Chapitre 11

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J’ai pris quelques minutes dans la soirée d’hier à rassembler quelques affaires. Je me demande qui est cette fameuse amie que nous allons rencontrer. Peut-être que je vais rencontrer Whiley numéro deux. Qui voudrait de son propre chez être ami avec lui ? Etait-il différent étant enfant ? C’est vrai que l’image du couloir reflétait un Whiley heureux et souriant.

A huit heures trente pile, je me rends au rez-de-chaussée accompagné d’Evvy dans son apparence me correspondant. En sortant de l'ascenseur, pour éviter de faire attendre les autres, je l’aide en poussant son fauteuil hors de l’habitacle. Nous nous retrouvons dans la grande salle délabrée semblable à une chapelle, dans laquelle je suis arrivé le premier jour. Je n’y suis jamais revenu depuis ce moment. L’ambiance est toujours la même. J'espère que nous ne nous y attarderons pas. Près de la fontaine au centre de la pièce, se tient Whiley assis sur un banc de pierre. Il jette des morceaux de pierres qui sont à ses pieds, dans la fontaine. En nous voyant arriver, son regard s'assombrit. Il lâche ses morceaux de pierre et s’essuie les mains sur son bas.

— Achille n’est pas avec vous ? s’interroge-t-il. Sa question semble être un reproche, comme si nous étions pour quelque chose.

— Je ne l’ai pas vu depuis hier soir, je me contente de lui répondre.

— C’est bien son style, marmonne-t-il.

Quelques secondes à peine s'écoulent avant d’entendre le bruit de l'ascenseur. Le grand brun en est sorti. Comme quoi, il ne faut pas parler trop vite. Je n’en crois pas mes yeux. Je mets quelques secondes à réaliser ce que j’ai devant moi. Je m'efforce de ne pas rire. Whiley à côté de moi est tout tendu. Ses oreilles rougissent. Je jurerais que sa colère monte. Son petit frère se pavane dans une espèce de robe légère dans les tons crème, avec de très belles broderies sur les manches, accompagné d’un corset noué sur le devant et bien sûr, il est pieds nus. L’ensemble lui va à ravir. Ce n’est pas ça qui me fait rire. Je m’attendais totalement à ce genre de style bohème le concernant, mais c’est loin d'être pratique pour partir dans la forêt. Surtout sans chaussures pour braver les ronces et les animaux vivants sur le sol. C’est de l’inconscience pure.

Sans même se concerter, je vois dans le comportement de Whiley, qu’il pense exactement la même chose que moi. Je me demande ce qui lui est passé par la tête. L'aîné le regarde de la tête aux pieds, d’une mine excédée par ses âneries à répétition.

— En robe vraiment ? Tu crois qu’on part en pique-nique ou quoi ? Va te changer tout de suite !

— Quoi tu n’aimes pas ? Demande-t-il empoignant deux morceaux de sa robe puis s’abaisse jambes tendues comme pour faire une sorte de révérence.

— Là, n’est pas la question. Dépêche-toi et mets des souliers !

Sans se faire presser, il tourne les talons vers l'habitacle d’où il est sorti. D’une main, il fait un signe de revoyure. Toujours plus insolent. Il aime vraiment la provocation. Je pense qu’il ne comptait pas réellement partir comme il voulait seulement faire sensation. Ou en tout cas c’est quelque chose qui ne me surprendrait pas.

— C’est exactement ça, intervient Evvy.

Je ne comprends pas ce qu’iel veut dire par là, alors que personne n’a parlé. Pourtant, Evvy s’adresse bien à moi. Serait-iel en train de lire dans mes pensées ? Iel me regarde bien, ayant compris mes intentions cinq sur cinq.

— Tu viens de… de, les mots ne sortent pas, mais je touche du bout de mon index ma boîte crânienne.

— Non. Je ne lis pas dans les pensées.

Une sorte de poids sort de ma poitrine. Iel continue.

— Je comprends les intentions des gens. Et Achille voulait seulement être le centre de l’attention. Pour toi, j’ai juste interprété tes expressions du visage. Ton aura respire les questions sans réponse.

— Tu vas me manquer, je me contente de répondre.

