Chapitre 8

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Un homme à l’allure joviale s’avance vers nous. Arrivé à notre hauteur, il replace son drôle de chapeau rond. Il n’est pas très grand. Encore plus petit que Whiley, qui, lui n’est déjà pas très grand, en comparaison à son frère qui le dépasse d’une demi-tête.

— Mon haut général, répète-t-il en regardant droit dans les yeux Whiley, savez-vous ce qu’il se passe ? Nous n’osons presque pas sortir. Ce vacarme a fait peur à tout le monde.

Déjà en arrivant, j’avais remarqué que Whiley avait une certaine importance. Les villageois que j’ai croisés ont l’air d'être à ses pieds en un claquement de doigt. Et cette appellation “haut général” me confirme ce doute qui germait tout doucement. L’homme passe sa main sur son front perlant. Ses joues cramoisies s’étendent sur son visage rond.

— Je n’en sais pas plus que vous. Restez chez vous tant qu’aucune annonce officielle n’a été proclamée. Vous en saurez plus au plus vite, garantit-il.

Whiley détache ses yeux de l’homme trapu pour signer l'arrêt de la conversation.

— Attendez, attendez, implore-t-il en attrapant la chemise de son interlocuteur.

Je vois dans les yeux du villageois de la détresse. Je ne suis peut-être pas d’ici, mais je sais encore reconnaître la peur dans les yeux des gens.

— Ma fille, il s'arrête pris d'émotion, elle est malade. Elle est prise de grosses quintes de toux depuis pratiquement quinze jours et de grosses douleurs abdominales. J’ai tout essayé, mais elle ne supporte aucun médicament. Pourriez-vous…

— Où est-elle ? Coupe Whiley en plein milieu du discours du père de famille.

Une chose que j’ai remarqué chez lui, c’est qu’il n'hésite jamais à aider les gens de la cité, ou tout du moins la vie des enfants. Comme quoi, ce n’est pas un monstre sans coeur, comme il pourrait le faire croire.

— Merci, merci. Par tous les mages, je vous implore mon haut général ! témoigne-t-il de reconnaissance, suivez-moi !

Sans se faire presser, nous le suivons, tous les trois. Quelques mètres à peine plus loin, nous entrons dans une des demeures circulaires. La maison est composée d’une manière très étrange. Les pièces sont divisées comme des parts de gâteau, avec au centre une grande pièce circulaire. Cette large pièce ouvre sur les petites pièces en quartiers.

La jeune fille d’une quinzaine d’années, se trouve sur un matelas dans la grande pièce centrale. Le père ne rigolait pas du tout, quant à son état. Elle est blanche comme un linge et tousse gras. Ses cheveux emmêlés et poisseux désignent un signe qu’elle ne s’est pas levée de ce lit depuis plusieurs jours même pas pour se laver. La petite crache ses poumons. je me recule d’instinct. Achille, lui, est resté au fond de la pièce pour une raison qui m'échappe.

— Comment t’appelles-tu ? s’adresse Whiley à la fillette.

— Avaya, répond-elle entre deux crachotements.

Whiley prend le poignet de la dénommée Avaya. Soudain, elle enfonce ses ongles dans la peau de l’avant-bras du blond. Un cri effroyable sort de ses entrailles. De son autre main, elle maintient son ventre qui se tord. Elle est à bout de souffle, des larmes perlent sur les joues blanchâtres. Elle lâche le bras meurtri de Whiley.

— Je suis désolée, dit-elle pleurant à chaudes larmes.

Une larme m'échappe que j’essuie du revers de ma main. Il se tourne enfin vers le père d’Avaya, qui ne sait pas rester en place.

— Ce n’est pas une simple maladie. C’est normal que son corps rejetait les médicaments, ça ne vient pas d’elle.

L’homme d’une quarantaine d’années, s'écroule sur une chaise en se rattrapant bien que mal sur le meuble à sa droite.

