CXCV. Goodbye, my lover

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CXCV. Goodbye, my lover*

Louka devait partir le lendemain matin. J’avais le cœur lourd, lesté d’un mélange étrange d’angoisse, de manque et d’impatience. Angoisse de ce qu’il pouvait découvrir et de devoir me débrouiller seule pour quelques semaines. Manque à l’idée de me passer de sa peau, de son sourire, de son humour et de sa cuisine pendant plus de 24h. Impatience de peut-être enfin savoir ce qui avait bien pu se passer dans la vie si célèbre et pourtant si méconnue, si secrète, de Luís Kerguelen.

Une énorme valise à roulettes noire trônait en plein milieu du salon, tandis qu’étaient posés dessus ses deux passeports, un dictionnaire de portugais, un billet d’avion Paris-Lisbonne-Brasilia au nom de Louka et son chargeur de téléphone. Lisandru était chez les Battisti pour la nuit, nous le récupérerions au matin pour que son père puisse lui dire au revoir mais en attendant, à nous la soirée en amoureux !

Je décidai d’étrenner ce jour-là une nouvelle robe très jolie, très graphique, qu’Ingrid m’avait poussée à acheter quelques semaines plus tôt : elle était courte, fluide, bien coupée, avec un mélange de bleu marine et de rouge vif particulièrement seyant ! J’appliquai une touche de maquillage sur mes yeux et choisis de porter le pendentif en diamant que Louka m’avait offert pour mes trente ans. Je me trouvai presque chic, presque parisienne, ainsi apprêtée ! Mais je restai pieds nus pour plus de confort.

Un concert d’odeurs alléchantes et de bruits de casseroles montait de la cuisine et lorsque j’y fis irruption, je ne fus pas déçue. Louka avait prévu un dîner 100% méditerranéen avant de s’envoler pour les antipodes. Il s’activait partout à la fois, torse nu, jean tombant sur les hanches (il avait encore maigri…), boxer noir apparent. Je vins l’embrasser dans le cou, il me sourit, me détailla de bas en haut comme on lit un menu à cinq plats puis me confia trois missions qui semblaient dans mes cordes : déboucher le Montepulciano d’Abruzzo pour qu’il s’aère un peu, découper le basilic et les tomates et préparer quelques toasts de tapenade.

Lorsque tout fut près, il nous servit deux grands verres de vin, s’assit sur le canapé et m’attira sur ses genoux sans plus de cérémonie. Je fis semblant de tomber, de le gronder, puis l’embrassai sur les lèvres très doucement tout en laissant galoper mes doigts gourmands sur son corps (trop) mince.

« - Louka, tu n’oublieras pas de manger de temps en temps ? Tu es tout maigre.

- Mais oui.

- Je te préviens, je vais demander à Chiara de te surveiller.

- How nice…

- Miam, tu as goût de pesto !

- Et tu aimes le pesto ?

- Oui ! Et puis je t’aime, toi.

(Il me serra fort dans ses bras en soupirant au creux de mon cou)

- …

- Tu seras bien sage avec les Brésiliennes ?

- Absolutely.

- Really ?

- Yes. As you know, je suis à moitié brésilien, alors pour l’exotisme, je préfère les filles des montagnes et de l’Ouest sauvage.

- Même si elles ont des vergetures et quelques kilos en trop ?

- Indeed… Après tout, j’ai couché avec des dizaines de filles sans vergetures ni kilos en trop ; c’est d’une banalité … !

- C’est malin !!!

(Je lui pinçai le bras, il grimaça tout en me faisant un clin d’oeil)

- Well, tu passes ton temps à tendre des perches pour te faire battre…

- I know. Mais tu n’es pas obligé de t’en saisir à chaque fois, méchant.

- Romy, je ne vais pas au Brésil pour faire la tournée des plages ou des carnavals, tu sais.

- Oui, mais…

- Mais rien du tout. D’ailleurs, même si j’avais la libido qui me démange, j’aurais un chaperon redoutable ! Chiara me tuera si je bouge une oreille, tu peux donc dormir sur les deux tiennes.