Il est vrai qu’iel m’a beaucoup aidé quand les deux autres têtes d’autruche ne daignaient pas participer aux discussions, ni montrer le bout de leur nez. Durant les derniers jours, j’ai beaucoup sympathisé avec Evvy. On avait des discussions passionnantes. J’ai appris quelques anecdotes sur ses autres propriétaires. Un seul mystère reste présent, je ne l’ai jamais aperçu sous sa forme destinée à Whiley. C’est quelque chose qui m’intrigue mais je n’ose pas poser la question. Des fois, il vaut mieux laisser les questions là où elles sont. Ma patience a énormément évolué depuis cette longue semaine étrange.

— Tu me reverras, repond-iel.

Je n’en doute pas. Cette aventure ne fait que commencer. j'évite d’y penser pour rester concentré sur l’importance de la mission actuelle.

Au bout d’une dizaine de minutes, Achille revient. Cette fois, il est habillé convenablement. Il est vêtu d’un des pantalons qu’il a l’habitude de porter, il a gardé le corset qui allait avec sa robe mais en dessous, il a remplacé le long bout de tissu par une chemise large. À force de regarder son ensemble, je remarque quelque chose.

— Cette chemise m’appartient, non ?

— Il n’a pas vraiment l’habitude d’avoir quelque chose de convenable sur le dos, ça ne m'étonnerait même pas.

Il passe une de ses mains dans ses boucles parfaitement définies.

— Vous n’avez pas tort.

Il passe sa main dans le creux de son coup, puis soupire. Chaque action que son corps fait est une véritable addiction. Mes yeux ne peuvent pas se détacher de ses charmes.

— Allons-y, nous avons déjà perdu assez de temps, réplique Whiley s’avançant vers la porte de sortie.

Achille le suit, mais s'arrête devant moi me fixant intensément avec ses yeux charbonneux soulevés d’un trait d’eye-liner que je viens de remarquer. Ce petit détail apporte une touche d'originalité. Je passe de surprise en surprise avec ce garçon.

— J’aime bien ton odeur, m’avoue-t-il en pointant ma chemise.

Cette phrase ne sonne même plus bizarre dans sa bouche. Que ça ne devienne pas trop une habitude.

Sur le parvis du Palais, c’est le temps des au revoir. Cette maison va me manquer. J’ai commencé à me repérer dans l’immensité du manoir, mais pourtant, nous devons déjà partir. Je sers dans mes bras l’entité qui m’a tant accompagné ses derniers jours, puis vient Achille qui fait de même. Sans m’y attendre, le froid et renfermé du groupe se penche aussi vers Evvy. Alors que Whiley est toujours dans les bras de notre ami, une voix fluette l’interrompt.

— Tu pars pour toujours ?

Je me retourne, et vois le petit bonhomme qui a couru dans les bras de Whiley à notre arrivée. Surpris par le garçon, le blond descend les quelques marches du perron, pour le rejoindre.

— Non, je ne pars pas pour toujours Luaï, admet-il en dévalant l’escalier.

— Je suis toujours ton apprenti alors ? dit-il les yeux brillants.

— Bien sûr ! Un sourire des plus francs se dessine sur son visage.

Le jeune garçon s'empresse de serrer dans ses bras son maître. Leur complicité m'épate et ne me laisse pas indifférent. Il a l’air très intelligent pour son âge. Comment a-t-il su que son professeur partait ? Les informations circulent tellement vite ici. Les étreintes furent de courte durée. Luaï, une fois rassuré, nous quitte en nous saluant de la main.

Dehors, derrière les remparts, c’est le retour à la vie sauvage. Le semblant de vie et de confort que j’avais jusqu’ici va disparaître. Je le sais. Ce n’est pas entre trois feuilles d’orties que je vais me faire un lit douillet pour la nuit. Je n’angoisse pas tant que ça, c’est même plutôt excitant de se retrouver dans un endroit peu familier. Le bruit de trompette retentit quelques secondes après avoir mis les pieds dans les hautes herbes. Voilà plusieurs jours que je n’ai pas été confronté à cette chaleur humide. Une vraie jungle. Je sens dès à present des perles de sueur se former sur mes tempes. Je dépose ma main au-dessus de mon arcade sourcilière afin de bloquer les rayons lumineux du soleil. Des arbres à perte de vue, voilà ce qui se trouve devant moi. Nous allons nous enfoncer dans la verdure dans quelques instants. Une sorte d'appréhension commence à me peser. Je n’ai pas vraiment idée de ce qui se cache dans ce lieu sauvage. Je sens une présence derrière moi qui s’avance. Je tourne la tête d’un quart de tour. Achille se pose à ma hauteur.

