Chapitre 4 (partie 1)

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Je passe la porte de mon immeuble, suivi de près par Whiley. Je revois la brouette échouée au même endroit que je l’ai laissé plusieurs heures auparavant. Personne ne l’a déplacé. J’aurais pensé que Harvey la changerait de place. Elle trône en plein milieu du couloir, bouchant presque l'accès aux escaliers de secours. Je ne peux pas la laisser là.

— Monte, j’arrive, dis-je à Whiley en lui lançant les clés.

J’essaye du mieux que je puisse de lui accorder ma confiance. J’ai la chance d'être à l’aise rapidement avec les gens et de les mettre à l’aise, quand il le faut, en retour. J’espère seulement qu’en faisant cela, je ne vais pas le regretter. Il pourrait me voler quelque chose, ou bien s’échapper d’une quelconque manière. De toute façon, si c’est le cas, je le verrais forcément passer devant moi, le temps que je range la brouette dans le box. Sauf s’il décide de sauter par une fenêtre du premier étage. D’après le personnage, je ne laisse pas cette théorie de côté. Tout en me posant ces questions, je range rapidement la brouette dans mon box près des boîtes aux lettres. C’est une petite pièce pas plus grande qu’un placard. Je l’utilise pour y mettre mon vélo. Il y a largement la place pour une brouette qui disparaîtra dans les jours à venir. Je compte bien la rendre aux propriétaires.

Je monte les escaliers deux à deux. Devant mon perron, j’ouvre la porte doucement. Whiley est bien là, en train de remettre ses armes sur lui. Je prends les clés qu’il a posées sur la table et les remet dans ma poche.

— Je me sens moins nu, affirme-t-il en refermant la dernière boucle de ceinture.

— Je pensais que tu partirais, dis-je de but en blanc.

Je prends le risque de tirer la carte de la sincérité. Autant ne pas passer par quatre chemin si je veux des réponses et qu’il gagne ma confiance en retour.

— Je compte partir, m’explique-t-il en glissant un couteau entre sa ceinture et la couture de son pantalon.

— Tu rentres chez toi ?

— Pas aujourd’hui, je ne peux pas à cause de toi. Je ne pourrais que demain.

J’ai l’impression avec son timbre de voix, qu’il essaye de me faire culpabiliser de l’avoir sauvé. Il a dit clairement lors du rendez-vous médical, qu’il s’est noyé de lui-même. J’enfonce alors le couteau dans la plaie.

— En te sauvant de la noyade ?

— Exactement, je n’ai plus d’eau de lune. Heureusement, j’avais couvert mes arrières, si ce genre de problème arrivait. Donc je vais camper dans la forêt près du lac cette nuit et je repartirais demain matin à l’aube. Et tu vas me donner ton collier avant que je m’en aille, enchaîne-t-il.

— Il en est hors de question ! je m'exclame sur la défensive en empoignant fermement l’objet en question pendu à mon cou.
Je sens les traits de mon visage se raffermir. Ce collier à bien trop d’importance pour moi.

— Soit tu me le donnes de ton propre chef, soit je te coupe la tête pour le récupérer par la force, avoue-t-il sans ciller.

Je déglutis face à cette révélation, qui, ne me laisse de marbre. Je décide de faire front pour ne pas me laisser faire par ses manipulations mentales. Il me retourne le cerveau. Mes idées s'entrechoquent et bouillonnent. J’use d'intelligence pour qui se plie à ma requête.

— Je préfère encore venir avec toi que de te laisser la chose à laquelle je tiens le plus.

En lui laissant croire que j’ai une préférence, son visage s’adoucit.

— Et pour aller où ? Dit-il en pouffant, me regardant de la tête aux pieds.

— De l’autre côté ! Je ne sais pas où s’est, mais je veux te suivre. Ça fait presque 48h que je t’observe et tu as beaucoup de similitudes avec mes parents. Je veux comprendre pourquoi.

Il sort un petit grognement de contentement. L’homme blafard s’assoit sur le canapé. Il empoigne un couteau et le fait tourner autour de son doigt.

— C’est trop dangereux.

Il veut simplement me faire peur. Qu’est-ce qui pourrait être pire qu’un volcan en éruption ? Je ne suis peut-être pas plus grand que lui, mais je pèse forcément plus lourd et j’ai une plus grosse musculature. Je me jette sur l’occasion pour creuser un peu plus.