— Avaya. Dis-moi. Qui t’as fait ça ?

— C'était un accident, renifle-t-elle sans gêne, ne le tuez pas.

— Personne ne sera tué, explique-t-il très calmement.

— Il ne savait pas qu’il… AHHH ! continue-t-elle dans un râle de douleur.

— Je sais que ce n’est pas simple de dénoncer quelqu’un, mais il faut que tu me dises ce qu’il s’est passé, sinon je ne pourrais pas t’aider.

Whiley continue de parler sans même une once de compassion pour ses pleurs de souffrance. Comment veut-il qu’elle se confie de cette manière ? Je m’avance vers Achille toujours dans le fond de la pièce en train d'épier la scène sans en prendre parti. Je me pose contre la porte à ses côtés. Il tourne la tête vers moi. J’en profite.

— Je me demandais. Est-ce que tu pourrais refaire ce que tu m’as fait tout à l’heure ? Dis-je en mimant de mes doigts en cercle le contour de mes yeux.

— Si tu le demandes, affirme-t-il positivement.

Il pose le regard sur moi. Il n’a pas compris.

— Pas sur moi ! dis-je clignant des yeux à plusieurs reprises, pour la petite. Ton frère n’a aucun tact. Je sais que tu ne me dois rien, mais tu vois bien qu’il s’y prend comme un pied.

Il se redresse du mur sur lequel il était avachi. Il tire sur les deux pans de son manteau ouvert.

— Bien.

Le grand brun s’approche de la jeune femme. Il s’agenouille devant le matelas. Avaya le regarde droit dans les yeux sans aucun effort. On pourrait croire qu’en un instant, toute sa douleur s’est envolée juste en croisant le regard d’Achille. Je sais ce qu’elle ressent. Cette chaleur qui émane de lui, le sentiment de protection qu’il procure. À côté, Whiley paraît aussi froid que les glaciers du pôle sud.

— Comment es-tu tombée malade, joli petit oiseau ?

— Mon ami Nemet, il est sang vert..., s'arrête-t-elle pour tousser, il ne sait pas se contrôler. Il m’a touché la peau alors qu’il avait une petite coupure sur le doigt et j’ai tout de suite toussé. S’il vous plaît ne le tuez pas !

Achille se détache d’Avaya. Les larmes de la fillette coulent de plus belle, une fois l’empreinte du frère cadet retiré.

— Il t’a empoisonné, explique calmement Whiley.

— Un sang vert ? revient le quarantenaire sur les mots de sa fille. Je n’ai jamais entendu parler de ça.

— C’est une communauté de sorcier déficient, ils peuvent guérir et empoisonner grâce à leur sang vert, d’où le nom. Ils sont peu en ville, la majorité est en exil.

— Nous allons nous faire exiler n’est-ce pas ? interpelle le père paniqué.

— Il n’y a aucune raison que cela se produise. Elle ne deviendra pas sang vert. C’est une déformation génétique. Et personne n’a jamais exilé de sang vert à Basweer, ils s’exilent d’eux-mêmes. Votre fille se remettra sur pied avec des concoctions de gingembre et d'euphraise, deux à trois fois par jour.

Le père de famille n’a pas l’air étonné d’avoir recours à un traitement aussi basique que de simples plantes vertes.

Je comprends maintenant pourquoi Whiley répétait chez moi à plusieurs reprises qu’il était médecin. Ici, il semble savoir manier toutes sortes d’herbes.

Whiley nous rejoint, Achille et moi. Ses pas claquent sur le sol en bois.

— Merci beaucoup mon haut général.

Il ne relève pas comme à son habitude. Aucune gentillesse ne l'atteint. Et cela, peu importe la situation.

— Nous sommes attendus. Restez bien chez vous surtout.

— Je ne vous retiens pas plus, je vais mettre en action vos recommandations de remède.

