RENCONTRE INOPINÉE

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Nous étions le 16 juillet ; c’était un vendredi après-midi aux environs du 16h ; j’étais chez moi et je préparais une présentation en anglais pour un colloque de chimie physique sur les « Terres Rares », colloque qui allait se tenir à Édimbourg 6 jours après. J’avais 25 ans, ingénieur dans un laboratoire Université-CNRS d'un institut de chimie ; l’équipe comportait 5 permanents en plus de moi et plusieurs étudiants stagiaires, en nombre variable suivant les périodes de l’année. En fait, je n’étais pas tout à fait un ingénieur car j’étais ce que l’on appelle "un doctorant" et j’avais obtenu mon poste en remplaçant une collègue ingénieure du labo ; elle attendait un enfant. La médecine du travail du CNRS l’avait mise en congé de maladie dès le 3ème mois car elle avait déjà donné naissance à un enfant non viable, 2 ans avant, alors qu’elle était restée travailler au labo jusqu’à la fin de sa grossesse.

Comme l’équipe avait un certain renom, mon patron avait obtenu d’avoir son remplacement assuré grâce à un contrat industriel et il m’avait offert le poste alors que je n’étais qu’en 2ème année de thèse. Les 5 personnes de l’équipe m’appréciant et l'état d'avancement de ma thèse permettant de prévoir une soutenance assez proche, mon recrutement n’avait posé aucun problème. Il faut dire aussi que j'étais apprécié: Je rendais service assez facilement et, n'ayant pas charge d’âmes, j’acceptais facilement d’assurer des permanences, la nuit ou les week-ends, pour surveiller des expériences en cours. En plus, j’accomplissais avec beaucoup de bonne humeur et de bonne volonté beaucoup des tâches ingrates données en responsabilité aux jeunes doctorants au sein de l'institut, comme assurer la maintenance des appareils communs, aller à la réserve chercher les produits ou acheminer des bouteilles de gaz (oxygène, argon, azote...) d’un endroit de l'institut à un autre. Je dois avouer que, tant moi que mon patron, nous espérions bien pérenniser ce poste, que la collègue revienne ou non car l’industrie, qui me payait sur contrat, comptait beaucoup sur mon axe de recherche pour se développer dans de nouvelles directions.

Être ingénieur me satisfaisait pleinement car je ne recevais plus une maigre bourse de thèse mais un vrai salaire, et, cerise sur le gâteau, je n’étais plus sous la pression constante d’avoir des résultats probants à publier car j'avais signé un contrat de confidentialité pour certains de mes travaux liées à notre collaboration avec les industriels. J’aimais bien rendre service et être considéré comme une pièce indispensable à l’équipe et, surtout, j’avais besoin de pouvoir jouir de ma tranquillité, tranquillité qui me permettait sans problème de conscience de me consacrer à mon violon d’Ingres, les arts plastiques. Je passais mes peu de temps libres avec des pastels, des pots de peinture, des pinceaux et moult matériaux divers à créer des œuvres plastiques.

Je n’étais pas à plaindre ; j’avais récupéré à la mort d’une de mes grand-mères lors de mon adolescence un appartement de 90 m2 dans un immeuble près du Parc Montsouris à Paris. Je ne l’avais pas habité de suite du fait que l’immeuble, dans lequel il était, avait été détruit pour permettre la construction d’un ensemble immobilier moderne plus vaste, construit sur un étage de caves et deux étages de parkings. En échange de l’appartement, mes parents avaient négocié pour moi la dation d’un 4-5 pièces de 105 m2 au 2 ème étage d’un des bâtiments avec une cave spacieuse et deux places de parking en sous-sol. Je l’avais habité dès le début de ma vie étudiante à Paris, il y a 6 ans. Au début, mes parents payaient les charges mais maintenant je me faisais for de les payer, même si mes parents m’aidaient encore de temps en temps. Il faut dire que mon père était professeur de médecine interne au CHU de Rennes et ma mère pédiatre libérale ; mon frère ainé, le seul que j’avais, était devenu médecin comme mon père et ne coûtait plus rien car il avait terminé ses études et était en stage dans un hôpital à Philadelphie.

Assis devant ma table de travail, j’étais un peu dubitatif devant mes résultats, pourtant certifiés exacts et cohérents par mon patron. Je n’y croyais pas trop et j’étais stressé car il me restait 4 jours pour préparer la présentation de ceux-ci en anglais en m’aidant de la dizaine de graphiques et illustrations que je mettais en forme avec « Powerpoint ».

