CCXII. Comme toi

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CCXII. Comme toi*

A notre retour au bercail, Paris nous accueillit sous des trombes d’eau. Super… Le ciel était plombé comme une enclume, le vent tourbillonnait à l’angle des ruelles et les passants n’étaient que des ombres sombres sur les pavés glissants. Louka et moi étions épuisés, Lisandru était grognon, les heures de vol pesaient sur nos épaules comme sur nos paupières et après quelques formalités d’usage (biberon, lessive, douche, courrier, arrosage des plantes) nous nous écroulâmes littéralement sur notre lit. Il était à peine 20h mais je me roulai dans la chaleur de Louka sans l’intention de bouger d’un pouce avant d’avoir fait au moins le tour du cadran.

Mais soudain, en pleine nuit, un bruit sourd me fit ouvrir l'œil. Quelqu’un frappait à la porte, doucement mais avec insistance. Je regardai mon téléphone (4h du matin, chouette…) et me rendormis sans demander mon reste. Deux minutes plus tard, le tambourin reprit, doublé d’une toute petite voix. Louka se leva en trombe pour aller ouvrir et je le suivis comme un zombie.

C’était Lucia, en larmes et en pyjama, rouge comme un lampion japonais un peu baveux. Elle se jeta dans les bras de son Zio chéri, hoquetant entre deux sanglots, disant qu’elle avait cru qu’il ne reviendrait jamais ! Il entreprit de la calmer, elle s’étranglait en italien tandis qu’il la berçait doucement pour l’apaiser un peu. Pendant cinq bonnes minutes, elle resta pressée contre l’épaule de Louka comme si elle ne l’avait pas vu depuis dix ans, grands yeux de billes et pouce dans la bouche. Il lui caressait le dos et les cheveux en murmurant tout doucement et quand elle eut enfin repris son souffle, il l’installa sur un tabouret et lui servit un verre de lait chaud.

« - Cara mia, tu as prévenu ton papa ou ta maman que tu venais ici ?

- Non, Zio. Ils dorment.

- Il est encore très tôt, Lucia, il faut retourner au dodo.

- Je veux rester avec toi.

- Ma chérie, tes parents vont s’inquiéter. Je vais te ramener dans ton lit.

- Non !

(Elle hurla comme une sirène anti-aérienne un peu grippée)

- Chuuuuuuuuuuut… Ne crie pas comme ça, tu vas réveiller Lisandru… Et tout l’immeuble !

- …

(Elle se remit à pleurer à grosses larmes)

- Lucia mia, calme-toi. Tout va bien, Zio est là maintenant ! Nous allons redescendre dans ta chambre et je vais rester avec toi jusqu’à ce que tu dormes.

- …

- Allez, avanti ! »

Il la prit dans ses bras et elle ne protesta même pas, se contentant de se coller à lui et de poser sa tête tout contre son torse. Elle mit son pouce dans la bouche, agrippa Louka de ses petites mains et murmura quelque chose en italien que je ne compris pas. Je lui embrassai le front et repartis me coucher tandis que le binôme sortait de l’appartement pour rejoindre l’étage du dessous. Ce n’est qu’une bonne demi-heure plus tard que je fus réveillée par la chaleur de Louka se glissant de nouveau contre moi dans le lit.

« - Elle a réussi à se rendormir ?

- Oui… Mais heureusement que nous avons un double des clés car la porte s’était refermée derrière elle, tu imagines, si elle était restée à errer dans l’escalier en pleine nuit ?

- Quelle chipie… Tu l’as un peu grondée quand même ?

- Non. Je lui ai dit qu’on en reparlerait demain et je lui ai lu une histoire pour qu’elle s’endorme. Elle a lutté contre le sommeil, si tu l’avais vue, les paupières lourdes et les yeux papillonnants ! Tout ça pour que je reste un peu plus longtemps…

- Ingrid et Pietro vous ont entendus ?

- Je ne crois pas, non.

- Il faut quand même qu’elle arrête de partir comme ça toute seule…

- I know ! Je le lui dirai. Et à mon avis, elle va être punie ! Mais je ne suis pas sûr que ça change grand chose : Lucia est têtue comme sa grand-mère…

- Et son Zio préféré.

