Chapitre 9

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Il règne dans la pièce clair-obscur un calme plat. Depuis déjà quelques minutes je ne sais pas trop où me mettre. L’ambiance est extrêmement tendue. Des discussions inaudibles se créent aux quatre coins de la pièce. Les gardes parlent entre eux, les généraux aussi. J’entends au gré d’une conversation que la reine serait portée disparue depuis qu’elle a été détrônée. Tout ce remue-ménage ne laisse pas indemne les personnes présentes dans la salle.

Après avoir aidé Achille à se relever, incapable de le faire de lui-même, il s’est éclipsé à l'extérieur du bâtiment. Puis, il m’a montré sans retenue qu'il souhaitait rester seul un moment.

Je ne comprends pas bien ce qui se déroule devant mes yeux. Les généraux s'agitent. Whiley tente de contrôler la situation. Cette renégate a laissé une traînée de poudre derrière elle. C’est le moindre qu’on puisse dire. Avec toute la quiétude autour de moi, je me sens piégé dans un étau. La pression est à son apogée. Je me fais le plus petit possible jusqu'à ce que l’on me sollicite. En observant la scène, j’ai plus de temps pour admirer le décor qui m’entoure. Les murs semblent être en pierre, comme dans ces grands temples grecs que l’on étudie dans les livres d’histoire. Le bâtiment n’est pas tout jeune. Ou est-ce une reproduction de nos anciens ? Je ne pourrais pas dire. Et cette belle femme tournoie toujours au centre de la table. Une reine, disaient-ils. Elle me paraît agréable et douce derrière son incroyable prestance.

— On rentre, me hèle Whiley.

Je sors de mes pensées. Des paires d’yeux me suivent du regard. Ces sorciers ne me rassurent en aucun point. Mais un petit détail me titille la curiosité.

— Je peux leur poser une question ? je lui demande, rien qu’une. J’ai besoin de savoir pour mes parents. Je ne sais pas si ce sont les personnes plus aptes à me répondre, mais autant essayer.

À ma plus grande surprise, il hoche la tête positivement à ma requête. Je ne sais pas si ça à un impact direct avec les informations qui viennent de lui être adressées, mais je ne refuse pas une telle possibilité qui s’offre à moi.

Je me décolle du mur sur lequel je suis appuyé et avance un peu plus vers le centre de la pièce.

— Excusez-moi de vous déranger… j’amorce doucement.

Dans une synchronisation parfaite, les cinq membres me font face. Ils me mettent mal à l’aise. J’essaye de rester le plus naturel possible. Pourtant, j’ai tout de même ce mouvement de recul.

— Je suis à la recherche de mes parents. Ils ont disparu en mer il y a quinze ans. Je pense qu’ils font partie de ce monde, ou ont tenté d’y entrer. J'espérais avoir des réponses de votre part.

— Quel est leur patronyme ? réplique sans attendre la femme capuchonnée la plus proche de moi.

— Esther et Michael…

— Ce n’est pas des noms répandus à Amarae, me coupe l’un des généraux sans me laisser le temps de donner mon nom de famille.

— Je me doute bien, mais ce serait-il possible qu’il soit arrivé ici d’une manière ou d'une autre ?

— Nous aurions retenu des noms aussi peu communs, intervient un des hommes aux mains jointes.

— Il est aussi probable qu’ils ne se soient jamais rendus ici, à Basweer. Le royaume est grand. Différents peuples couvrent l'île. Certains se cachent, d’autres sont condamnés, d’autres en fuite. Qui sait si ils ne se sont pas rendu invisible pour passer inaperçu. Prendre une autre identité est monnaie courante, surtout pour les tribus jonchant la forêt, explique un autre général balafré sur le front.

— Je vous remercie du temps que vous m’avez accordé.

Sans un mot, le groupe s'éloigne. Je me retrouve seul dans la pièce, sans être réellement avancé. Les maigres informations que j’ai, ne sont absolument pas suffisantes. Le monde que je connais depuis toujours s’effondre sur lui-même, les deux êtres qui me sont chers, ne sont que des poussières dans cet amas de nouveautés qui s’offrent à moi. J’ai l’impression de me lancer à corps perdu dans un combat qui n’est pas le mien. Pourtant, j’ai cette impression lovée au fond de ma cage thoracique qui me pousse à croire qu’ils ont été là, quelque part. Plus rien ne m'étonne. Bien que je sois tombée sur cette île pas plus loin qu’il y a quelques heures, je sais que j’y suis rattaché d’une manière ou d’une autre.

