CLXXXVII. Le vent de l’hiver

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CLXXXVII. Le vent de l’hiver*


Paris connut un automne particulièrement froid : la ville était glacée comme un colonel au citron et brillait sous les assauts du gel comme des projecteurs sur une patinoire. Les nuits étaient trop longues et les jours trop gris, trop courts, trop timides.

Lisandru, quand nous l’emmenions faire un petit tour au Luxembourg, disparaissait sous une avalanche de plaids et de vêtements. Je ne voulais pas qu’il prenne froid ! Au point que Louka se moquait de moi en disant que j’allais finir par étouffer notre trésor.

C’est ainsi qu’il l’appelait : al-kanz, le trésor. Et ça lui allait comme un gant… Au fil des jours, Lisandru changeait comme une œuvre d’art qui se réinventait sans cesse. Sa peau était mate comme un caramel au lait, ses lèvres étaient pleines comme celles de son père, sa jolie bouille me faisait fondre comme une tarte à la crème. Il menait une vie de rêve (manger, dormir, se faire câliner, et tout recommencer…) et malgré le manque de sommeil, j’avais trouvé mon rythme entre les siestes, les biberons, le travail de Louka et toutes ces heures de miracle passées à admirer mon adorable loupiot, né de la chaleur de mes entrailles et de la peau de feu de son père.


Quand arriva le matin de mon anniversaire, il faisait froid mais je me sentais bien, blottie comme un doudou dans l’étreinte moelleuse de Louka. La nuit était silencieuse et nous traînions au lit comme des adolescents attardés. Petit à petit, nos mains se firent baladeuses, exploreuses, amoureuses… Je finis par le manger tout cru, l’embrassant des pieds à la tête comme on se régale d’une friandise en été. En retour, il me caressa longuement de ses mains affamées comme deux libellules gentiment voraces. L’amour fut long et délicieux et quand je pris mon plaisir, les yeux plongés dans ceux de Louka qui me donnait le sien, j’eus des frissons intenses, immenses, comme une effervescence.

Puis nous restâmes collés l’un à l’autre dans un silence moite, j’avais l’impression que rien ni personne ne nous séparerait jamais ! Mais c’était sans compter sur notre adorable petit réveil-matin…

Louka quitta donc le cocon de mon corps, enfila un boxer et récupéra Lisandru dans son berceau avant de revenir s’allonger près de moi. Il s’installa confortablement et posa notre bébé sur son torse, peau à peau. D’une main, il lui tenait le dos pour qu’il reste bien stable, de l’autre il caressait ses tout petits pieds… Je les regardai, la gorge assaillie d’émotions, pendant quelques secondes, avant de tendre le bras vers mon téléphone pour immortaliser l’instant.

« - Vous êtes trop beaux, tous les deux.

- Thanks.

- Surtout, ne bouge pas ! Voilà, regarde… On dirait la photo de ton père et toi. Tu sais, celle qui est dans la bibliothèque, à Cargèse.

- Oui. C’était à Rome… Chiara l’aime beaucoup, as far as I know.

- Alors je lui enverrai celle-ci.

- …

(J’embrassai doucement le front de mon fils et les lèvres du jeune papa)

- Je lui donne son biberon et on essaie de dormir encore un peu ?

- Toi, dors, Romy, if you want. Moi, il faut que j’aille chercher ton cadeau…

- Ah ?

- Oui.

- Et tu dois absolument y aller maintenant ? On est bien, là, tous les trois…

- I know… But I have to go.

(Je fis la moue la plus boudeuse possible)

- Dis donc, tu aurais pu anticiper un peu au lieu de t’y prendre le jour-même.

- I am sorry. Je n’ai pas eu le temps.

- Du coup, tu me laisses toute seule !

- Je suis affreux et sans coeur, tu le sais bien…

- …

- Et si je te promets de me faire pardonner ce soir ?

- Really ?

- Really.

- Bon… Alors vas-y. Mais reviens vite ! Et je vais réfléchir à ce que je vais demander ce soir.

- Tu as droit à tout ce que tu veux, du moment que c’est interdit aux moins de 18 ans.

- Great ! Tu ne perds rien pour attendre… »

Il fila sous la douche, dûment équipé de son sourire en coin et de sa serviette de bain, tandis que je me levai pour préparer le biberon de mon fils. Quinze minutes plus tard, le grand était parti et le petit mangeait avec appétit ! Puis Lisandru se rendormit, je l’installai délicatement dans son petit berceau et me recouchai tranquillement.


Lorsque j’entendis s’ouvrir la porte d’entrée, plus de deux heures s’étaient écoulées. Louka était-il donc allé chercher mon cadeau à l’autre bout de la France ?

Une minute après, il fit irruption dans la chambre, avec de superbes lys à la main. Louka Kerguelen offrant des fleurs ? Quelque chose ne collait pas… Ce qu’il me confirma illico dans un sourire canaille : « Ne t’inquiète pas, le bouquet, c’est de la part de Pietro… Il me l’a donné en passant. Mon cadeau à moi t’attend au salon. Mais habille-toi d’abord ! Je te rejoins dans une minute avec le petit. »

J’étais intriguée… J’enfilai la première robe qui me passa sous la main, envoyai rapidement un texto à Pietro pour le remercier, et me rendis au salon, fleurs en main, nez au vent, curiosité aiguisée au maximum… Et là, cernés de fatigue et de valises rigides, je découvris mon Daddy adoré, sourire géant et bras ouverts, et juste derrière lui, Jane et sa bienveillance.

Je leur sautai au cou comme une gamine, j’étais si heureuse que j’en eus les larmes aux yeux ! Les adorables petits cachottiers… Et moi qui avais presque grondé Louka pour son manque d’anticipation ! C’était finalement plutôt à moi de me faire pardonner… Il semblait tout fier de son effet, et quand je l’embrassai pour le remercier, tout en lui disant que j’avais quelques remords de lui avoir fait des reproches au réveil, il me sourit, m’embrassa de nouveau, et murmura que sa promesse tenait toujours. Miam…

La suite de la journée fut joyeuse comme une tartine de confiture : mon père était ravi de profiter de son petit-fils, Jane était douce et fidèle à elle-même, Louka était tout content de me voir heureuse et Lisandru passait de bras en bras comme une petite étoile. Puisque je ne pouvais pas emmener mon bébé passer son premier Noël dans le Wyoming, le Wyoming était venu à lui ! Que demander de plus ?


Nos invités avaient réservé une chambre à l’hôtel du bout de la rue et jetlag oblige, ils ne s’attardèrent pas. Alors sans même prendre le temps de ranger le salon ni la vaisselle, j’entrepris de consommer cet espèce d’open-bar que Louka m’avait offert un peu plus tôt : après tout, c’était mon anniversaire ! Et il tint parole avec autant d’efficacité que de filouterie. Deux fois.



* Le vent de l'hiver, de Raphaël ; in Je sais que la Terre est plate, 2008.

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