— Pas très rassurant ?

— Pas vraiment non.

Il sourit de toutes ses dents.

— Je peux t’aider à moins ressentir la pression si tu le souhaites, me propose-t-il.

Je prends quelques secondes en considération son offre. Puis je refuse poliment. Je veux rester moi-même. Je vis une expérience unique, et le connaissant, son emprise en trop forte pour que reste moi-même et conscient.

— Au lieu de papoter, venez récupérer vos armes, exige Whiley.

Nous avançons vers lui, qui sort d’un ravin un tas d’objets tranchants.

— Je ne pensais pas que les cachettes de la guerre autour des murailles étaient encore opérationnelles, manifeste Achille.

— Elles ne le sont pas. J’ai seulement ajouté ce sac en début de semaine, avoue-t-il.

Dans sa voix, un soupçon d’agressivité reste accrochée. Leurs problèmes ne semblent pas s'être totalement réglés. Je m’en veux d’avoir interrompu leur prise de bec la fois dernière. Ils devraient finir cette discussion. Vu leurs personnalités respectives, cela m'étonnerait certainement que ça se produise un jour. Espérons que leur embrouille se règle d'elle-même.

— Qu’est-ce que je vais avoir ? je demande. Je ne suis pas très doué avec les armes.

— Et le pistolet que tu as dans ton tiroir ? Tu savais le manier non ?

— Oui, mais ce n’est pas…

— Si tu sais te servir d’un pistolet, tu sauras te servir d’un sabre, me coupe-t-il en me lançant dans les mains un long étui.

Je sors le sabre de sa protection. La lame brille au contact des rayons du soleil. La dangerosité de l'objet ne me conforte pas dans les objectifs de cette mission "récupération de la reine”. J’enfile sur mon dos la longue lame pour éviter de me la trimballer à la main. Mon cerveau bloque quelques instants. Je réalise que cette lame me servira sûrement à tuer. Un frisson me parcourt l'échine. Je ne suis absolument pas prêt à ça.

— Ne fais pas cette tête d’enterrement, tu vas faire peur aux oiseaux, ajoute Whiley fier de sa blague mal placée.

Stressé plus que jamais, je le fusille du regard.

— Tu n’es tellement pas délicat, fait remarquer Achille à son frère. Tu ne vois pas que c’est nouveau pour lui ? Tu devrais avoir un minimum d'empathie.

— Je ne fais qu’une simple remarque. S'il ne se sert pas de cette arme, il risque de se faire tuer assez vite. Tu vois bien qu’il n’a aucun pouvoir. Il se serait activé depuis longtemps…

Avant que la discussion tourne au vinaigre, j’interviens. Si ils règlent leurs comptes, ce ne sera pas avec moi comme punching ball au milieu.

— En parlant de ça. Si hypothétiquement mes parents viennent d’Amarae, est-il possible que ma sœur ait des pouvoirs ?

— Oui complètement, dit Achille sans se faire presser. Où est ta sœur ?

— De l’autre côté, répond Whiley à ma place. Elle aussi a une pierre d’après ce qu’il m’a dit.

— Deux pierres dans la même famille ? Tes parents ne devaient pas être n’importe qui. Il y a peu de chance qu’ils soient originaires de l’autre côté, m’annonce le plus jeune des deux, qui ne fait qu’augmenter mes suspicions.

Whiley tend deux dagues à son frère. Nous nous enfonçons dans la forêt sans plus attendre. Les minutes, puis les heures de marche s'écoulent lentement. Whiley reste silencieux tout en coupant les quelques branchages quand il y en a. Achille quant à lui, me parle, me pose des questions sur ma vie en Nouvelle-Zélande. Je n’ai pas grand chose à lui raconter, mais ça fait passer le temps un peu plus vite. Je lui révèle des informations sur mes parents, ma vie avec ma tante et ma petite soeur. Malgré son silence, Whiley écoute d’une oreille. J’en profite pour glisser des liens entre ma famille et ce monde dans lequel j’ai atterri. Je n’apprends rien de nouveau. J’ai la certitude que mes parents étaient ici à un moment ou un autre, mais pourtant c’est comme si ils avaient été effacés de cette réalité.