Suite à cette conversation déconcertante, je me rends à l'extérieur. Les deux frères m’attendent, au pied de la porte, en pleine conversation ardente. Achille semble requinqué d’une certaine manière. Seuls ses yeux restent rouges. J’intercepte quelques phrases.

— Tu me rends dingue ! crache Achille d’un ton qui ne lui ressemble pas.

— Tu crois que ça me fait plaisir ? répond Whiley tapant du bout des doigts sur sa propre poitrine.

En me voyant approcher, les deux compères arrêtent leur prise de bec et s'éloignent légèrement l’un de l’autre.

— Tu as eu ce que tu voulais ? demande Whiley par pur intérêt pour dériver de sujet.

Achille, les bras croisés contre son torse, reste en retrait. Du revers de la main, je le vois essuyer une larme et se retourner pour se cacher. Je fais abstraction de ce moment intime.

— Je ne sais pas vraiment. Je n’ai pas le sentiment d’avoir eu ce que je voulais.

— Tu n’as pas toutes les informations sur ce monde. Tu ne peux pas tout savoir en un claquement doigt alors que tu n’y connaissais rien hier.

Je sens dans son intonation une part de vérité qu’il veut me balancer comme une gifle. Par respect pour son frère qui n’est pas enclin aux débats dans son état actuel, je laisse couler. On trouvera un autre moment pour avoir cette conversation cruciale.

— Rentrons, demande Achille.

Sur le chemin du retour, nous traçons notre chemin. Une énième alarme sonne. Je comprends de moi-même que le couvre-feu est terminé. Les gens sortent de chez eux. Ils nous applaudissent sur notre passage. Nous acclament comme de vrais dieux. Je me sens comme une vraie bête de foire. Tout le monde veut nous toucher, nous glaner des informations. Ils ont tous dans leur regard cette lueur d’espoir. Moi, je suis juste là au milieu de tout ça, sans réellement comprendre l’impact de cette réunion, ni les problèmes que ce soulèvement royal a sur ce village. Je ne me permets pas de m'arrêter, ce ne sont pas mes affaires. Ils veulent leur leader. Mais Whiley ne prend pas le temps de leur parler et de répondre à leurs interrogations. Il s’accorde de lancer un éclaircissement au milieu du brouhaha, en avouant qu’ils auront plus ample connaissance du sujet dans la gazette du lendemain et sur l'écran d’information sur la grande place.

Empressé de rentrer, Achille pousse aussitôt la grande porte du vieux manoir, pratiquement sans nous attendre. Le bas de son manteau, avec la vitesse à laquelle il s’engouffre dans l’ascenseur, tournoie. Nous le rejoignons. Whiley se calle dans le fond en prenant appui sur le miroir et en basculant son corps dans l’angle de l'étroite pièce. D’un coup franc, Achille retire ses chaussures et laisse tomber son manteau à ses pieds. L’une de ses mains atterrit sur la porte. Il se met à pianoter avec ses ongles sur la paroi l’espace d’un instant. Et change de position dans la seconde qui suit. Avec la tension, ces quinze secondes deviennent très longues. Dès que le “dong” de l’ascenseur retentit, le grand brun ramasse ses affaires et s'escarpe de l’habitacle pour rejoindre, en trombe, le couloir menant à la pièce principale.

Dans la salle de réception se trouve toujours Evvy qui a retrouvé sa forme originelle. Achille lea fixe. Sa métamorphose démarre devant mes yeux pour la seconde fois la journée. De grands yeux marron virevoltent autour de cet amas violacé et pailleté. Une bouche charnue apparaît, puis un nez plutôt long. Une peau caramélisée se matérialise autour des symboles clés de ce visage. Des traits masculins se créent. Ce n’est pas lea Evvy auquel j’ai fait face quelques heures auparavant. Un jeune homme d’une vingtaine d’années, à la peau café au lait et les cheveux crépus, remplace la femme asiatique handicapée. Dans cette version, Evvy, tient sur ses deux jambes. J’imagine rapidement que c’est la forme sous laquelle iel apparaît devant Achille.

