CLXI. Y’a d’la joie

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CLXI. Y’a d’la joie*


Pregnant. J’avais envie de me pincer presque tous les matins tellement j’avais du mal à y croire. J’avais l’impression d’avoir gagné le premier prix à une immense loterie : un voyage à deux dans un pays qui n’existait pas encore !

Ma grossesse était un secret de Polichinelle, à double titre. Parce que j’en avais un dans le tiroir (encore une drôle d’expression française…) et parce que, même si nous avions décidé d’attendre la fin du premier trimestre pour en parler, il y avait une personne à qui Louka était bien incapable de ne pas annoncer une nouvelle pareille : Pietro, évidemment ! Celui-ci, une fois informé, sut tenir sa langue… Et m’envoya un message adorable qui m’émut profondément.

Pietro Battisti : “Chère Romy, il paraît que tu nous prépares une bien jolie surprise… Je ne sais pas comment dire ça sans une grandiloquence tartignole, exubérante, très italienne et 100% Battisti, mais vraiment, je suis heureux ! Ce grand imbécile de Louka sera un super papa, même s’il ne le sait pas encore. Et la Mamma se rappellera longtemps de l’année où elle sera devenue deux fois grand-mère… Elle n’aurait jamais imaginé un si chouette scénario ! Mais pour l’instant, motus... Prends soin de toi et de ton petit. Je t’embrasse. Zio Pietro.”

Romy Anderson : “Merci Pietro. Si tu voulais me faire pleurer, c’est réussi ;) Mais je suis très touchée. Louka a bien choisi son meilleur ami ! Gros bisous à vous trois et demi.”

Malgré le grand sourire niais qu’avait provoqué cet échange de textos, je dois avouer que j’étais inquiète. Inquiète de faire une seconde fausse couche. Inquiète des vieux démons que Louka n’avait pas fini d’affronter. Inquiète de ne pas savoir m’occuper de mon bébé correctement. Inquiète de lui transmettre ce que je n’aimais pas chez moi. Inquiète de partir trop tôt pour le voir grandir, comme ma propre mère.


Je finis par en parler à Louka, un soir en rentrant du travail. J’étais épuisée, angoissée, et sans doute assez chiante, si vous me pardonnez l’expression… J’étais en train de râler sur je-ne-sais-quel problème au travail et Louka me fit taire très gentiment en m’attirant contre lui et en posant son doigt sur mes lèvres.

« - Romy… Ce n’est pas grave, tout ça. Tu es tendue comme une pendille dans la tempête. Tu me dis ce qui te tracasse, pour de vrai ?

- Mais rien…

- Si.

- Well. Je suis un peu inquiète.

- Un peu ?

- Un peu beaucoup.

- Why ?

- Because j’ai peur de perdre le bébé. Je ne veux pas prendre de risques. Tu comprends ?

- Oui. Mais le médecin t’a dit que tout allait bien.

- La première fois aussi, le médecin m’avait dit que tout allait bien…

- Je sais. Mais il n’y a aucune raison que ça se reproduise. Tu es en bonne santé, tu n’as aucune séquelle. Alors lève un peu le pied au boulot, et tout ira bien.

- …

- Please.

- Hmmm… Et tu vas me traiter comme une princesse pendant des mois ?

- Mouais… J’ai soudainement l’impression de me faire avoir, non ?

- Pas du tout. Mais chacun son job. Moi, je suis enceinte et toi, tu me dorlotes.

- Alors je vais demander à Pietro de m’apprendre ce qu’il faut faire ; parce que moi, les princesses, ce n’est pas mon truc. »


Pourtant dès le lendemain, Louka transforma l’essai. En effet, lorsque je rentrai (assez tard) de mon travail, je trouvai une table toute prête à nous accueillir et un chef cuisinier en pleine action. Le menu était parfaitement américain, juste pour me faire plaisir : barbecue ribs, écrasé de pommes de terre maison et en dessert, un assortiment de cupcakes aux glaçages tous plus tape-à-l’oeil les uns que les autres. Une vraie princesse, indeed !

Après dîner, je pris une longue douche bien chaude pour me détendre. Quand je revins au salon, la vaisselle était faite et Louka était assis sur le canapé avec un énorme bouquin en italien. Je m’invitai sur ses genoux, l’interrompant gentiment dans sa lecture… Alors il me sourit, et reprit la discussion avec de la taquinerie dans la voix.

« - Tu en profites, ou c’est une impression ?

- Tssss. Ne te plains pas : huit mois, c’est vite passé.
- ...

- En vrai, tu n’as pas besoin des conseils de Pietro. Tu te débrouilles très bien tout seul ! Merci pour le dîner, c’était adorable.

- Good ! Mais ne t’y habitue pas trop, quand même. Huit mois, c’est vite passé, n’est-ce pas ? »


Ainsi filèrent les jours et les semaines comme autant de petites victoires sur mes incertitudes. Je n’osais pas encore espérer et gardais dans le cœur une morsure douloureuse. Et quand au coin d’une rue, au détour d’une vitrine, mon regard se posait sur un petit vêtement tout mignon, sur un joyeux jouet, sur le dernier modèle de biberon, je me gardais bien de m’attarder.


Ce fut finalement l’échographie qui me tranquillisa. Le bébé se portait comme un charme, son cœur battait fort et il n’y en avait qu’un (ouf!). Louka était là, il scotchait ses yeux tout émus sur l’écran, la gynécologue nous parlait tout doucement… Tout allait bien.

Nous rentrâmes rue de Médicis dans un silence un peu cotonneux, chacun perdu dans ses pensées. Louka posa sur le bar les deux images imprimées que l’on nous avait données... Et nous restâmes là quelques minutes à regarder notre future progéniture qui, objectivement, ne ressemblait pas à grand-chose.

« - Il a ton nez, Romy, tu ne trouves pas ?

- Méchant ! Il a plutôt le nez de E.T...

(Je lui pinçai doucement le bras)

- Aïe ! C’est bien ce que je disais : ce n’est pas de mon côté, ça.

- Gnagnagna. C’est tout flou, d’abord.

- …

- Louka ?

- Oui ?

- On va pouvoir le dire, maintenant.

- Really, tu es prête ?

- Oui.

- Alors il faut que je te montre quelque chose.

- Quoi donc ? »

Il s’éclipsa rapidement et revint avec un sac en papier rouge qu’il me tendit sans rien ajouter. Je l’ouvris sans tarder, et en tirai un doudou tout mignon, tout rond, tout roux, tout doux, en forme de petit chameau. Il était tellement cute… J’en eus les larmes aux yeux ! Et je m’empressai d’embrasser le très sexy futur papa.


Nous allions avoir un bébé : il était temps de proclamer la nouvelle à travers le monde.



*Ya d'la joie, de Charles Trénet ; single, 1936.

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