À peine sorti de la maison, Whiley nous emmène vers l’endroit initial où nous sommes attendus. Nos chaussures résonnent sur les pavés des rues inertes. Le pas lourd, nous avançons comme si nous étions promis à l'échafaud. L’atmosphère est pesante. Les gens regardent par leur fenêtre. Ceux qui étaient sortis commencent doucement à faire demi-tour pour rentrer chez eux. La pression se ressent partout. Les rues brumeuses, ne me permettent pas de savoir avec précision où nous nous dirigeons. Et même si je voyais, je ne pense pas savoir reconnaître.

Enfin, nous arrivons sur la grande place. Celle qui est entourée de bâtiments rectangulaires. Nous nous arrêtons devant les portes de l’un d’entre eux. Au-dessus de la porte est indiqué “conseil général”. Whiley replace ses manches et refixe ses boutons autour de ses poignets.

— Restez en retrait au fond de la salle, je ne veux pas un bruit de votre part. Compris ? Impose Whiley.

Je hoche la tête, tandis qu’Achille n’a l’air de ne pas avoir fait attention aux ordonnances de son frère. Le blond empoigne d’une poigne ferme les deux clanches de la porte en bois décoré de milliers de petites figures. Un vent provenant de l'intérieur du bâtiment vient me fouetter le visage. C’est le premier moment de fraîcheur que j’obtiens depuis que j’ai atterri dans cet endroit sordide. Même le logement des deux frères est un four. À peine engouffré dans la pièce fraîche, je ressens un picotement familier. Sous mon T-shirt, l'améthyste qui pend au bout de sa ficelle me brûle la peau. La douleur m'irradie le torse. C’est à cause de cette simple petite chose que tout a commencé. Whiley ne m’a jamais expliqué le sens de l‘objet qu’il convoitait quelques jours plus tôt. Ce n’est pas comme si il allait le faire lui-même. Loin de moi cette idée, que ce soit son genre. Peut-être a-t-il oublié l’existence de mon bijou ? Je ne veux pas m’en séparer. Mais alors pourquoi m’aurait-il emmené avec lui dans ce périple ? L'échauffement s’intensifie à mesure que je m'engouffre avec mes deux compères dans le couloir menant à la salle où nous sommes attendus. La sensation de fer-chaud est trop dense. A contrecoeur, je retire le collier de sous mon vêtement pour le poser au contact du coton. Cette action, un petit cliquetis se fait entendre. Whiley toujours devant moi, se retourne par réflexe à entente du bruit presque métallique de l’entrechoquement de la pierre avec son attache. Ses yeux se posent instantanément sur la pierre mauve.

— Ici, ne la porte pas à même la peau, ça pourrait te créer un trou dans le thorax. Ce sont les généraux qui font chauffer l'améthyste.

— Je n’y connais pas grand-chose dans le domaine, mais ces gens-là sont dangereux et avides de pouvoir. Au sens propre. Comme te le disait mon frère, ils ne sont rien en matière de puissance politique, de simples porte-paroles, mais leur magie est puissante, continue Achille.

— Je ne te pensais pas, aussi informé sur la question, réplique l'aîné.

— Comme quoi, il m’arrive d'écouter tes balivernes infernales.

— Quel est le rapport entre ma pierre et les généraux ?

— Ce sont des sorciers blancs, comme moi, explique Whiley, seulement, ils sont plus âgés et plus puissants.

Il clôt la discussion. Pour une fois, je ne me sens pas délaissé d’informations. Whiley fourre sa main dans sa poche et ressort la carte. La voyant de plus près, j’imagine assez facilement que c’est un pass.

Whiley ouvre la dernière porte qui se présente à nous. Derrière celle-ci, un garde s’y trouve. Il a le même accoutrement que ces confrères positionnés autour du mur. Il présente sa carte en plastique une demi-seconde. C’est surement un protocole, mais le garde ne daigne même pas regarder l’inscription de la carte. Tout comme, les premières personnes qui se sont adressées à Whiley en rentrant dans la citadelle, l’homme soldat semble tout à fait le connaître.

