Un évènement

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Je m’appelle Abigail Ducornet. Gendarme depuis cinq ans et musicienne-sportive-détective depuis toujours. Ici, à Pamplecôte, on dit qu’il ne se passe rien. C’est faux. Il suffit d’être à l’écoute. Sous la surface fourmillent les intrigues.

Avec Anaïs, ma collègue, et Armelle, ma cheffe, nous croyions nous ennuyer pour toujours car le seul véritable fauteur de troubles du coin venait de se suicider, avec une corde. Nous patrouillions donc pour la forme.

Remontant la nationale, frappant avec rage nos mains, notre poitrine, nos genoux raides, tentant même d’atteindre nos os par des coups répétés pour les réchauffer, nous arrivions à hauteur du sous-bois où nous avions trouvé le corps, la semaine précédente, quand nous fûmes bloquées par un attroupement.

« - Qu’est-ce qu’y s’passe ? lança Anaïs d’un ton blasé, en pensant au mojito qu’elle avalerait au prochain carrefour. Elle fait peur au gens car la moitié de son visage est paralysée, suite à un AVC. Ça se voit bien car elle sourit souvent de l’autre côté. L’uniforme doit jouer aussi. Le groupe recula. M. Carbure, le garagiste aux jambes arquées de la rue Tissot, prit la parole.

- Un illusionniste qui fait sa pub. On saura bientôt de qui il s’agit.

- Moi, il y avait un scarabée dans mes toilettes, ce matin. On n’a pas convoqué la presse ! Se plaignit Mme Sage, retraitée, son caddie au bout de ses doigts tremblants. »

Une grande partie du village était de sortie. Armelle intervint :

« - Arrêtez de reculer ! Attention aux voitures ! Que se passe-t-il ? Dites-le nous ! »

Ma chef confond ses rôles de mère et de lieutenant.

Laurent Vinot, ayant exceptionnellement déserté le Café du coin, montra le sous-bois.

« - Je vais pas vous le dire, sinon vous me croirez pas. Allez-y ! »

« - Allez-y ! » ordonna Armelle, d’une voix chantante. Elle tendit les bras pour faire barrière entre la route déserte et les habitants du village.

Anaïs et moi nous engageâmes sur le sentier que nous connaissions par cœur en tentant d’éviter les branches givrées. Je l’arrêtai :

« - Tu vois la maison, là-bas ? »

Je désignais une masure sans étage aux pierres et planches disjointes, au milieu des arbres.

« - Une chambre froide ? Tu veux pas avancer ?

- Non. C’est la nouvelle maison du Comte.

Anaïs sursauta.

- T’es sérieuse ? Et le château ?

- Il a été revendu. A une alpiniste connue. »

J’aime impressionner la jeune recrue. Ça me permet de garder un ascendant sur elle.

Son œil non paralysé s’arrondit derrière la fumée de ma cigarette.

Le sol craqua derrière nous. Nous reconnûmes M. Tisserand. Celui-ci portait une toile, un pupitre et du matériel de peinture sous les bras. Il piétinait quelques mètres derrière en toussant avec vigueur.

Nous reprîmes notre marche. M. Tisserand suivit, à distance respectable. Anaïs enfonça un chewing-gum à la fraise dans sa bouche, du côté valide.

- Connue comment ?

Il y avait foule dans la clairière. Une quinzaine de personnes s’étaient rassemblées en arc de cercle autour du chêne où s’était pendu, une semaine plus tôt, Edmond de Villemuret. Nous écartâmes les curieux. Au pied du chêne, une lumière dorée d’environ 1,50 m sur 70 cm éclaboussait la neige vierge et les troncs nus. Nous partageâmes le silence collectif, comme autour d’un corps prêt à être inhumé. C’était la multitude de fleurs devant nous qui produisait cette couleur inhabituelle en hiver. Elles avaient de délicats pétales veloutés et des pistils offerts aux insectes, en vain.

Un forsythia avait fleuri en décembre. C’était loin d’être banal.

Des commentaires discrets jaillissaient.

« - Le Printemps arrive plus tôt cette année !

D’autres répondaient.

- Non, c’est la Révolution !

- Vous mettez bien le nom de la commune dans votre article, hein. »

La voix qui venait de s’exprimer était celle du maire.

Le vieux renard parlait à un journaliste de la chaîne de télévision locale.

Quelqu’un s’énerva :

« - C’est le dérèglement climatique ! On va tous crever !

- Bah dis-donc, bah dis-donc, faisait Hugo, propriétaire de la salle de musculation, se balançant comme une cloche.

- J’ai un meilleur angle, viens ! », lança un jeune homme avec son appareil photo à la main à une femme dont les dreadlocks tombaient jusqu’au bas du dos.

Des touristes.

Tandis que le curé marmonnait une prière, concentré, deux religieuses âgées apportèrent un arrosoir rempli d’eau.

On s’écarta respectueusement.

Elles arrosèrent l’arbuste.

Gérard Gilbert, le SDF du village, passa dans les rangs avec son bonnet retourné :

« - Pour manger, Messieurs Dames ! ».

Les yeux ronds, chacun lui donna tout ce qu’il demandait.

J’aperçus une forme humaine bouger derrière l’arbuste. Après des échanges silencieux faits de gestes de doigts, nous nous séparâmes doucement et surprîmes un homme d’une quarantaine d’années avec une besace en bandoulière en train de casser une branche du forsythia.

« - Eh là ! », réagit Anaïs.

L’homme détala. Je décrochai mon talkie-walkie :

« - Armelle, on a problème vers l’Est. »

A trois, nous l’encerclâmes sans problème derrière la masure du Comte. Il lâcha tout et leva ses mains gantées en l’air.

« - Vous faites quoi ?, demanda Anaïs.

- Je prélève un échantillon, bégaya l’homme d’une voix aigüe.

- Pour quoi faire ? repris-je.

- Des recherches, des analyses. Tenez, regardez dans mon sac, je dessine la flore locale depuis longtemps. Je suis chercheur, aussi. Biologiste.

- Vos papiers d’identité, demanda Armelle. »

Elle étudia les documents puis reprit :

« - Hervé Kadanski. Où travaillez-vous ?

- Au Laboratoire déconcentré de biologie des plantes, à Montac (92).

- Et vos recherches portent sur quoi ? demanda Anaïs, sincèrement curieuse.

- Les mutations des arbres. A vrai dire…

- Oui ? l’encourageai-je sèchement.

- Il se pourrait que celui-ci présente une anomalie génétique lui permettant de se défendre contre les intempéries hivernales. Regardez, fit-il en brandissant sa branche, les fleurs n’ont pas été abîmées par les chutes de neige, cette nuit. »

Armelle saisit la branche et tenta d’arracher un pétale. Il se détacha après plusieurs tentatives. Armelle était capitaine de l’équipe de football féminine de Pamplecôte.

Nous contemplâmes la branche. Le scientifique avança timidement une main avide. Armelle lui tendit l’objet.

« - Faites-nous des rapports réguliers. Et tâchez de ne pas en arracher d’autres.

- OK, merci Lieutenant, lui lança le biologiste avant de ranger son sac.

- Mission terminée, on poursuit la ronde, annonça Armelle. »

Anaïs et moi lançâmes un dernier regard au bouquet d’or qui jaillissait comme un feu d’artifice gelé.

C’est alors que la haute silhouette du comte sortit de la masure délitée et se dirigea à grands pas vers le forsythia. Armelle nous fit signe de nous arrêter.

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