— Que s’est-il passé ? demande-t-iel en passant sa main dans le dos nu du cadet.

Dans l'incapacité de répondre, il s’installe dans l’un des longs fauteuils. Son regard est détourné et ses mains crispées au verre qu’il vient d’attraper sur la table basse face à lui.

Evvy essaye de glaner des informations auprès de Whiley, mais tout le monde reste sous silence. Je suis autant perdu qu’iel.

— Je vais dans mon bureau, annonce Whiley.

Il part sans que personne ne le rattrape. Même pas Evvy ne l’en empêche. La destitution de la reine est le point de convergence vers cette tension palpable depuis cet entretien avec les généraux.

— Ne vaut mieux pas le déranger quand il demande à rejoindre ses appartements, m’explique Evvy avant même que je pose la question.

Je hoche la tête en signe de reconnaissance pour m’avoir accordé cette information qui me sera plus qu’utile à l’avenir.

Evvy s’installe sur l’un des sièges, prêt(e) à comprendre ou même réconforter ce Achille que je ne m’imaginais pas exister. Il s’est présenté à moi avec une confiance aveugle, en devenant presque ridicule. Maintenant, il abaisse ses barrières. Je ne suis pas sûr d'être à ma place ici. Voir une personne sur le point de pleurer alors que je ne le connais à peine, peut totalement le rendre mal à l’aise. Je ne connais pas l’endroit. Le seul moyen pour moi de lui laisser son jardin secret est de m'éloigner dans le seul couloir que je connais.

En m’éclipsant, les deux amis me regardent. Ils me remercient tous les deux sans rien dire. Je ferme la porte me retrouvant dans ce couloir que je commence à ne connaître que trop bien avec ses tableaux de toutes parts. Je ne m'étais pas encore arrêté dessus pour regarder leur contenu avec intérêt. Il y a des tableaux de famille, des portraits simples, des paysages semblables à la forêt dans laquelle je me trouvais à mon arrivée. Je pouffe en regardant un portrait en particulier. Un jeune homme aux cheveux noisette, d’une quinzaine d'années, vêtu d’un costume trop grand et arborant fièrement un sourire chaleureux. L’information prend plusieurs secondes à monter au cerveau, mais c’est bien Whiley que je vois là. Que s’est-il passé pour qu’il change à ce point ?

Toujours l’image en tête, de ce tableau, qui continue à me faire rire, j’avance dans l’inconnu. Il n’existe pas d’autres pièces à cet étage à ma connaissance. Il n’existe que l’ascenseur, le couloir et la salle de repas. Un large escalier en marbre, entre le couloir et le palier de l’ascenseur, monte d’un côté et descend de l’autre. Je décide d’emprunter les marches montantes vers le troisième étage. Mes pas résonnent dans la cage d’escalier. Je sors mon téléphone. La lumière se fait de plus en plus faible à mesure que je me rapproche du nouvel étage. A taton, je cherche un interrupteur. Peut-être que l'étage s’allume à la torche, je n’en serais même pas étonné. Un petit carré en plastique glisse sous mes doigts. J’appuie.

— Et la lumière fut ! dis-je pour moi-même.

Avant de ranger mon téléphone, je vérifie pour la première fois si j’ai du réseau. Je n’y vais pas penser avant avec toute cette agitation. C’est la première fois depuis plus de trois jours que je me retrouve seul. Ce calme ne m’avait pas tant manqué que ça. Je fixe la barre de réseau, elle est bien évidemment vide. Un vrai film d’horreur. Entre les couloirs à rallonge et ce petit détail pas très rassurant, je ne me sens pas du tout bien. Le couloir ressemble à un hôtel du XIXe siècle. Le sol est tapissé d’une moquette pourpre, des fresques longent les murs, accompagné d’un papier peint jaunissant.

