CCIX. Melody tempo harmony

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CCIX. Melody tempo harmony*

Le lendemain, je m’éveillai aux aurores. Manhattan était bercée par des rayons de rose et la vie s’allumait tout doucement sur les cimes frissonnantes de Central Park. Louka dormait encore, j’étais nouée à lui comme une liane emmêlée et je passai cinq bonnes minutes à le regarder ainsi, nu et moite dans son sommeil. Il était d’une beauté douce, désarmée, la lumière jouait sur les cicatrices de son visage comme un enfant avec un drôle de coloriage.

J’attrapai mon téléphone et demandai par texto des nouvelles de mon fils. Une minute plus tard, je reçus une photo de Lisandru tout sourire avec son doudou-chameau et sa petite salopette bleu marine : il avait bien dormi, bien mangé, il était très sage et Mila nous disait de prendre tout notre temps. Je la remerciai rapidement et tournai mon écran vers Louka qui venait d’ouvrir les yeux. Il sourit, m’attira encore plus près de lui et murmura contre mon oreille :

« - Good. Il ne se rend même pas compte que ses parents l’ont scandaleusement abandonné.

- Ou il est juste bien là où il est, avec ta sœur qui a l'air de vraiment prendre soin de lui.

- Ah ça… Mila n’en a plus que pour lui. Je pourrais mourir qu’elle ne s’en rendrait même pas compte…

- What ? Tu n’as pas honte de raconter des bêtises pareilles ?

- Non… »

Je lui pinçai le bras pour le punir de dire de telles énormités, puis je laissai mes mains s’égarer sur tous les coins de sa peau qui étaient à leur portée… Et je le dévorai tout cru. Il ondulait comme un chaton sous mes caresses, sexe dur et gestes doux, et je ne lui laissai aucun répit jusqu’à ce que je m’effondre sur lui, trempée de sueur et de plaisir, pour embrasser son si mignon sourire en coin post-extatique. Je passai plusieurs minutes à le regarder en silence tout en reprenant doucement mon souffle, puis je constatai :

« - Tu as meilleure mine, Louka… Ça fait plaisir à voir.

- Tu n’aimes pas les squelettes avec un oeil au beurre noir ?

- Je n’aime pas quand tu ne vas pas bien, dummy. C’est la mer qui te booste à ce point ?

- La mer… La voile… Et Pietro, je crois.

- Ah ! Evidemment.

- …

- Vous discutez beaucoup, quand vous naviguez tous les deux ?

- Non. Enfin, ça dépend. Des fois oui, des fois non. On a grandi cousus l’un à l’autre, alors on n’a pas forcément besoin de parler. Il y a le bateau à gérer, la météo, les repas… Ça occupe.

- …

- Romy, est-ce que ça te gêne que je parte comme ça, seul avec lui ?

- Non ! Même si tu me manques… Je comprends que vous ayez besoin d’être tous les deux, de temps en temps. Je crois que si j’avais eu une soeur… Well, je devrais dire, si ma soeur avait vécu, mais ça fait drôle… Anyway, j’aurais voulu, moi aussi, avoir des moments seule avec elle.

- I guess so… Actually, Chiara dit toujours qu’on est un peu attardés, Pietro et moi, à partir en bateau comme quand on était ados.
- Alors elle a sûrement raison. Chiara a toujours un peu raison, don’t you think ? »

Il sourit, m’embrassa dans le cou en me pressant contre son corps et me fit complètement oublier le reste du monde pendant un petit moment. Il avait les mains brûlantes, les lèvres fraîches, il n’en finissait pas d’être délicieux et je n’avais aucune raison de bouder mon plaisir.

Deux heures et une douche plus tard, nous étions de retour chez Thomas où nous attendaient notre fiston et un petit-déjeuner gargantuesque. Louka mangea sans se faire prier (youpi !) un énorme bol de muesli aux amandes tandis que je faisais honneur aux eggs and bacon que Mila avait préparés rien que pour moi.

Elle devenait une vraie jeune fille, avec sa mèche qui lui tombait sur le front, ses bracelets fantaisie multicolores et son petit caractère. Ses yeux étaient d’un bleu très pur, très doux, sa peau était claire comme du papier de soie, son sourire était tantôt timide, tantôt éblouissant et elle semblait plutôt bien dans ses ballerines.

Pour passer du temps avec elle, et aussi laisser Louka un peu tranquille avec son fils, je proposai à Mila de partager une journée 100% filles. Au programme : yoga, restaurant chinois, jacuzzi, massage et séance de shopping. Au fil des heures, elle me raconta ses petites histoires au lycée, son quotidien avec son papa, ses fous rires avec ses copines, sa joie d’être Tata et mille autres choses encore. Et pour finir en beauté, je lui offris ce qui était son péché mignon depuis ses quatre ans : une glace noyée de chantilly. Une journée parfaite, en somme !

