CXC. Les Champs-Elysées

6 minutes de lecture

CXC. Les Champs-Elysées*

Suite et fin de notre séjour en Corse : le temps passa en un éclair. J’avais l’impression de vivre dans une tribu étrange, intrusive, autarcique. Adorable, évidemment ! Mais il était inutile d’espérer avoir une vraie discussion avec Louka au milieu d’une telle ruche. Je n’insistai donc pas. Je crois que Malika, elle, revint sur le sujet ô combien épineux de son alliance qu’elle ne portait plus à son doigt, parce qu’elle resta très tard, un soir, à discuter avec son fils dans la nuit, sur la terrasse, avec plaids et tisane. Mais Louka ne m’en dit pas un mot.

Quatre jours après Noël, Mila et Malika reprirent la direction des Amériques, l’une au Nord, l’autre au Sud. Mon père, Jane et moi rentrâmes à Paris où nous devions passer quelques jours tous les trois. Ne restèrent à Cargèse que les cinq Battisti et mes deux Kerguelen que j’eus bien du mal à quitter ! Mais Louka devait récupérer son nouveau passeport au Consulat du Maroc, et comme notre fils y figurait, ils devaient être présents tous les deux.

En attendant, j’avais devant moi un programme parfaitement touristique, comme tout Américain à Paris. Il faisait un temps superbe, froid et sec, le ciel était bleu comme une boule de cristal, l’air était incisif, cassant. Les Français se réchauffaient à coups de vin chaud et de cappuccinos, l’atmosphère était intense comme une heure de pointe sur le périphérique.

Mon Daddy était rêveur et enthousiaste comme un tout petit garçon au fil des rues badigeonnées de lumières. Il était toujours partant pour découvrir tel ou tel haut-lieu de la so-called capitale du romantisme et croisait à tous les coins de murs ou de boulevards quelque souvenir du cinéma mondial. Il marchait dans les pas de Gene Kelly et de Woody Allen comme un môme parcourant un parc d’attractions avec six ou sept ballons rouges à la main. Il ne savait où donner de la tête ou du cœur, et n’était jamais à court d’histoires réelles ou imaginaires.

Jane l’écoutait avec bienveillance, mais aussi avec les deux pieds solidement ancrés sur terre ! Ce qui faisait un équilibre très doux, très différent, très complémentaire. Ils s’aimaient, cela sautait aux yeux et cela mouillait les miens de voir que mon cher papa pouvait de nouveau être heureux comme un miracle.

Nous enchaînâmes sans faiblir tous les clichés de la capitale française. Dans la cour d’honneur du Louvre, Daddy nous raconta la vie des mousquetaires et de Cyrano de Bergerac. Sur les Champs-Elysées, modestement qualifiés de “plus belle avenue du monde” par les autochtones, il ressuscita l’ombre charmeuse de Jean-Paul Belmondo. Sur les quais de Seine by night, alors que nous flânions au rythme des clapotis de l’eau et des musiciens de rue, lui cherchait les traces d’Owen Wilson et de Marion Cotillard. Quant au château de Versailles, ce fut l’occasion d’un pèlerinage presque énamouré sur les pas fastueux et baroques de Sofia Coppola.

Nous parcourûmes la butte Montmartre et les ruelles du quartier latin. Nous prîmes un selfie tous les trois devant le Moulin Rouge et un autre devant l’Arc de Triomphe. Et nous montâmes jusqu’au sommet de la tour Eiffel, où mon père ne manqua pas de se remémorer la scène finale de "Giovanni", le film aux deux Oscars de Chiara Battisti, avec Luís Kerguelen, of course. Ce film qui avait été le dernier avant la chute, avant la fin, avant la mort.

Nous finîmes nos trois jours de marathon touristique sur les rotules ! Au point que le dernier soir, Jane déclara forfait et choisit de rester tranquillement à l’hôtel tandis que mon Daddy et moi allions dîner en tête-à-tête dans une brasserie élégante et typically parisienne du boulevard Saint-Germain. C’était le soir du Nouvel An, la ville brillait de tous ses feux et pour ne pas être en reste, j’enfilai une jolie petite robe noire, suffisamment fluide pour je rentre encore dedans malgré les quelques kilos de grossesse qui s'accrochaient à mes hanches, mais très féminine, ainsi que le pendentif en saphir qui me venait de ma mère et que je ne portais que pour les grandes occasions.