Je ne pouvais m’empêcher, vu la lumière ensoleillée baignant la rue, de laisser vagabonder mon esprit vers d’autres activités extérieures plus ludiques. Ma tête avait besoin, à défaut de vacances, d’un peu de repos et, c’est ainsi que m’était revenu à la mémoire que j’avais eu l’intention, le matin même, de courir un peu à l’ombre des arbres du parc Montsouris pour m’entraîner, tout cela parce qu’un étudiant allemand en stage dans l'institut s’était moqué la veille de ma sédentarité et qu’il m’avait mis au défi de le suivre lors de ses prochains footing entre 12 et 14 heures. Réflexion faite, je me décidais donc à aller courir dans le parc. Je n’avais pas envie de perdre mon défi car le perdant allait devoir assumer pendant 6 mois la gestion d’un spectrographe assez récalcitrant du fait de son âge. Je m’empressais de me mettre en tenue de sport et je me précipitais vers la sortie de l'immeuble.

L’ascenseur étant occupé (comme toujours quand on est pressé) et montant vers les étages supérieurs, je dévalais en courant mes deux étages et me retrouvais dans l’aquarium, vaste vestibule vitré aux pieds des escaliers et des ascenseurs. Je me dirigeais alors d’un bon pas vers les grandes portes vitrées donnant sur la rue et, sans trop faire attention à la personne penchée sur l’interphone extérieur inspectant la liste des noms, je la hélais.

— Je vous tiens la porte ?

Elle se retourna et fit un bon jusqu’à la porte.

— Merci, Monsieur !

Il s’agissait d’une jeune fille assez grande, à la taille fine, avec une chevelure noire très fournie tombant en grandes mèches frisotantes sur ses épaules. Elle était habillée d’un teeshirt blanc assez informe et d’un « jean » bleu ciel, déchiré aux genoux. Je dois dire que je n’avais pas fait trop attention à elle car elle n’avait rien de spécial dans sa tenue négligée et dans son port de tête ; je dois avouer aussi que mes yeux ne s’étaient pas trop portés sur elle.

Me voilà dans la rue, marchant à grandes enjambées. 10 minute après j’étais presque arrivé à une des entrées du parc quand je me suis aperçu qu’un lacet d’une de mes chaussures de course s’était défait. Faisant le nécessaire pour le renouer et bien serrer la chaussure autour de mon pied, je tirais comme une brute sur ses deux extrémités et, vu son usure, il n’a pas résisté. Une seule solution : retourner à l’appartement pour trouver un autre lacet car je ne me voyais pas courir avec une chaussure tenant mal à l’un de mes pieds.

Un quart d’heure plus tard j’étais de retour à la case départ et, oh ! miracle ! l’ascenseur m’attendait au rez-de-chaussée, je le prenais. Première chose que je vis, quand je sortis de la cabine au 2ème étage, c’est que la porte de mon appartement était restée entrebâillée. Je dois dire que ce n’était pas la première fois que cela m’arrivait. En effet, la porte était doublée à l’intérieur d’un rideau dont la fonction (soi-disant) était d’assurer un isolement phonique entre l’intérieur de l’appartement et le palier extérieur. Je dois dire honnêtement que ce rideau donnait à mon entrée un caractère assez bourgeois mais que son utilité, dans l’isolement phonique du palier par rapport à mon entrée, était plus que restreint. Il avait un inconvénient majeur : Quand on quittait un peu trop rapidement l’appartement, il avait tendance, sous l’action des courants d’air, à avoir un pan qui se retrouvait coincé entre le chambranle et la porte, obligeant, ainsi, celle-ci à rester entrebâillée.

Je n’étais, donc, pas surpris de retrouver ma porte entre-ouverte et, en 3 enjambées, je me précipitais chez moi en me dirigeant sur la droite vers la cuisine à la recherche du tiroir, potentiellement gardien d’un lacet plus ou moins neuf.

C’est à ce moment-là que j’entendis derrière moi un bruit infernal venant de la salle de séjour à gauche en entrant, le bruit de tous les papiers, entassés à la "va vite" sur mon bureau, se répendant sur le sol. Pour bien comprendre le phénomène, mon bureau, une planche sur deux tréteaux, servait, avant tout, à stoker tous les documents que je recevais, aussi bien des journaux, des factures, que mes feuilles d’impôts ou encore les tirés à part et photocopies des publications que je lisais. C’était une montagne de papiers divers mais, aussi bizarre que cela puisse paraître, je m’y retrouvais toujours car je me souvenais en général assez bien du positionnement, dans le temps et l’espace, des dépôts de ceux-ci. Le résultat était qu’il y avait toujours sur cette planche un tas assez informe de papiers de tailles diverses.

