CLXXVII. Le jour s’est levé

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CLXXVII. Le jour s’est levé*


Nos vacances, comme toutes les meilleures choses, devaient avoir une fin. Nous étions gavés de brocciu, gorgés de soleil, imbibés de sel, et l’heure de rentrer à Paris approchait.

Pour notre dernier soir à Cargèse, nous dînâmes tous ensemble avec beaucoup de joie, de bonne humeur et d’amour dans l’air, comme si Chiara, par sa seule présence, illuminait tout ce qui l’entourait. Tous ceux qu’elle entourait. A commencer par Louka, qu’elle couvait de l'œil encore plus intensément que d'habitude, comme si à la veille, ou presque, de la naissance de notre enfant, elle guettait d’encore plus près, encore plus fort, tout ce qui pouvait arriver.

La nuit passa en un éclair et lorsque je me réveillai, j’étais seule dans le lit. Je me tournai face à la baie vitrée dont les rideaux n'étaient qu’à moitié tirés, il faisait clair, quelques cumulus de beau temps s’effilaient dans le ciel juste pour que l’on ne s’ennuie pas en levant le nez. Louka était déjà levé, le soleil était bien haut… Je m’approchai de la fenêtre pour admirer pleinement la vue.


Sous mes pieds, sur la terrasse, j’entendis résonner de l’italien : Lucia qui bavardait joyeusement, Pietro et Louka qui plaisantaient sur un sujet que je ne compris pas, Chiara qui de temps en temps, interférait dans leur discussion sur un ton parfaitement royal… Puis mon prénom s’invita dans la discussion.

« - Romy dort encore, Louka mio ? Elle est pas mal fatiguée, non ?

- Non, ça va. Elle aime bien faire la grasse matinée, c’est tout.

- Sei securo ?

- Mais oui… J’en suis sûr.

- Va bene.

- …

- Tu ne veux pas monter quand même, pour vérifier ?

- Si ça peut te faire plaisir…

- Oui ! Grazie.

- …

- Cuore mio… Je suis fière de toi, tu sais.

- Quoi ? Juste parce que je daigne vérifier que Romy va bien quand tu t’inquiètes pour elle ?

- Perché tu commences enfin à vivre, même si tu y vas sur la pointe des pieds. J’en suis heureuse. Et oui, je le répète : je suis fière de toi, amore mio.

- …

- Allez file, maintenant… »


Dix minutes plus tard, Louka entrait dans la chambre à tout petits pas, équipé d’un plateau plein de victuailles et d’un air mi-filou, mi-inquiet. Il me trouva assise par terre, derrière la vitre grande ouverte, en extase absolue devant la vue plein cadre sur la Corse. Il s’accroupit près de moi, posant mon petit déjeuner juste devant moi, je lui souris avant de reporter mon regard vers la baie de Sagone qui scintillait sous nos yeux.

« - Tu sais, Louka, plus on vient ici, plus je comprends à quel point tu aimes ce pays. Pas seulement pour sa beauté… Mais pour sa grandeur. Sa force. Son caractère. Il y a tout, en Corse. Il y a du bleu, du vert, du rouge, du blanc. Il y a la mer, le vent et le soleil. Il y a l’Histoire, la terre, le maquis, les falaises… Sans parler de la bière ni de la charcuterie !

- Well, tu es mûre pour postuler à l’office de tourisme de Cargèse ! Mais tu as parfaitement raison. J’aime la Corse, plus que je ne saurais le dire dans aucune de mes langues.

- Et puis, il y a Chiara, aussi… Chiara, qui t’a redonné un ancrage quand tu n’en avais plus.

- That’s right.

- …

- Actually… A propos d’ancrage… J’ai fait mes devoirs de vacances.

- What ?

- Tu m’as missionné pour chercher un deuxième prénom à ton fils, tu te souviens ? Un prénom marocain.

- Sure ! Et alors, tu en as trouvé un ?

- Oui… J’ai pensé à Naïm.

- Naïm ?

- Oui.

- Naïm… Ça sonne bien. What does it mean ?

- Na’îm, ça veut dire “heureux”.

- J’aime bien...

- Really ?

- Yes. Va pour Naïm. And… By the way, moi aussi j’ai réfléchi à la question.

- Did you ?

- Oui. J’ai trouvé un petit livre des prénoms corses l'autre jour, à Calvi, et je l’ai presque appris par cœur ! Mais j’hésite encore.

- Et j’ai le droit de connaître ton top three ?

- Well, j’aime bien Alanu, que je trouve assez doux… Et qui ressemble à “Alan”. Matteu, qui sonne presque comme “Matthew”. Ou bien Raffaellu, moins évident en anglais, mais j’ai lu que ça voulait dire “celui qui guérit”, j’ai trouvé ça joli.
- …

- Il y en a un qui te plaît ?

- Maybe. Mais il faut que j’y réfléchisse. »


Le soleil inondait ma joue dans le matin bleu comme du cristal. Je m’étais appuyée contre Louka en fermant les yeux pendant qu’il caressait mon ventre. A un moment, ma crevette donna un petit coup, comme pour donner son avis sur ce que je disais à cet instant-là. La scène était parfaite, romantique à souhait, éminemment tendre… Mais parmi les trois prénoms que j’avais proposés à son père, le bébé semblait avoir déjà choisi… Celui des trois qui me plaisait le moins ! Ce qui amusa beaucoup Louka quand je le lui dis d’un air so much dépitée.



*Le jour s'est levé, de Téléphone ; in Rappels, 1991.

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