Prologue

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Dans la commune de Pamplecôte, à l’angle de la N910 et de la rue Morterêve, le long du GR89 et du Parc naturel régional de l’Oise, court un mur en pierre d’où sortent des branches centenaires.

Un matin givré de novembre 2017, trois gendarmettes imposantes aux chignons tendus appuyèrent sur la sonnette du portail. L’une d’elles, bien en chair, peau brune, cheveux corbeau balayés de cuivre, grande bouche et visage à demi figé par accident, avait collé son œil à un petit trou du panneau noir.

- Vous croyez qu’il va nous faire entrer ?

De l’autre côté du mur, moineaux, accenteurs mouchets et troglodytes mignons s’envolèrent.

L’une de ses collègues, dotée de l’uniforme le plus doré, d’un corps musclé et, au milieu d’un visage creux et légèrement bronzé, de deux yeux bleus saphir, répondit gravement :

- Vaudrait mieux, vu ce qu’on va lui dire. Vaudrait mieux.

On se mit au garde à vous.

L’interphone, à demi dissimulé par une branche de lierre, cracha :

- C’est pour quoi ?

La plus galonnée dit :

- Gendarmerie. Nous avons à parler à Jean de Villemuret. Sans délai.

- Un instant.

Les trois fonctionnaires sautillaient sur place en se frictionnant quand la voix reprit :

- Le Comte est prêt.

Le portail s’ouvrit. Feuillus et pins cachaient l’horizon, plantés sur des herbes folles. On se mit en marche. La terre glacée crissait sous les bottes.

Celle qui avait observé le parc à travers le trou du portail émit un rire de victoire, hululant en direction des houppiers.

- Chut, Anaïs, lui intima la troisième de sa voix grave, une grande femme vive et carrée à la peau pâle. En contre-point de sa courte frange alignée, un grain de beauté noir accentué au crayon naviguait entre sa fossette gauche et sa lèvre supérieure.

- Quoi ? On va enfin voir à quoi il ressemble, se justifia Anaïs. Lui, et son château.

Après un silence, la grande cligna d’un œil :

- A son frère ? Qui sait ?

Anaïs rit :

- Oh non ! Lui, on l’a trop vu !

Anaïs s’était tournée vers sa supérieure, qui continuait d’avancer avec la gravité d’un pape, visage fermé.

- Pour finir si tristement, ajouta la grande au grain de beauté.

On marcha en silence. Au sortir du bois, elles débouchèrent sur un jardin plus tenu, puis une aire de gravier blanc où était garée, en travers, une Lamborghini.

Un bâtiment du XIXe siècle haut de trois étages était planté à cet endroit. Les murs jaunes, d’origine, avaient été soigneusement rénovés. Le toit noir s’élançait triomphalement entre les murs et le ciel. Certaines rangées de pierres polies par le temps avaient été laissées à vue. Sans fioritures, sauf en ce qui concernait l’entrée, qui sortait de l’alignement pour soutenir un balcon, elle était constituée de deux parties perpendiculaires. L’homme de trente-cinq ans apparut en peignoir sur le parvis ancien, moustache travaillée au gel et cheveux parfaitement hérissés au-dessus d’yeux noirs en forme de losanges sur un visage marqué. Il mesurait bien vingt centimètres de plus que la plus haute des gendarmettes. Sa taille fine était entourée d’une ceinture de cachemire bleu nuit et, sur l’étiquette qui dépassait de l’un de ses chaussons, on pouvait lire « Yves Saint Laurent ».

Le Comte hocha le menton en direction de la galonnée et lui tendit la main.

- Bonjour, chère Armelle ! Que se passe-t-il encore ?

Armelle s’avança et empoigna la main de son hôte.

- Voici mon équipe. Abigail Ducornet ; de Piquedune. Anaïs Bonardin ; de Martinique.

- Bienvenue ! lança le Comte, interdit.

- Nous avons une bien triste nouvelle, Monsieur le Comte, annonça Armelle.

L’homme se raidit :

- Il risque la prison ?

- Non, c’est plus grave, l’arrêta la policière.

Ils entrèrent. Le noble ouvrait la marche, visage fermé. La chef suivait. Les deux autres prenaient leur temps, happées par des sculptures, des pierres brillantes, des tableaux de collection, des jeux d’échecs injouables en marbre ainsi que par les poutres, pierres et niches pratiquées par dizaines dans les murs.

Une odeur de narguilé flottait dans le salon où il les pria de s’asseoir. Le givre, dehors, illuminait la pièce et laissait voir la poussière voler. Les fauteuils brodés les enveloppèrent, moelleux comme des édredons de plumes. Une fine vasque de porcelaine emplie de fruits frais occupait la table centrale. Autour, les mains des domestiques s’affairaient. On posa thé, sucre, citron.

- N’oubliez pas le repose-sachet afférent, commanda le Comte.

Il croisa les jambes et adressa un rictus débonnaire aux trois gendarmettes.

- Que me vaut l’honneur de cette délégation ?

Il scruta ses invitées, imperturbables, et soudain rouge, reprit :

- Je ne vois pas, vraiment, je ne vois pas ce qui pourrait être plus grave que de piquer dans la caisse d’une supérette ! hurla-t-il. Encore heureux que...

Il sursauta :

- Il a cambriolé une banque?

- Non, dit Armelle en le regardant dans les yeux. Edmond-Opercule de Villemuret… On l’a retrouvé ce matin. Il…

Le Comte se pencha vers elle et chuchota d’une voix angoissée :

- Il a encore dormi dans les égouts ?

- Non. Raide mort. Voilà. Votre petit frère est mort cette nuit.

Le visage du Comte devint rouge.

- C’est une blague ? Arrêtez tout de suite ! Il vous entourloupe, vous ne l’aimez pas, soit ! Mais ne venez pas raconter vos calembredaines !

- C’est pas une blague, dit la gendarmette avec fermeté.

- Ni une calembredaine, précisa une autre.

- Et on l’aimait bien, ajouta la troisième, d’un ton plaintif.

- Du whisky ! demanda le Comte d’une voix éreintée. Deux mains lui tendirent un verre où teintaient des glaçons.

Le malheureux interrogea les gendarmettes du regard.

- Pendu à une corde, dans le bois d’à côté, répondirent-elles tout à trac.

- Il y avait une grosse bûche sous lui…, précisa la chef. Mais l’enquête est en cours.

Après un silence, elle reprit :

- Nous devons vous dire autre chose, avant de vous laisser.

- Il y a des dettes, la relaya Anaïs.

- Beaucoup de dettes, précisa Armelle.

- Et vous, vous en héritez, fit Abigail.

- La justice a déjà été saisie, reprit la plus galonnée sans doute.

- Par les casinos, informa l’une des trois.

- Ceux où il avait l’habitude de jouer, termina une autre.

Le Comte haleta, épuisé, à des genoux qui se tenaient là :

- Stop. Raccompagnez-les, s’il-vous-plaît. Je m’en occupe, ajouta-t-il en direction des trois représentantes de l’ordre qui s’éloignaient en silence. Au-dessus de la porte, une chouette empaillée dardait sur elles ses yeux brillants. Elles la saluèrent de la tête et sortirent.

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