— Ils sont avec moi, appuie Whiley.

Une fois dans la pièce, Whiley, nous brief une dernière fois.

— Vous ne faites qu'écouter, je ne veux pas vous entendre.

Il nous laisse tous les deux près de la porte, refermée juste après notre passage. L’ambiance de la salle est tamisée. Cinq personnes sont regroupées en cercle autour d’une table. Ils sont capuchonnés. Je peux apercevoir des bouts de visages sous les capes mais, le manque de luminosité ne me permet pas de capter les formes dans leurs entièretés. J’ai l’impression de faire partie d’une secte ou d'être à la réunion des Jedis. Quand Whiley est attablé, les cinq personnes enlèvent leur coiffe. Moi qui pensais voir maître Yoda, je tombe nez à nez avec des morts-vivants. Je n'exagère même pas en disant cela. Je pensais que Whiley n'était pas en forme, mais à côté, il est parti en cure de soleil à Palm Beach. La petite assemblée est composée de trois femmes et trois hommes, en comptant mon acolyte.

Leur peau est translucide. Je suis certain qu’en me rapprochant un peu, je verrais leur sang circuler dans leurs veines. Leurs cheveux sont d’un blanc éclatant, presque aveuglant. Leurs yeux sont dans les tons bleus gris, et encore moins humains que ceux de Whiley. Ces yeux dizaines d’yeux me font penser, tout à coup, à un vieil homme qui était ami avec mes parents quand j'étais jeune. Il avait la même allure. Avec cette prestance presque divine. Les cinq personnes sont largement plus vieilles que Whiley. Je ne saurais situer réellement leur âge à cause de leur apparence trompeuse.

Les cinq sorciers saluèrent d’un geste majestueux mon compagnon de route, en le nommant “haut général”. Il leur renvoie la pareille.

— Qu’est-ce que c’est que cette tête ? me susurre Achille à l’oreille en se rapprochant si près que je sens son souffle glisser sur ma peau.

Un sourire béat se forme sur son visage. D’un simple coup de langue, il passe sur ses lèvres.

Je l’ignore, mais il persiste en continuant à me lorgner du coin de l’oeil. Je me concentre sur le début de la réunion.

— Un soulèvement a eu lieu au palais royal, annonce la femme la plus proche de Whiley.

Elle appuie sur un interrupteur dissimulé sur la tranche de la table de réunion. Une sorte d'hologramme apparaît au centre du bureau. Je suis encore plus troublé sur les techniques et technologies de ce village. Une jolie jeune femme au teint cuivré, presque diaphane. Elle porte une multitude de breloques, de bijoux, et de tissus riches sur son corps rondelet. Les formes de ses cuisses et de son ventre sont harmonieuses avec la tenue qu’elle arbore. Son visage est lumineux sans pour autant sourire. Elle émane de la force et une autorité naturelle.

— Que s’est-il passé ? demande Whiley posant le plat de ses mains sur la table.

La femme qui a allumé la projection désigne la femme d’un simple signe de la main.

— Notre chère reine Akériopée, a été destituée du trône par des opposants politiques qui ont pris sa place.

La colère monte dans les yeux de mon comparse.

— Qui sont-ils ?

— Monsieur…, commence un des hommes livides.

— QUI SONT-ILS ? abrège Whiley en hurlant d’impatience.

— La renégate Luinuvia et ses sbires, ainsi que quelques langues nouées qu’ils ont libérées, explique une autre sorcière blanche.

En apprenant cette nouvelle, Whiley retombe dans sa chaise. Sans que je ne m’en aperçoive sur le moment, Achille a rejoint le sol, le regard hagard, une larme perlant sur sa joue ronde. Quant aux généraux, ils restent de marbre comme si rien ne s'était passé.

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