CCV. Beau-papa

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CCV. Beau-papa*

Louka passa plusieurs jours à dormir, du matin au soir et du soir au matin. Ses hématomes changeaient de couleurs et arboraient un camaïeu de jaunes du plus bel effet, il grimaçait encore au moindre geste mais il pouvait se déplacer un peu plus facilement. Pendant la journée, Malika partait au travail et j’allais me balader dans Buenos Aires, laissant mon fils aux bons soins de son père. Lorsque je rentrais dans l’après-midi, je les trouvais invariablement en train de dormir l’un près de l’autre : Louka dans le canapé, roulé contre le bord, et Lisandru juste en face, dans son berceau, la grande main de son Baba posée sur ses petits pieds. Ils étaient so cute !

Au départ, j’avais pensé emmener mon loupiot dans mes pérégrinations citadines, mais j’avais vite vu que Louka préférait le garder avec lui. Il en avait besoin. Comme si ça le rassurait, et le requinquait aussi ! Il avait recommencé à manger, pas beaucoup, mais quand même. Il appelait de nouveau Pietro tous les jours, il reparlait à Chiara… Bref, il allait mieux. Et j’en profitais pour arpenter de tous mes yeux les multiples facettes de cette capitale pleine de vie et de contrastes, depuis les immeubles coloniaux jusqu’aux maisons multicolores, en passant par les gratte-ciel ultra-modernes ou les jardins immenses.

Le samedi suivant, Malika nous annonça en souriant qu’elle avait invité un ami à dîner. La soirée s’annonçait bien : Louka commençait à retrouver figure humaine et un tajine de mouton mijotait dans la cuisine. Quant à Lisandru, il avait pris son biberon bien sagement et je l'avais couché dans la chambre pour qu’il soit plus au calme.

Notre invité s’avéra être un monsieur parfaitement charmant, la petite soixantaine, très classe. Souleymane Hedström dirigeait le bureau d’Interpol à Buenos Aires et il était, comme Malika, un pur produit d’une enfance diplomatique. Né à Genève d'un père suédois et d’une mère kényane, tous deux salariés de l’Organisation des Nations Unies (OCHA pour elle, UNDP pour lui), il avait grandi tout autour du monde… Il avait été marié quelques années mais avait choisi de ne pas avoir d’enfants pour ne pas leur imposer sa vie nomade, parfois dans des pays difficiles. Son humour était aussi élégant que corrosif, il s’exprimait dans un français teinté d’accent suisse, il parlait aussi swahili, allemand, wolof, suédois, anglais et espagnol. Il avait été juge, instituteur, psychologue : un CV en béton et une culture infinie ! Même s’il ne connaissait rien… au cinéma.

« - Souleymane, je ne vous ai jamais parlé de mon mari ?

- Euh… Non, Malika. Je sais que vous êtes veuve, c’est tout.

- J’étais la femme de Luís Kerguelen.

- Et ce nom devrait me dire quelque chose ?

- What ? m’étranglai-je. Vous ne connaissez pas Luís Kerguelen ?

- Eh bien non, mademoiselle. Pourquoi, je devrais ?

- Il était acteur, reprit Malika. Célèbre, très célèbre même. Mais il a été arrêté pour meurtre et il s’est pendu dans sa cellule, au Brésil, quelques mois plus tard.

- Oh… Je suis désolé, Malika. Et… Il était coupable ?

- Apparemment, oui.

- Mais, intervint Louka, vous travaillez à Interpol et vous n’avez jamais entendu parler de lui ? Une star internationale qui tue une prostituée, il n’y en a sûrement pas eu beaucoup !

- Je suis spécialisé dans les actes de torture et la traite des êtres humains. Alors un simple meurtre… Et puis je n’ai jamais trop eu le temps d’aller au cinéma. Ceci dit… Ce n’est pas lui qui avait eu un enfant avec Natalia Stepanovna ?

- Si.

- Ah ! Alors je m’en souviens vaguement… Parce qu’elle était sublime, alors forcément !