Il règne une atmosphère très calme mais pesante. Mes yeux se posent sur une des nombreuses portes qui m'entourent. J’enroule mes doigts autour de la poignée en bronze. Sans attendre, je m’engouffre dans la pièce. D’immenses baies vitrées éclairent ce qui s’apparente à une chambre. Les rayons du soleil font virevolter la poussière. Personne n’est entré ici depuis longtemps à mon avis. Peut-être est-ce le cas pour toutes les pièces de l'étage ? Mon regard se pose sur un tourne disque. Je passe mon index sur la bordure de l’engin poussiéreux et l’allume. Un bruit parasite m’indique le bon fonctionnement de l’objet. Je lève le bras de lecture sur le vinyle déjà présent sur le plateau. Une fois le diamant rentré en contact avec le disque, une mélodie de violon emplit la pièce. La musique est triste, mais c’est le seul vinyle que je vois.

Autour de moi, se trouve un lit à baldaquin, une petite commode, une coiffeuse et un coffre. Au fond de la chambre, il y a une porte menant certainement à une salle d’eau. Mais ce qui retient le plus mon attention sont les murs. Ils sont tapissés de notes, de coupures de journaux et même toutes sortes d’herbes et de fioles sont accrochées à l’aide de clous. Étant la seule activité que je puisse faire en attendant qu’on vienne à me rappeler, je me permets de jeter un coup d'œil sur les écritures. Les articles datent de périodes très différentes, ou plutôt sont étalés sur une longue période. Ils sont accrochés sur le mur dans l’ordre chronologique et ont toutes pour but commun la guerre. Certains parlent d’attaques, de tueries de masse, mais pour la majorité je ne comprends pas ce que je lis. Beaucoup de notes provenant de la même écriture sont en maori. Je ne sais pas lire un traître mot de cette langue. Je sais reconnaître la langue quand je la vois mais ça s'arrête là. Également, des runes sont présentes un peu partout sur les bouts de papier. Le même genre que celles dessinées sur les avants bras de Whiley et ceux de mes parents.

— Qu’est-ce que tu fais là ? vocifère Whiley à m’en faire sursauter.

L’homme en chemise à dû être attiré par la musique. Il rentre dans la pièce en trombe et coupe le son du violon.

— Je ne me répéterai pas deux fois, dit-il en employant des mots aussi tranchants que le verre.

— Je suis désolé. Je ne voulais pas déranger. Je ne faisais que regarder.

— Eh bien, regarde moins ! insiste-il en me poussant hors de la chambre.

Il referme derrière lui la pièce en fixant le sol.

— Je ne voulais pas te faire revivre des mauvais souvenirs.

— Des mauvais souvenirs ? demande-t-il de manière cinglante en fronçant les sourcils bien plus qu’à son habitude.

— Je suppose.

— Tu supposes mal, il souffle, ne revient pas ici. Il y a des choses que tu ne maîtrises pas dans cette pièce.

— Et les autres pièces de l'étage ? Je peux visiter ?

Il pointe les yeux au plafond, puis revient sur moi.

— Tu es bien trop curieux.

— Mais…

Il me coupe.

— Je n’ai pas fini. Je reprends. Tu es bien trop curieux, mais soit, visite si ça te fait plaisir. Ne rentre plus dans cette pièce qui est… hors de contrôle.

Il fait quelques pas. S'arrête. Et se retourne pointant son doigt en ma direction.

— Et frappe toujours à la porte de mon bureau. Deuxième étage, sixième porte.

— D’accord.

Je tilte qu’au deuxième étage je n’ai vu qu’un seul couloir, mais apparemment il y en a d’autres. Surement en passant par une autre porte de la salle à manger.

— Tu devrais retourner d’où tu viens.

Je suis perplexe face à cette invitation à partir de son monde.

— Je n’ai pas la magie que tu as.

Il passe sa main sur son visage par dépit.

— Dans la salle de réception ! réplique-t-il.

Je me tapote le front du bout des doigts. Qu’est-ce tu peux être bête !

— Evvy va t’attribuer une chambre et… des vêtements dignes de ce nom, dit-il en lorgnant mon T-shirt très peu à son goût.

Il me laisse là, sur le perron de la pièce interdite. Malheureusement pour lui, ou pour moi, j’ai photographié mentalement les informations qui m’ont tapé à l'œil. Je sors mon téléphone et rentre quelques notes sur ce qui pourrait m'être utile avant d’oublier.

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