dans ses bras comme le plus beau des trésors. Avant de reculer un peu pour me laisser respirer et aussi, pour poser ses mains toutes émues sur mon énorme ventre en disant : “You look beautiful, sweetheart. How are you ? Both of you ?” Je le rassurai dans un sourire avant de réclamer un deuxième tour de hugs paternels.

Louka nous interrompit un instant pour lui présenter « ma mère, Malika Kerguelen Dos Santos ; euh, I mean Malika Cherif ». Ils se saluèrent, se congratulèrent mutuellement sur notre enfant à naître, s’enquirent de leurs voyages respectifs… Puis mon Daddy et moi nous installâmes sur le canapé pour bavarder un peu, tandis que Malika entraînait son fils en cuisine où elle avait besoin d’aide.


Plus tard, les épices embaumaient dans la chaleur de l’appartement, comme si l’âme du Maroc voulait chasser toute cette pluie qui n’en finissait pas de détremper Paris. Nous passâmes à table tous les quatre, avec un menu particulièrement alléchant : soupe de fèves, salade de carottes à la coriandre et couscous de légumes. Un vrai régal ! Que mon Papa dégusta comme on découvre un nouveau monde.

« - C’est délicieux ! C’est toi qui as préparé tout ça, Louka ?

- Non, pas cette fois. Désolé de vous décevoir, mais c'est Mama qu’il faut féliciter. Je ne sais pas cuisiner tout ça. Du moins, pas tout seul.

- Dans ce cas, madame, je suis doublement heureux de faire votre connaissance !

- Merci ! Je suis contente de vous rencontrer, moi aussi. Mais appelez-moi Malika, please. Nous allons être grands-parents ensemble, je crois qu’on peut laisser tomber les formalités.

- Indeed. Then you must call me William.

- Enchantée, William. Votre fille est charmante, je vous en félicite.

- Merci ! Même si je n’y suis pas pour grand-chose, car Romy ressemble beaucoup à sa mère… A ce propos, d’ailleurs…

- Oui ?

- Well, il faut que je vous dise que ma femme vous détestait.

- Pardon ?

- Dad, what the hell are you saying ?

- Mais c’est vrai ! Ta maman était raide dingue de Luís Kerguelen, tu le sais très bien. Alors forcément, elle n’aimait pas trop sa femme… Je vous choque, Malika ?

- Non... J’ai entendu ça un million de fois !

- Si elle avait su qu’un jour, elle partagerait un petit-enfant avec lui… Enfin, peu importe. Elle aurait surtout aimé te voir heureuse, ma chérie, heureuse dans ta vie, heureuse avec toi-même. Elle aurait été si fière de toi… Et ravie d’être grand-mère...

- Merci, Dad. Je pense beaucoup à elle, ces jours-ci.

- …

- Et Jane, elle va bien ?

- Très bien. Elle t’embrasse. Elle n’a pas voulu s’imposer, je crois. Pour ne pas avoir l’air de prendre une place qui n’est pas la sienne… Mais elle m’a dit de vous dire qu’elle révisait toutes ses recettes de tartes et de gâteaux pour être prête pour le petit.

- J’espère qu’on pourra en manger aussi ! Ça m'aurait fait plaisir qu’elle soit là, anyway.

- Alors elle viendra pour le prochain, sweetheart.

- Eh, s’étrangla Louka ; chaque chose en son temps, please.

- You’ll see... Vous, Malika, combien de petits-enfants aimeriez-vous ?

- Oh… Je ne sais pas. Peu m’importe, je crois. Du moment que je peux les voir grandir. Du moment que Louka est heureux. Et du moment que je peux les gâter de temps en temps.

- Vous avez mille fois raison ! Et puisque nous sommes sur le même continent, on pourra s’arranger, l’été : il doit bien y avoir des liaisons aériennes pour faire Cheyenne - Buenos Aires.

- Dad, il va falloir attendre un peu, quand même, avant qu’il puisse faire le tour de l’Amérique pendant les vacances !

- Good. J’attendrai, puisqu’il le faut. Mais pas longtemps, car cet enfant sera un globe-trotter ! Tout l’inverse de moi… Regarde, il n’est même pas né qu’il a déjà un sacré bilan carbone, avec tous les kilomètres que nous avons faits pour venir, les uns et les autres… Anyway, je suis prêt. Et tout est prêt à la maison, vous pourrez venir quand vous voudrez. Enfin, if you wish.

- Of course I wish ! Je veux qu’il te connaisse, et je veux qu’il aime le Wyoming. Il faudra qu’il sache quand même qu’il n’y a pas que la Méditerranée, dans la vie.

- Ouhla, intervint Louka. Ne te risque pas à dire un truc pareil devant Chiara…

- Bien sûr que non, je ne suis pas folle !

- God, reprit mon père, est-ce que je vais rencontrer Chiara Battisti ?!

- Yes you will, confirma Louka. Elle est à Paris depuis deux jours. Là, elle dîne chez son fils et sa belle-fille.

- Pietro et Ingrid, vos voisins du dessous. Romy m’a parlé d’eux au moins mille fois.

- Indeed. Donc ce soir, c’est chacun chez soi, mais vous la verrez à la maternité. Personne ne pourrait l’empêcher de venir, à part peut-être une guerre mondiale ou un tsunami.

- Je n’en reviens pas… Je vais rencontrer Chiara Battisti ! Ohlalalala…

- Tu verras, Dad, tu ne seras pas déçu.

- J’en suis sûr… En tout cas, ça en fait du monde qui attend son arrivée, à ce bébé !

- Il n’y aura plus très longtemps à attendre, maintenant… »


Louka avait murmuré cela tout bas, comme si ces mots étaient encore dans une autre réalité. Mon père, tout à ses rêves de cinéphile, ne vit pas son émotion, mais Malika, elle, serra furtivement la main de son fils. Ils n’échangèrent rien d’autre qu’un silence dans lequel, je le savais, flottait encore l’ombre de quelqu’un qu’ils avaient tant aimé et qui, ce soir-là, leur manquait encore plus fort que d’habitude.



*My heart belongs to Daddy, de Marilyn Monroe ; bande originale du film Le milliardaire, 1960.

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