Je raccompagnai Mila chez son père où je la quittai très provisoirement, puisqu’ils nous avaient invités à dîner. Et je rejoignis mes deux hommes à l’hôtel. Je les trouvai en extase devant la vue, assis sur un fauteuil face à la fenêtre. Louka tenait Lisandru sur ses genoux et il lui montrait du doigt les merveilles de New York. Mon fils gazouillait gentiment, bavant un peu ; il semblait plus intéressé par le t-shirt rouge flashy de son père que par le paysage grandiose qu’il avait sous les yeux mais il était sage comme une bien belle image.

« - Hi guys ! Bonne journée ?

- Excellente, merci. Et toi ?

- Tout pareil. But je suis crevée ! J’ai les pieds en compote, mais ça valait le coup. Tu vas voir, j’ai offert une jupe à Mila, elle est trop belle avec.

- Elle arrive toujours à t’extorquer des trucs, c’est dingue.

- Parce que ça me fait plaisir… Et vous, vous avez fait quoi ?

- J’ai emmené ton fils se balader dans New York. On a vu le pont de Brooklyn, Long Island, l’aquarium… On a pique-niqué au jardin botanique, il faisait beau, on a discuté tous les deux.

- Really ?

- Oui.

- Et de quoi avez-vous parlé ?

- De cette ville. Pourquoi je ne l’aime pas alors qu’elle est extraordinaire. Comment je suis arrivé ici tout seul et tout cassé quand j’étais ado.

- …

- Je lui ai aussi parlé de mon père. De sa vie et de sa mort. Je lui dit qu’il avait tué quelqu’un et que je ne savais pas vraiment qui, ni pourquoi.

- Louka… Est-ce que tu vas y retourner ? I mean, au Brésil. Pour trouver qui était cette femme ?

- Non. Je ne saurais même plus où chercher ! Elle n’a pas de nom, pas de traces. C’est étrange… Mais ça aussi, je l’ai dit à Lisandru. Je lui ai donné toutes les réponses que j’ai trouvées, mais je lui ai dit que pour le reste, on ne saurait sûrement jamais.

- Oh…

- …

- …

- Tu crois que j’ai bien fait ?

- Oui, Louka. Sans aucun doute.

- Je ne sais pas trop ce qu’il a compris… Mais en tout cas, il m'a écouté de toutes ses oreilles !

- Tant mieux.

- C’est bien pratique de lui parler arabe. On était au milieu d’un parc new-yorkais bondé, avec plein de gens autour. Et je lui racontais les secrets les plus dégueulasses d’un grand acteur hyper célèbre, tranquillement, sans que personne ne comprenne…

- Je croyais que tu lui parlais arabe juste pour que moi, je ne comprenne pas ?

- Je lui parle arabe parce que c’est la langue de Malika. Mais j’avoue que de temps en temps, j’y trouve des avantages ! Comme celui de pouvoir dire du mal de toi ni vu ni connu, par exemple.

- I see. Depuis que j’apprends l’italien, tu as dû t’adapter, n’est-ce pas.

- Exactly ! Tiens, à propos d’Italien, Pietro est bien arrivé à Paris. Il s’est fait pourrir par sa fille d’être rentré sans Zio Louka mais il a retrouvé sa femme adorée et il t’embrasse.

- Good ; il est trop mignon, avec Ingrid.

- Tu aimerais ça ?

- Que tu sois trop mignon ? Sometimes, oui. Mais si c’était si important, je serais sortie avec Pietro, pas avec toi.

- Tu regrettes ?

- Non, Louka.

- …

- …

- De toute façon, ça n’aurait pas tenu : Pietro a besoin d’une femme qui sache faire la cuisine. »

Je fis mine de lui tirer l’oreille, ce qui le fit sourire immensément. Puis je pris mon fils dans mes bras et je m’installai sur les genoux de Louka, lovée dans la chaleur de son corps. Nous restâmes ainsi un bon moment, roulés dans nos pensées, les yeux rivés sur l’horizon apaisant de Central Park et la verticalité brute des gratte-ciel. Quelque part sous nos pieds se trouvait mon ancienne école, celle où nous nous étions rencontrés, ou plutôt croisés, il y a une éternité. J’essayai de la repérer parmi les immeubles mais je n’y parvins pas.

Et je souris en repensant à la gamine que j’étais alors : gauche, timide, anonyme, déjà un peu scotchée par un garçon étrangement exotique aux yeux de diamant vert.

*Melody tempo harmony, de Bernard Lavilliers feat. Jimmy Cliff ; in Champs du possible, 1994.

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