— Qu’est-ce qui pourrait être plus dangereux pour moi alors que je dois faire dix kilos de plus que toi ?

Avec un air dédaigneux, il me toise du regard comme si je venais de dire la plus grosse énormité qu’il venait d’entendre de sa vie.

— Ce n’est pas ton poid qui te permettra de survivre. Les plus grosses bêtes tombent en premier.

Il est d’une maigreur maladive et il se permet me faire une réflexion mal placé sur mon poid. Mon IMC est dans la moyenne, lui est loin d'être dans les clous.

— Qu’est-ce que tu sais exactement sur la magie ? Demande-t-il levant légèrement la tête en direction de mon cou.

Je sens dans cette question, qu’il vaut mieux que je cède à ses désirs. Mais, je ne prends pas pour autant sa menace de mort au sérieux. Autant y aller franc-jeu, si je peux espérer avoir des réponses à mon tour. Je suis persuadé qu’il y a un lien entre lui et mes parents. Trop de choses sont similaires. Je ne compte pas rester sur des réponses en suspens.

— Mes parents pratiquaient quotidiennement la magie. On avait toutes sortes de fioles, d’herbes en tout genre. Des fois, ils me soignaient avec des concoctions de plantes. Il y avait des malles avec le même genre d’arme que les tiennes qui trainaient dans le bureau de mon père. Il disait en faire la collection. Ils portaient aussi des runes, comme toi. Tous les deux, avaient les bras bariolés de ces symboles. Je ne me souviens pas de tout, loin de là, j'étais jeune. C'était il y a quinze ans la dernière fois que j’ai vu quelqu’un utiliser des herbes devant mes yeux.

— C’est tout ? Je suis…, il prend une seconde pour réfléchir, insatisfait.

Je hausse les sourcils. Ce n’est pas réellement le genre de réaction que j’attendais de sa part. Insatisfait ? Qu’est-ce qu’il veut dire par-là ?

— Je peux savoir pourquoi ? je demande innocemment espérant une réponse claire et précise.

— Tu ne connais rien de rien ! avoue-t-il en se levant violemment du sofa.

C’est loin d'être la réponse de mes rêves.

Il se met à faire les cent pas dans la pièce. Je le laisse faire pendant deux bonnes minutes dans un parfait silence. C’est long deux minutes. Quand tu n’entends que des pas en long et en large comme bruit d’ambiance, deux courtes minutes deviennent dix minutes. Une seconde en paraît trois et ainsi de suite. Je ne sais pas quoi dire, pas quoi faire. Alors je réagis un peu brutalement pour redémarrer le temps de façon conforme.

— Tu peux rester en place deux secondes s’il te plait ? Et m’expliquer ce que j’ai raté ? J’ose dire, pour faire cesser son va-et-vient dans la pièce.

Placé en face de la table du salon, il pose le plat de ses mains ardemment contre le bois et inspire un grand coup. J’ai l’impression d’avoir dit quelque chose de travers.

— Tu n’as pas été assez curieux. Et bien entendu, tout était devant toi depuis le début. Dire que je pensais que ce n'était qu’une simple coïncidence parmi tant d’autres.

Je suis totalement perdu dans ses divagations, qui, pour moi, n’ont aucun sens. Sa manière de dire des informations sans vraiment les dire, commence sérieusement à m'énerver. Je peux etre patient, mais tout travail mérite salaire. Je considère que j’ai assez rendu service pour avoir mon dû.

— Je ne comprends pas. Qu’est-ce que je n’ai pas vu ? Je ne lis pas entre les lignes, j’explique en haussant légèrement la voix pour le faire réagir.

Pourtant, il ne dégaine ni sa dague, ni son couteau.

— La magie ne s'arrête pas qu'à deux, trois plantes que tu fais tremper dans du miel pour éliminer un mal de gorge. C’est plus compliqué que ça. Il y a des centaines de rituels, des apprentissages pour gagner en compétence, de la patience, la maîtrise des éléments et plein d’autres manipulations. Mais surtout, le moyen de passer de l’autre côté. Et d’après ta description, tes parents ne partaient pas en croisière si tu veux mon avis.

— Désolé, mais j’ai du mal à comprendre. Tu sais ce qui est arrivé à mes parents ou pas ? Je me renseigne auprès du blond.

— Tu m’as dit que ça s’est passé il y a quinze ans ?