- Cet enfant, dis-je, c’est Louka…

- Mais je croyais que c’était votre fils, Malika ?

- Mon fils adoptif, oui. Par le sang, il est le fils de Natalia. D’ailleurs ça se voit, non ? Mon mari était brun comme un corbeau, et moi aussi ; nous n’aurions jamais fait un enfant aussi blond.

- La génétique réserve parfois des surprises… répondit doucement Souleymane. Enfin bref. En quoi puis-je vous être utile, Malika ?

- Apparemment, Luís a été interrogé juste avant son suicide. Alors on se demande si… S’il s’est passé quelque chose pendant cet entretien. Est-il possible, via Interpol, d’en retrouver trace ?

- Non.

- …

- Enfin, officiellement, non.

- Et officieusement ?

- Peut-être… Mais ça risque d’être long. »

Malika n’insista pas et la conversation glissa sur des sujets plus légers. Souleymane était un convive des plus intéressants, pétri de littérature et de géographie, il connaissait l’Histoire des peuples autochtones sur le bout des doigts, tous continents confondus, et m’apprit même quelques détails sur la rencontre de mes ancêtres cheyennes avec les premiers Européens. Tout cela avec une humilité et une bienveillance très appréciables. J’étais conquise ! Et quand à la fin de la soirée, après son départ, je fis part à Malika de mon avis éclairé, elle rosit légèrement.

Plus tard, une fois blottie dans le lit tout contre Louka, je le pris dans mes bras en veillant bien à ne pas lui faire mal et je lui dis doucement, en frottant mon nez contre sa peau :

« Très sympa, Souleymane, non ?

- Indeed.

- Je suis sûre qu’il va pouvoir nous aider, pour ton père.

- Peut-être…

- Et… Tu n’as rien remarqué ?

- Non, quoi ?

- Il est obviously amoureux de Malika.

- What ?

- Louka, ça se voit comme le nez au milieu de la figure !

- Tu crois ?

- J’en suis sûre.

- …

- Et à mon avis, il lui plaît bien aussi.

- …

- Please, ne me dis pas que tu es jaloux ?

- Non, mais…

- Mais ?

- Alright. Si, je suis jaloux.

- J’en étais sûre !

- …

- Moi, je suis contente pour elle. C’est un type intéressant. Bel homme, en plus !

- …

- Et nous n'avions encore ni la Suède, ni le Kenya, ni la Suisse dans la famille.

- Tu crois que c’est un critère ?

- Non. Mais c’est un plus.

- …

- Et puis tomber sur un gars qui ne connaît même pas Luís Kerguelen ! C’est assez merveilleux… Et reposant, je trouve.

- Romy… Tu ne penses pas que tu pourrais arrêter de l’appeler tout le temps “Luís Kerguelen” ? On dirait une journaliste. Ou une fan.

- Mais je suis une fan ! Enfin, une fille de fan.

- Appelle-le Luís, va. C’est le grand-père de ton fils.

- Je vais essayer. Et toi, tu veux bien essayer de ne pas avoir l’air jaloux au point que ta Mama laisse passer sa chance de refaire sa vie juste pour ne pas te faire de peine ?

- …

- Louka ?

- Hmmmm… »

Je ne pus rien obtenir de plus que cet espèce de grincement… Qui se fit ronronnement lorsque mes mains s’égarèrent sur sa peau, depuis son dos jusqu’à son sexe, en passant par son ventre, sa nuque, ses épaules. Je pouvais enfin le toucher sans le faire hurler de douleur, et je décidai d’en profiter. Après des semaines de séparation, j’avais bien mérité un vrai câlin.

Nous fûmes particulièrement lents et doux, parce que Louka grimaçait dès que j’accélérais le rythme, mais le plaisir n’en fut que plus intense et je n’étais pas près de me lasser de la lueur coquine que le désir allumait toujours dans ses beaux yeux verts.

*Beau-papa, de Vianney ; in N'attendons pas, 2020.

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