— Quand ont-ils disparu en mer ? me demande d’un coup Whiley.

Il intervient comme si une illumination venait de traverser ses neurones.

— Le 6 juillet 2005.

Les deux hommes se regardent l’air d’avoir compris quelque chose qui me dépasse. Les yeux écarquillés, je tente de glaner l’information qu'il me manque. Ils restent béats.

— Je peux savoir ce qui s’est passé à cette date ou vous allez vous regarder dans le blanc des yeux indéfiniment ?

Achille lâche du regard son frère, et attrape mon bras. Dans ses yeux dansent des flammes.

— C'était la journée de l’appel des groupes résistant, dit-il avec un entrain incommensurable.

— Qu’est-ce que je dois comprendre au juste ?

— J'étais trop jeune. Mais Whiley avait 16 ans. Explique-lui, demande-t-il, redescendant en pression.

Whiley regarde le sol et grommèle quelques mots. Achille hoche la tête. On reprend la marche.

— Il restait une année de guerre quand le contrôle de l'île fut total. Il existait plusieurs groupes inconnus du régime. Ce jour-là, un appel aux troupes armées a été déclaré. Les habitants étaient tous impuissants et s'imposaient à la terreur. Les enfants de plus en plus jeunes, comme Achille, furent éduqués à maîtriser leurs pouvoirs pour devenir soldat. Tout le monde avait peur. Alors pour défendre leur patrie, un appel général à tous les résistants fut lancé, peu de temps après. Nos parents en faisaient partie. C'était les seules personnes de pouvoir qui n'étaient pas corrompues par les sorciers noirs.

— Que font mes parents là-dedans? je demande trop impatient pour rester en place.

— J’y viens. Les résistants n'étaient pas qu’Amarae. D’autres avaient été bannis de l'île depuis leur enfance. Toute une génération d’apprentis sorciers blancs, entre 5 et 17 ans, ont été envoyés de l’autre côté pour éviter de faire revenir la magie blanche. Lors de cet appel, ils ont réussi à revenir pour faire triompher les sorciers blancs.

Je commence enfin à comprendre où ils veulent en venir. Mes parents, dans la résistance ? Jamais je n'aurais pu penser qu’ils auraient pu participer à une guerre. Je me souviens que mon père voulait que je choisisse moi-même ma propre voix et prenne mes propres décisions. A l’époque, je pensais qu’il faisait référence à ma vie d’adulte, mais cela prend un tout autre sens à present.

— Tu vas bien ? Tu es tout blafard, rapporte Achille comme une évidence.

— Un peu de mal à digérer l’information.

— Whiley, stop. On fait une pause.

Le blond souffle.

— C’est une très mauvaise idée.

— Seulement deux minutes, s’il te plait, redemande son frère.

L’homme en tête de file s'arrête.

— Deux minutes, pas plus.

Je me pose contre un tronc d’arbre et reprends mon souffle. Achille s’assoit en face de moi. J'évite de le regarder. Je n’ai pas les idées claires, pas la peine qu’il m’embrouille encore plus.

Mes parents à la guerre. Cette phrase tourne inlassablement dans ma tête. Je n’arrive pas à décerner le bon, du mauvais. Y’a-t-il du bon et du mauvais ? Est-ce que je viens d’avoir la preuve que mes origines sont celles que je n'aurais jamais pu présumer. Si je n’avais pas croisé la route de Whiley à cause de ma pierre, je serais resté dans l’ombre de ma propre existence toute ma vie ?

Un bruit de fer me sort de mes pensées, ainsi que cette lourde voix.

— Que font des femmelettes dans votre genre dans ma forêt ? grogne cette voix rauque.

Je lève les yeux. Achille est en position de faiblesse. Accroupi derrière lui, un homme borgne tient un couteau contre sa gorge. Trois autres personnes se tiennent bras croisés derrière lui. Achille reste calme. Où est Whiley ? Quand on a besoin de lui, il n’est plus là.

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