- What ? Not at all. Je suis innocent comme tout.

- Tu es pire que tous les Battisti réunis !

- Ce n’est pas gentil, ça… »

Il murmura cela d’une voix de loup affamé et me poussa à m’allonger sur le dos en me coinçant sous le poids délicieux de sa silhouette parfaite. Il me gratifia d’un sourire carnassier avant de s’attaquer, lentement mais sûrement, au petit pyjama rouge que j’avais enfilé pour le rejoindre au salon. Louka n’avait visiblement plus tellement envie de dormir. Et puisque nous étions bien réveillés, autant s’occuper agréablement, non ?

Ses lèvres explorèrent mes seins, sa langue caressa ma peau… Il avait peut-être la tête dure comme un sanglier corse, mais il pressait contre moi un corps doux et chaud comme le plus tendre des chamallows. Je le parcourus de tout mon coeur et de tous mes doigts : le moelleux de son ventre, l’encre de sa clavicule, le creux de ses reins, le rond de ses fesses, le ferme de son sexe… Et puis la filouterie joyeuse, infinie, enfantine, de ses yeux verts et profonds comme la Méditerranée sous le soleil de Rondinara. Un vrai délice !

Après l’amour, il posa son visage sur mon ventre, tout doucement, roulé en boule sur lui-même, me laissant lui effleurer la joue, la nuque, les cheveux. Il était d’une beauté absolue, comblée, radieuse, comme si de tout ce noir qu’il avait remué au Brésil, il commençait enfin à faire jaillir la lumière. Je n’osais pas y croire, et ne pus m’empêcher de laisser mes pensées vagabonder un peu le long de l’Amazone avant de lui murmurer :

« - Tu m’as tellement manqué, Louka…

- Hmmmm…

- Tu as des nouvelles de Chiara ? Elle avance sur son film ?

- Pas encore, non. Elle en a pour un moment ! Et puis…

- Et puis ?

- Elle m’a promis de ne rien diffuser sans mon accord.

- I remember…

- Mais en attendant, elle m’a demandé de lui faire confiance. Alors j’essaie… Je la laisse travailler sans lui poser de questions.

- Good. Alors tu n’as plus peur ? I mean, pour Lisandru…

- Disons que Mama a presque réussi à me convaincre qu’en admettant que ce Camaleão soit encore en vie, il s’en serait pris à moi depuis longtemps s’il l’avait voulu. C’est à la sortie du film qu’il faudra faire attention… Mais d’ici là, peut-être que son pote d’Interpol nous aura trouvé quelques informations supplémentaires.

- I hope so. Anyway, je suis contente que tu sois plus serein.

- Well, je n’irais pas jusqu’à dire que je suis serein. Je commence à penser qu’on ne saura jamais qui était cette femme et pourquoi il l’a tuée. Et je ne sais pas si je pourrai l’accepter, Romy. Accepter comme ça, sans comprendre, que Papa était un criminel.

- Tu as fait tout ce que tu as pu, Louka. But now, il faut tourner la page. Regarder devant toi.
- Je sais, oui. Je suis désolé, Romy, tu dois en avoir marre de toutes ces histoires ! J’étais complètement flippé quand on s’est vus à Buenos Aires… Mais ça n’avait rien à voir avec toi.
- I know.

- Merci d’être venue, en tout cas. J’en avais besoin.

- I know that too.

- …

(Il m’embrassa d’abord doucement, puis plus fort, et mon sang se mit à brûler dans mes veines)

- Louka ?

- Oui ?

- Je suis fière de toi.

- Parce que j’embrasse bien et que je suis un bon coup ?

- Dummy !

- …

- Et puis tu n’es peut-être pas si bon que ça, après tout…

- Really ? Pourtant tu ronronnais et ondulais il y a à peine une minute, dès que je faisais ça… »

Il avait sournoisement changé de position pour revenir sur moi, oeil de feu, peau de velours, ses bras me tenaient prisonnière de part et d’autre de mon corps et mes hanches se pressaient contre les siennes comme le maquis estival sous l’ombre d’un Canadair. Je ne fis pas semblant de résister plus longtemps et me laissai grignoter, dévorer, incendier sans plus attendre.

*Comme toi, de Jean-Jacques Goldman ; single, 1983.

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