— Oui.

— Je pense qu’ils sont passés de l’autre côté ou ont essayé de passer… S’ils ne sont jamais revenus c’est qu’ils sont morts avant d’avoir fini ce qu’ils avaient à faire. A cette époque, c'était encore plus dangereux que maintenant. Franchement, ça ne m'étonnerait pas que ça se soit très mal passé.

Je le coupe.

— Attends, attends ! Stop ! C’est quoi l’autre côté ? Tu n'arrêtes pas d’en parler comme si je savais ce que c'était. Je ne vis pas dans ta petite tête blonde, Whiley !

Il se lève en direction de l’entrée. Il zieute le ramequin sur le meuble, à côté de la porte, où se trouvent mes clés et quelques pièces. Il empoigne une pièce de monnaie entre ses doigts, puis la fait virevolter de la même manière que pour un pile ou face. Quand il la fait tomber sur le plat de sa main, il s’avance vers moi.

— Tu es d’accord que là, on voit seulement le dessus ? Imagine que cette face c’est la Nouvelle-Zélande.

— Où veux-tu en venir ?

— On voit seulement le dessus d’une pièce quand elle est posée à plat. La face cachée de la pièce, quant à elle, reste inconnue si on ne la soulève pas. Eh bien c’est le même principe pour l’autre côté. C’est une île miroir. On peut y accéder seulement si l’on sait comment passer de l’autre côté.

— Et donc là, tu es en train de me dire que mes parents ont atterri dans un monde miroir au nôtre pour se faire tuer ?

— Non au tien, pas au nôtre. Je viens de l’autre côté.

— C’est vraiment le seul truc que tu retiens dans ma question ?

Il repose la pièce, là où il l’a prise et se réinstalle à sa place initiale. Il ne compte pas répondre. Il ne faut pas qu’il prenne trop cette habitude. Je suis gentil, mais j’ai mes limites.

Pour Whiley, la conversation est close, mais je ne veux pas en rester là alors qu’on est en bon chemin.

— Si tu penses que mes parents auraient pu y aller, je veux y aller aussi.

D’un coup son visage décontracté se change pour un visage ébahi.

— Tout doux monsieur l’aventurier ! Je te l’ai dit, c’est dangereux.

Je veux y aller, ce n’est pas négociable. Même si j’y vais pour rien ou même pour un indice tout petit. Il m’en avait trop dit pour que ça ne tente pas. C’est comme s’il venait de tendre le Graal au roi Arthur sans qu’il n’ait besoin de faire sa quête. Je me creuse la cervelle pour trouver un élément qui penche en ma faveur. Une monnaie d’échange qui soit assez intéressante pour qu’il ne refuse pas.

— Tu veux toujours ma pierre ? Je ne la retirerai pas de se pendentif. Sous aucun prétexte. Alors, soit c’est la pierre et moi, soit rien du tout.

— Je peux te tuer aussi, ça ira plus vite.

— Mais ça te servirait à quoi ? Je me dévoue pour te suivre.

Je ne sais pas ce qui m’attend de l’autre côté, mais j’en sais trop pour reculer maintenant. Tous les moyens sont bons pour le convaincre de faire ce voyage.

Il se redresse et pose ses avant-bras sur son bas. Il joint ses mains faisant mine de réfléchir.

— C’est vraiment dangereux là-bas. Pour quelqu’un qui ne connaît rien à ce monde, c’est une mission suicide.

— Qu’est-ce qu’il y a de si périlleux ? Si tu ne fais qu’éviter de me donner des réponses, on n’avancera jamais, dis-je de la plus franche des façons.

Ses yeux se plissent naturellement. Il passe la pulpe de ses doigts sur les traits nettement dessinés de sa mâchoire.

— Je n'évite rien du tout.

— On dirait pourtant.

En me confrontant à lui, son jugement à mon propos changera peut-être.

— Tu n’as aucune compétence en magie, tout te dire maintenant ne ferait que te perdre encore plus. Tout vient à point à qui sait attendre. Si tu meurs, ce n'est pas de mon ressort.

Je souris de contentement. Je prends ça pour un oui. Malgré toutes ses phrases de mise en garde.

— Ne te réjouis pas trop vite. Je peux encore changer d’avis.

— Merci, déclaré-je le plus simplement possible pour ne pas lui montrer à quel point ça compte à mes yeux.

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