- Well, si ce n’est que l’oreille, ça va…

- …

(Je lui embrassai la bouche, la joue, le nez, le cou, avant de baisser les yeux et de poser ma main sur son sexe que je sentis gonfler tout doucement à travers son jean).

- Actually, Louka, on dirait que je ne suis pas la seule à tendre des perches ?

- Hmmm… And I see que tu t’en saisis avec une certaine aisance.

- Sure ! Tu crois que tu peux laisser tes casseroles quelques minutes ?

- Do I really look like une ménagère de moins de cinquante ans ?

- You look like un très beau garçon qui va me manquer très fort et que je vais manger tout cru. »

Le dîner dut attendre un peu… Nous fîmes l’amour sur le canapé, j’avais faim de ses mains, de sa peau, de sa chaleur, j’avais envie de le sentir en moi, sur moi, comme si nous ne devions jamais être séparés. Ce fut profond et intense comme le souffle des alizés sur les voiles d’une transatlantique et lorsque le plaisir fut là, absolu comme une plénitude, je tins Louka serré contre moi, collé à moi, pendant de longues minutes. La soirée était zen et sereine, mon fils était en sécurité, l’air sentait le Sud et le soleil, Louka était canon entre mes mains… Un instant magique ! Qu’il brisa sans ménagement en me glissant à l’oreille : « Tu n’as pas faim ? »

Cinq minutes plus tard, nous étions attablés comme des bienheureux : lonzu corse et salade verte en entrée, puis lasagnes de pain sarde à la tomate, au pecorino et au basilic et en dessert, salade d’oranges à la marocaine. Je nous avais fait une belle table bien romantique avec des petites bougies et de jolies assiettes rouges assorties à ma robe. Le vin était délicieux, capiteux, velouté, il me tournait la tête gentiment, mais sans excès. Louka mangea un peu (miracle…) et la soirée glissa ainsi vers la nuit dans un moelleux infini.

Plus tard, nous fîmes de nouveau l’amour très fort, je ne me lassais pas de le sentir venir en moi comme s’il ne partirait jamais. Il était chaud, impatient, son souffle était plein de flammes comme un dragon très inoffensif, mais vorace. Et si beau…

Avant de m’endormir, je passai des heures à le regarder adouci par le sommeil, allongé sous mes doigts, ma joue posée sur son épaule comme sur un adorable oreiller. Ma main lui caressait le ventre comme une petite plume et je lui murmurai dans le noir : « I will miss you, Louka. I will miss you so much… »

Le lendemain matin, je m’éveillai sans avoir bougé d’un pouce, les yeux bouffis par le manque de sommeil. Après une bonne douche, nous descendîmes prendre le petit-déjeuner chez Pietro et Ingrid. Il y eut des tonnes et des tonnes d’embrassades, d’au revoir, de bisous, de bons voyages, de câlins. Louka prit son fils (totalement indifférent car endormi…) très longuement dans ses bras en lui racontant je-ne-sais quoi en arabe, il avait l’air ému, fragile, mais décidé.

Puis ils partirent en taxi, Chiara et lui. J’avais le cœur en vrac, serré comme un corset sur une taille de guêpe, je tenais mon loupiot tout contre moi et Louka me sembla soudain si lointain, si étranger ! J’avais de l’eau dans les yeux comme s’il partait pour toujours… Ce qui était absurde ! Et Ingrid se moqua gentiment de moi en me disant que je commençais à avoir un sens de l'exagération et de la grandiloquence presque battistien. Cela me fit sourire, évidemment.

Quant à notre célèbre cinéaste, une fois n’est pas coutume, elle était restée de marbre. Pas de grande scène ni de tirades inoubliables, non, rien de tout ça ! Car elle était avant tout concentrée sur son travail. Son professionnalisme avait repris le dessus et elle était partie très naturellement, caméra à l’épaule, bien loin des centaines de techniciens qui s’affairaient habituellement autour d’elle.

Pour Chiara aussi, ce voyage sonnait un peu comme un retour aux sources. Aux sources professionnelles… Je savais bien qu’avec elle, Louka serait en sécurité, quoi qu’il arrive. Mais à peine trois secondes après leur départ, mon amoureux me manquait déjà.

*Goodbye, my lover, de James Blunt ; in Back to Bedlam, 2004

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