Il y avait des lumières et des miroirs partout dans ce restaurant ! Le serveur nous installa dans un angle un peu à l’écart, sans dissimuler ses doutes quant à notre capacité à apprécier les lieux à leur juste valeur, en bons Américains ignorants… Il se rassura en m’entendant parler français plutôt correctement et je finis de faire sa conquête pleine et entière en commandant une douzaine d’huîtres suivie d’une cuisse de canard confite ! Quant à mon Daddy, moins téméraire, il choisit un jambon d’Auvergne et un pavé de bœuf grillé avec une sauce aux pleurotes et aux petits oignons.

Au milieu de l’entrée, je reçus un premier texto et une photo de mon fils dans son berceau.

Louka K. Dos Santos : “Hey there… Regarde qui vient de s’endormir gentiment ! Maintenant Baba et Zio Pietro ont la permission de minuit ; ou de 4h du matin ! Chiara veillera sur les trois little monsters. Profite bien de ton papa. Bisous.”

Je souris, lui répondis rapidement et me concentrai sur mon père qui semblait soudain timide et hésitant comme un gamin le jour de la rentrée des classes.

« - Ma chérie…

- Yes, Dad ?

- Je suis fier de toi, tu sais. Fier de te voir heureuse, avec un homme que tu aimes, un très beau petit garçon, une vie bien remplie dans cette ville si extraordinaire et si différente de notre Wyoming… Et tu es de plus en plus belle ! On dirait ta maman, mais avec les yeux bleus.

- Well. Thanks ! I am proud that you are proud…

- Sweetheart, maintenant que tout va bien pour toi… Accepterais-tu que je me remarie ?

- What ? Mais… Bien sûr ! Tu n’as pas besoin de ma permission… I wish you all the best, Dad.

- Je sais. But anyway, c’est important pour moi.

- Dad, you have all my support. And my love. Always.

- Thank you. I love Jane, you know. I really do.

- Je sais. Je l’aime beaucoup, moi aussi. Mais… Tu lui as déjà demandé ?

- Not yet. Je pensais le faire à notre retour aux Etats-Unis. Mais je me suis dit que ce serait sympa d’acheter la bague ici ; tu crois que tu aurais le temps de m’aider à la choisir demain, avant de nous emmener à l’aéroport ?

- Sure ! Il faudra juste trouver un prétexte pour aller se promener sans Jane…

- Don’t worry, j’ai un plan… »

La soirée s’écoula ainsi doucement, mon père était heureux comme un poisson dans une rivière de nos montagnes, le dîner était délicieux, Paris était fébrile et joyeuse tout autour de nous et je me sentais comme une petite bulle de savon un peu saoule, un peu tarte, lestée par un repas trop copieux, pleine de vergetures mais quand même, very lucky !

Vers deux heures du matin, je m’étais endormie après avoir vainement tenté de joindre mon fêtard corse préféré, quand je reçus un second texto, cette fois-ci accompagné d’une photo de Pietro, d’Ingrid et de Louka visiblement bien éméchés, hilares, avec en arrière-plan un grand feu sur la plage et la lune par-dessus la mer.

Louka K. Dos Santos : “Hey there again… Excellente soirée ici, j’ai l’impression d’avoir de nouveau 15 ans ! Il fait doux sous les doudounes, j’ai beaucoup trop bu, Pietro rigole tout seul et Ingrid se moque de lui. La Corse est pleine d’étoiles. I miss you. Bonne année, by the way ! Je t’embrasse. Louka.”

Je lui répondis d’un joli cœur tout rouge.

Le lendemain, mon père et Jane repartirent pour Cheyenne. J’avais le cœur serré en leur disant au revoir dans le hall de Roissy-Charles-de-Gaulle mais je savais que mon Daddy cachait dans sa veste une grande surprise dans une petite boîte que nous avions choisie ensemble, dans une jolie boutique près des Champs-Elysées. J’étais très heureuse pour eux !

Tellement heureuse, tellement perdue dans mes pensées joyeuses, que je ne pensai pas à consulter mes emails en rentrant à la maison. J’avais pourtant reçu un message qui allait changer et déclencher beaucoup de choses.

*Les Champs-Elysées, de Joe Dassin ; in Joe Dassin, 1969.

Annotations

Vous aimez lire Marion H. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0