CCVIII. If you were a sailboat

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CCVIII. If you were a sailboat*

Je pris l’avion pour JFK avec un Lisandru étonnamment sage dans les bras. Mais il faut dire qu’un banal petit Cheyenne-New York, pour un bébé qui à six mois, avait déjà enchaîné Paris-Buenos Aires puis Buenos Aires-Cheyenne, ce n’était vraiment rien du tout.

Je retrouvai Mila devant Central Park Zoo. Elle était jolie comme tout, jupette bleue et cheveux d’or. Elle semblait si heureuse de nous voir ! Enfin, de voir son neveu, parce qu’à peine l’eût-elle pris dans ses bras que je me sentis presque transparente… Pourtant cela me fit chaud au cœur comme une pomme d’amour dans une fête foraine, et je mis un point d’honneur à ne pas me vexer. Elle montrait à Lisandru les animaux, les plantes, le soleil, tout ce qui lui passait sous le nez, il la regardait de ses yeux immenses et lui adressait risette sur risette, c’était trop mignon.

Après une bonne balade au vert, nous prîmes un taxi pour rejoindre South Street Seaport, au pied du pont de Brooklyn. Glace pour Mila, biberon pour Lisandru, diet coke pour moi : nous étions fin prêts pour l’arrivée (forcément triomphale) de nos marins d’eau salée.

En réalité, lorsqu’ils pointèrent le bout de leur étrave, leur bateau sembla minuscule au milieu des gratte-ciel et des géants des mers amarrés autour de nous. Mais cela importait peu. Pietro et Louka étaient très beaux, avec leur complémentarité absolue, leurs cernes mauves, leurs barbes d’une semaine, leurs visages parfaits, leurs yeux d’émeraude ou de saphir. Leurs gestes étaient fluides, instinctifs, ils arboraient des sourires aussi larges qu’une transatlantique et l’italien volait de l’un à l’autre comme une balle de ping-pong.

A peine furent-ils amarrés que Louka sauta sur le quai avec beaucoup de légèreté. A croire que le vent avait rincé tout le poids de ses épaules ! Sa paupière était encore un peu jaunie mais il avait repris du poids et son regard était clair, droit, serein. Il ne lui fallut pas plus de deux secondes pour nous prendre dans ses bras et nous embrasser : sur le front pour son fils, sur la joue pour Mila, sur les lèvres pour moi.

Juste après, Pietro râla un peu (« Et moi, je n’ai pas droit à un comité d’accueil ? ») Je déposai un gros bisou sonore sur sa joue droite, Mila en fit de même sur la gauche et je lui mis Lisandru dans les bras (« Tiens, au lieu de ronchonner, occupe-toi de ton… Neveu ? Filleul ? Bref, du fils de ton pote. »). Il ricana un peu niaisement et fit un gros câlin à mon fiston (« Come va, petite crapule ? Tu racontes à Zio Pietro ce que tu as fait dans le Wyoming ? »)

Trois heures plus tard, après un nettoyage en règle du bateau auquel je me gardai bien de contribuer, nous quittâmes le port. Direction : l’appartement de Thomas Carter, où nous étions tous invités pour l’apéritif. Mila était toute excitée, elle ne cessait de jouer avec Lisandru comme on découvre un continent inexploré, encore un peu sauvage, mais prometteur ! Louka me tenait la main, Pietro savourait sa bière, New York était grise et orange comme une marmelade de particules fines. Thomas, comme souvent, observait beaucoup et parlait peu, se contentant de laisser rayonner sa bienveillance naturelle dans la moiteur printanière du salon. La vie était fluide et mélodieuse, les mots se croisaient comme les regards : Louka taquinant Pietro sur sa nullité culinaire, Pietro taquinant Louka sur son art sans cesse renouvelé de se blesser, Thomas leur demandant s’ils ne se disputaient jamais, les deux répondant en choeur que non, jamais. Puis Mila proposant soudain de garder Lisandru pour la nuit, Louka haussant les sourcils de surprise, Thomas confirmant qu’il était d’accord, et moi avec dans la tête et sur ma peau quelques envies de galipettes en tête-à-tête avec mon marin préféré.

Louka fut plus difficile à convaincre : il n’avait pas vu son fils depuis des semaines ! Finalement, nous décidâmes de rester jusqu’au coucher de Lisandru, pour qu’il puisse s’en occuper, le border, le bisouiller, le baigner, le biberonner et tutti quanti, puis quand Lisandru se fut endormi, nous le laissâmes sous la garde officielle de Mila (elle-même surveillée par Thomas) afin de profiter de notre soirée. Pietro sauta dans un taxi jaune, direction JFK puis Paris et les bras de sa dulcinée. Quant à Louka et moi : à nous la soirée en amoureux !

J’avais été priée de réserver l’hôtel (« Tiens, prends ma carte et choisis celui que tu veux, du moment qu’il y a un lit et une douche et que tu dors avec moi ») et je nous avais pris une chambre dans un cinq étoiles, avec une vue à couper le souffle sur Central Park et la célèbre skyline de Manhattan. C’était bien la première fois de ma vie que je mettais les pieds dans un tel établissement ! Je me sentais comme Cendrillon sans sa pantoufle de vair et c’est à peine si j’osais respirer. Alors que Louka était très à l’aise dans le hall rutilant de ce palace, malgré ses baskets et son t-shirt délavé par le sel.

Il fila sous la douche (avec des dorures partout et des jets relaxants dans tous les sens…) et trois minutes plus tard, je le rejoignis, peau frissonnante et mains baladeuses. Cela me faisait du bien de sentir à nouveau sa chaleur contre la mienne, de mordiller le corail de ses lèvres, de caresser l’arrondi de ses fesses… Il m’avait tant manqué ! Je retrouvais son corps solide et souple, ses muscles dessinés, son visage mutin, ses yeux translucides comme deux éclairs de jade. Ses mains me dévoraient comme une oeuvre d’art, ses lèvres m’embrasaient comme une flamme olympique, son sexe palpitait sur mes hanches comme l’obélisque de Central Park. Notre câlin fut à la fois tendre et vorace, debout dans cette cabine de douche qui brillait de mille feux. Nous étions détrempés, essoufflés, heureux.

Finalement, ni lui ni moi n’avions plus envie de sortir. Et nous passâmes une soirée merveilleuse et improvisée, assis en tailleur sur la moquette la plus moelleuse du monde : la main de Louka ne quittait pas la mienne et New York était chatoyante comme un feu d’artifice. Grâce au room service, nous pûmes dévorer des tortillas épicées, puis un burger maison pour lui et une salade césar pour moi, accompagnés d’un délicieux vin chilien capiteux à souhait.

En dessert, je repris une part de Louka… Puis je m’endormis sur lui comme un matelas chauffant, moelleux, rassurant. Comme un voilier enfin rentré au port après quelque tempête.

*If you were a sailboat, de Katie Melua ; in Pictures, 2007.

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