CLXII. I am calling you*

(Episode 1 : Chiara

Louka en appel vidéo, assis dans la cuisine, et moi sur le canapé. Soleil bas sur Paris.)

« - Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !!!

- Ma ! Tu es folle ! Je viens de perdre un tympan !

- Oh ! Tant pis ! C’est un cas de force majeure.

- Rien que ça ?

- Assolutamente ! Mais, vraiment, cuore mio ? Romy est enceinte ?

- Non, c’est la voisine.

- Stupido !

- …

- Ça alors, quelle nouvelle ! Et moi qui pensais que tu resterais libre et Don Juan jusqu’à tes cent ans ! Que tu prendrais soin de mes vieux jours sans devoir te partager avec aucune autre femme, à part Malika évidemment… Et maintenant tu vas être papa ? Qui l’eût cru… C’est toute la gente féminine de l'Île de Beauté qui va prendre le deuil.

- Rien que ça ! Parfois, Chiara, je me demande pourquoi tu es devenue réalisatrice plutôt que comédienne ? Tu as d’immenses prédispositions…

- Je préfère écrire la partition des autres et que ce soit eux qui se ridiculisent.

- …

- Ma, Louka mio… Tu sais que dans quelques mois, tu vas devoir t’occuper d’un petit être qui va brailler, baver, vomir et tutti quanti ?

- Sì.

- Et tu n’es pas parti en courant ?

- J’ai failli…

- Oh…

- …

- Ne pars pas, Louka. Romy a besoin de toi. Ton enfant aura besoin de toi. Tu feras des erreurs, comme tout le monde, mais tu apprendras tous les sens et toutes les facettes de l’amour absolu. Crois-moi… Et vis, Louka mio, vis à fond ! Puisque tu as eu la chance de rencontrer une fille digne de toi… Et sacrément patiente, si elle arrive à te supporter !

- Lo so. Romy a bien du mérite ! Mais surtout, ne le lui dis pas, ça la rendrait insupportablement triomphante.

- …

- Chiara ? Tutti va bene ?

- Sì, sì... C’est juste que je suis si contente !

- …

- Tu diras à la future maman que je me réjouis très fort et que je l’embrasse doublement.

- D’accord.

- Louka Kerguelen va être papa… Je n’en reviens pas ! Dimmi, tu vas troquer tes planches de kitesurf contre une collection de charentaises à carreaux ?

- No, non credo. Romy n’est pas aveugle ! Et je ne voudrais pas me retrouver père célibataire.

(Chiara éclata de rire comme tous les soleils de l’Italie)

- Ti amo, Louka mio. Et je suis vraiment très, très heureuse. »

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(Episode 2 : Malika

Même scène que précédemment, mais une minute plus tard.)

« - …

- Mama, tu m’as entendu ?

- Oui ! Oui, habibi, je t’ai entendu.

- Tu as l’air toute bizarre... A quoi tu penses ?

- A toi… A la lumière que ton enfance avait mise dans ma vie.

- …

- Et aussi à ton père… A ce qu’il aurait ressenti s’il avait été à côté de moi pour t’entendre me murmurer cette grande nouvelle de ta petite voix.

- Et ?

- Je crois qu’il aurait été très ému. Et très heureux.

- …

- Mais…

- Mais ?

- Eh bien… Je ne sais pas comment sa carrière aurait pu résister à ça : Luís Kerguelen, papy ! Tu imagines ? Son sex-appeal en aurait pris un coup.

- …

- Pardon, Shams, je regarde vers hier alors que tu m’annonces beaucoup de belles choses pour demain… J’en suis heureuse, mon chéri, j’ai du mal à réaliser mais je suis sûre que je serai une grand-mère tout à fait passable.

- Ça oui, j’en suis sûr.

- Si c’est un garçon, je vais pouvoir ressortir tous tes petits habits…

- Ne me dis pas que tu as gardé toutes mes fringues de bébé ?!

- Mais si ! Bien sûr. Enfin, à partir du moment où tu es arrivé à la maison… Donc je n’ai rien en taille naissance, mais en neuf mois et plus, j’ai de quoi faire.

- Mama…

- Oui, habibi ?

- Promets-moi que tu n’affubleras jamais mon enfant de cette affreuse combinaison jaune que tu t’obstinais à me faire porter et qui me faisait ressembler à un canari atteint de jaunisse.

- Quoi ? Elle était très jolie !

- Elle était atroce.

- Bon… Bon, si tu insistes.

- J’insiste.

- Alors d’accord, je te le promets, chère tête-de-mule ! Aujourd’hui je ne peux pas te dire non, après cette si belle nouvelle.

- …

- Romy va bien ?

- Oui. Oui, ça va. Quelques nausées, c'est tout.

- Il n’y a pas de risque, avec sa fausse couche ?

- Apparemment non. Mais comment tu sais ça, toi ?

- C’est elle qui m’en a parlé, quand nous nous sommes vues à Essaouira.

- …

- Maintenant il faut prendre soin d’elle, habibi. Tout le reste n’a plus aucune importance. »

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(Episode 3 : Mila

Louka et moi en appel visio sur le balcon, côte à côte, à contre-jour sur le ciel orange.)

« - Really ???

- Oui, sweetheart.

- Oh !

- Tu m’avais dit un jour que tu avais envie d’être Tata ?

- Oui ! Je suis contente !

- Good.

- Il va naître quand ?

- En novembre.

- Alors on ne pourra pas se retrouver dans le Wyoming pour Noël ?

- Non, my dear, pas cette année. Le bébé sera trop petit pour faire un si long voyage.

- Dommage… J’ai bien aimé Jane et son apple pie.

- Tu auras plein d’occasions de les voir plus tard, aussi bien Jane que son apple pie, ne t’inquiète pas.

- C’est une fille ou un garçon ?

- We do not know yet.

- …

- Mila ? Hey…

- Louka… Tu veux bien que je vienne en France à Noël ? Pour voir le bébé ?

- Oui. Ça nous fera très plaisir, sweety, que tu viennes.

- But… Même s’il y a Malika ?

- Of course, Mila.

- Alors je viendrai.

- …

- You know what ? Si j’avais pu choisir ma belle-sœur, Romy, c’est toi que j’aurais choisie. »

*I am calling you, de Jevetta Steele ; bande originale du film Badgad Cafe, 1988.