Le projet

3 minutes de lecture

Depuis la dernière fois, ses traits s’étaient creusés et ses vêtements flottaient sur lui. Il n’avait pas tout à fait enfilé son manteau en peau de mouton, qui ne lui couvrait encore qu’une épaule. Il tomba en arrêt devant nous. Il exhalait une odeur de bois humide en putréfaction.

« - Ne vous envolez pas ! » nous lança-t-il d’un ton cassant. Ses cheveux hérissés flottaient au gré des bourrasques qui enlevaient les flocons posés sur les arbres, les faisant tomber en miettes sur le sol.

Tout proche, M. Tisserand souriait et s’affairait avec ses pinceaux à chaque pluie ainsi provoquée. Le touriste à l’appareil photo s’approcha de lui :

« - Excusez-moi. Pourriez-vous nous dessiner, avec Lætitia, à côté de l’arbre fleuri ? Combien vous prenez ?

- Excellent ! », s’enthousiasma le Comte.

Il ne prit pas le temps d’observer la réponse négative du peintre. Il se racla plutôt la gorge, ce qui couvrit le bruit de l’altercation.

« Écoutez ! Je suis le Comte Jean de Villemuret. Vous ne m’avez pas souvent croisé, sauf si vous êtes livreurs. Mais cela va changer. Au nom de ce titre de propriété (il exhiba un document jauni de son manteau), je vous informe que ce terrain m’appartient ! »

La Maire accouru. Le noble lui tendit le papier et poursuivit :

« Ce n’est pas encore bien clair, mais je suis décidé. J’ai un projet. Il rejaillira sur chacun d’entre nous. A commencer par moi. On a volé des objets qui appartenaient depuis plus de trois siècles à ma famille ! J’ai toujours vécu dans ces pierres, avec cette armoire en merisier, les baies dont il fallait remplacer les vitres tous les cinquante ans, ces travaux duraient une semaine entière, et cette vaisselle en argent bosselée et fine à vous couper les lèvres. J’ai des dettes à rembourser, moi. Il n’y a plus que moi pour récupérer l’hôtel particulier, les armoiries, l’honneur en somme. Edmond n’est plus. Il n’était pas commode, peu compréhensible… Il tenait de ma mère, qui était voyante avant d’être cantatrice, le saviez-vous ? Non, bien sûr. Cela ne se disait pas. Il s’est tué ! Mon frère, vous comprenez ? Avec qui je vivais, parmi ces pierres, depuis toujours. Cela ne pouvait pas finir ainsi. Il me fait un présent depuis l’au-delà, bien sûr. Non ? Ce phénomène tombe vraiment trop à pic ! Voici mon projet : en faire un symbole. Cet arbuste rustique, de l'ancien ordre des Ligustrales et de l’ancienne unique famille des Oleaceae sera notre grotte Chauvet, notre Grand Canyon, notre Montagne aux sept couleurs ! Les touristes paieront pour le voir, des cars entiers viendront goûter notre cidre et nos cochons ! Vous verrez, on reconnaîtra la campagne française sous le nom de Pamplecôte ! Oh ! J’ai déjà une idée ! M. le Maire, pourriez-vous détacher vos gendarmes pour surveiller nuit et jour qu’aucun vandalisme n’est perpétré sur l’arbuste ? »

Le Maire sourit, lui rendit le document et lui prit le bras.

« - Bien sûr, trois fois oui ! Lieutenant, vous vous en occupez ? » lança-t-il à Armelle.

Tandis que le Comte et le Maire s’éloignaient en parlant de whisky (que j’aurais bien partagé avec eux), bientôt rejoints par le Curé, qui, la mine inquiète, évoquait l’universalité des miracles, Armelle explorait les environs. Elle avait l’habitude de la planque, que ça soit comme gendarme ou comme chasseuse.

Anaïs était partie dans la foule, autant pour tâter l’atmosphère que pour se réchauffer. En tant que Martiniquaise fraîchement débarquée sous nos latitudes, le froid semblait la tenailler durement. Ces températures réveillaient aussi une douleur dans la partie immobile de son visage – ce qui lui donnait espoir de la récupérer un jour.

Pour ma part, je ne sentais ni mon nez ni mes oreilles mais je tournais autour du forsythia, cherchant son parfum, m’enivrant de sa lumière printanière, m’aventurant même à caresser son feuillage du dos de la main tout en continuant d’écouter ce qui se disait autour. Je voulais percer son mystère. Ma fibre de détective se réveillait ; celle qui m’avait, en partie, précipitée dans le métier de « gendarme ». Nous étions les seules à savoir que le forsythia n’était plus entier. Une branche se faisait disséquer à la lumière crue d’un laboratoire. Pour le reste de la plante, il était difficile de détacher son regard de sa couleur tendre, accentuée par le blanc velouté des alentours. Qui oserait s’en prendre à elle ?

Armelle nous appela sur nos talkies-walkies. Elle nous attendait devant la maison du Comte.

« - Nous allons planter une tente. Vous vous relayerez une nuit sur deux, Anaïs et toi. Je passerai les nuits ici. On verra ensuite. »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Diane Ly ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0