Je ne faisais aucun effort pour les ranger ! Ils avaient tendance à s’accumuler au gré des jours et des semaines, certains d’entre eux migrant vers ma table de travail quand cela me paraissait nécessaire pour travailler ou pour régler un problème administratif. Celle-ci était de grande taille car c‘était la table de la salle de séjour de mes grands-parents ; elle faisait autrefois fonction de table de salon ou de table de salle à manger suivant les heures de la journée. Il y avait dessus mon IMac, mon Mac Book Pro, un Ipad, une boîte remplie de clefs USB, des livres, et, quelques dossiers bien rangés qui contenaient les papiers nobles c’est à dire ceux qui étaient dignes d’être gardés ou ceux sur lesquels je travaillais.Naturellement, je sursautais au bruit fait par la chute de ces papiers et je me retournais en jurant comme un charretier. Je me précipitais vers la source du bruit quand, brusquement sortant de la pièce de séjour, je vis une furie se précipiter vers la porte du palier que je venais de fermer. Surpris, je ne reconnus pas de suite la fille que j’avais fait entrer dans l’immeuble et je ne poussais qu’un cri.

  • Hen ! Qui êtes-vous ?

Je ne pus aller beaucoup plus loin dans mon discours car, toujours silencieuse, elle se précipita sur moi pour essayer d’ouvrir la porte palière. Je ne sais trop ce qui s’est passé si, ce n’est qu’elle me bouscula en me marchant sur les pieds ; elle me fit un mal de chien car j’avais perdu, dans mes mouvements brusques pour aller vers la source du bruit, ma chaussure mal lacée et elle m’avait malencontreusement écrasé, avec ses sandales à semelles dures, le pied libéré de cette chaussure. Je lui balançais instinctivement une forte claque qui atterrit à cheval sur sa joue gauche et sa tempe.

  • Ça va pas ?

Mais il ne va pas rester devant la porte cet animal ! Il pourrait se pousser pour que je sorte. Je sais que je n’ai pas à être là mais il ne va pas me retenir prisonnier !

— CLAC !

— Aiieee !

Elle poussa alors un cri enroué et se précipita vers le sas menant aux chambres et aux sanitaires face à la porte palière.

Quelle brute!

Il faut absolument que je sorte de là. Pourvu que je trouve des balcons me permettant de m’échapper…Il ne faudrait pas qu’il me court après… Il ne pouvait pas rester dehors ! Je n'ai même pas eu le temps de nourrir ma curiosité!

Un peu dépassé par les évènements et ayant mal à mon pied déchaussé, je ne courrais pas derrière elle de suite, me demandant ce qu’elle allait faire. Allait-elle s’enfermer dans la salle de bain, les toilettes ? ou allait-elle trouver refuge dans une des chambres ?

Quand je repris mes esprits je m’aperçus qu’elle était entrée sur la gauche dans ma chambre (la porte était ouverte) et je la vis se précipiter vers la fenêtre ouverte dans un état second ; elle jeta un coup d’œil sur l’extérieur. Je pense qu’elle voulait voir s’il y avait un système de balcons lui permettant de fuir car sauter du 2ème étage me semblait plus que dangereux ; il n’y avait aucun espace vert en dessous. Comme j’arrivais au sas commandant les chambres, catastrophe ! mon mobile poussa une plainte ; c’était Pierre-André, mon patron, qui m’appelait. Il n’était pas question que je lui réponde de suite mais la sonnerie m’avait déconcentré ; la fille en profita pour fuir ma chambre et se réfugier dans la seconde qui lui faisait face. Je commençais à m’inquiéter un peu car je la trouvais de plus en plus fébrile. J’aurai bien voulu voir sa tête quand, ouvrant la porte, elle découvrit à quoi correspondait cette chambre car c’était mon atelier. Il y avait des toiles un peu partout ainsi que des cartons à dessin et deux tables, en fait des planches sur tréteaux, supportant des pots divers plus ou moins remplis de liquides colorés, des tubes de couleurs, des pinceaux, un capharnaüm de matériaux divers. Elle n’était pas prêtre de ressortir facilement de cet espace car les fenêtres étaient en partie condamnées par les amoncellements de matériels se trouvant devant.

Je soufflais alors un peu, j’allais l’attendre à la sortie de la chambre ; son idée de fuite n’était pas très bonne ! J’en profitais pour répondre à Pierre André que j’allais le rappeler un peu plus tard, ayant un problème à résoudre sous forme d’un chat (plutôt une chatte) qui s’était introduit chez moi et qui se planquait quelque part. En fait, il me demandait de venir le lendemain au labo pour revoir avec moi mon intervention au colloque ; il voulait que ce soit moi qui présente mes résultats mais, en grand perfectionniste qu’il était, il fallait que tout soit nickel ; il se méfiait beaucoup de mon anglais !

C’est à ce moment-là que j’entendis un bruit épouvantable venant de l’atelier ; cela mimait l’écroulement d’une armoire, sur les étagères de laquelle il y aurait eu des boites en fer, des pots de verre, des instruments divers, au moment où l’ensemble serait arrivé au contact avec le plancher.

— MAIS CE N’EST PAS POSSIBLE ! qu’est-ce qu’elle fait encore !

Pierre André avait dû entendre une partie du bruit et surtout mon exclamation.

— Je te laisse avec ton chat ; tu me raconteras plus tard.

Et il coupa la communication.

Je dois dire que la moutarde commençait à me monter au nez ; elle avait déjà fouiné dans mon espace de travail et avait fait s‘écrouler le tas de documents se trouvant sur mon bureau. Il devait y avoir un joyeux mélange dans mes papiers ! Maintenant elle était dans mon atelier et je me doutais un peu du spectacle que j’allais trouver.

J’ouvris la porte et la première chose que je vis c’est qu’un des tréteaux s’était écroulé et que sur le sol, il y avait beaucoup de morceaux de verre, des pinceaux, des tubes de couleurs, des assiettes en papiers avec des restes de peintures et tout cela mêlé à de l’eau, peinture acrylique oblige. Heureusement, d’ailleurs que la table qui se trouvait à terre était réservée à l’acrylique car l’écroulement de la seconde, réservée à l’huile aurait été plus gênante du fait des solvants utilisés. Il allait falloir, cependant, nettoyer et tout remettre en ordre !

Je cherchais la fille du regard et je mis un certain temps à la repérer. Elle s’était réfugiée dans un coin de la pièce, assise par terre derrière un ensemble de 3 chevalets appuyés sur les murs. Elle était recroquevillée sur elle-même, bras autour des jambes et tête dans les genoux. J’ai compris alors ce qui s’était passé ; pour fuir et se cacher elle s’était glissée sous la table et, pour son malheur, elle s’était relevée trop tôt, bousculant ainsi la planche qui était au-dessus d’elle, envoyant ainsi par terre planche et tout objet se trouvant dessus. Elle ne semblait pas avoir trop souffert de la chute des pots mais il n’y avait aucun doute qu’elle avait reçu de la peinture sur la tête car tout le haut de sa personne -cheveux, figure, teeshirt, épaules- était maculé de diverses taches de peinture et le teeshirt, blanc à l’origine, était constellé de taches colorées à la manière d’une palette de peintre.

On n'a pas idée de stocker tant de produits salissant sur une planche soutenue par deux tréteaux; instables; maintenant je suis toute mouillée et couverte de peintures diverses! Il pourrait être plus ordonné. Comment je vais rentrer chez moi; mon teeshirt est informe et peinturluré, et ne parlons pas de mes cheveux, ils doivent être plein de produits colorés divers. C'est à croire qu'il avait piégé la table pour transformer ma tenue en une tenue camouflée.

Mais qu’a-t-il à me regarder ainsi ? je ne suis pas un animal de foire ! Je suis dans un beau merdier. J’espère qu’il va aller voir ce qu’il en est dans sa salle de séjour et ne pas rester là. Pourvu qu’il ne soit pas trop en colère ; je vais lui proposer de nettoyer. Il n’a pas l’air trop revêche ; il est beau garçon !

Dans son petit short il est pas mal, il a de belles jambes, fines et musclées ; c’est un beau mâle. J’aimerai bien me balader à son bras ! S’il pouvait un peu sourire ? Il n’est pas mal, certes, mais il n’a pas l’air commode…mais que fait-il à me regarder, je ne suis pas un « marbre » ! Il pourrait me dire quelque chose ; sa voix est, peut-être, agréable à entendre et cela me donnerait une idée de son humeur.

Je ne me précipitais pas sur elle car elle me semblait encore plus fébrile qu’avant. Elle avait sa tête entre ses mains, coudes bloqués sur ses genoux et, vus les tremblements de ses mains et sa manière d’ahaner, elle devait être dans tous ses états. Elle n'osait pas me regarder mais je voyais bien aux aller et retour de sa poitrine qu'elle était très émue. Je refermais doucement la porte et retournais dans l’entrée en prenant au passage un tabouret dans la cuisine. Je m’asseyais dessus, dos à la porte d'entrée, sûr, ainsi, de pouvoir intercepter la fille quoiqu’elle fasse. Je profitais du calme revenu pour rappeler Pierre-André et caler le RV du lendemain.

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