Chapitre 3

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Surement pour faire sensation dans la pièce, Whiley, ouvre la porte de la salle de bain en grand, d’un coup sec. Il me regarde les sourcils froncés, sans détacher son regard du miens. Je ne sais pas si c’est sa mine habituelle ou s’il y a un problème. Il pose sa main sur son arme, comme si j’allais l’attaquer dans la minute.

— C’est extrêmement gênant de demander ça…, avoue-t-il se raclant la gorge, tout en dessinant un demi cercle invisible sur le sol, de son pied gauche.

— Qu’est-ce qui se passe ? je demande en approchant de lui.

Il fait un pas en arrière.

— Je ne sais pas comment faire partir mes excréments, admet-il d’un air pincé.

Un rire incontrôlé sort de ma bouche. Je ne m’attendais pas vraiment à ça, venant d’une personne si sur d’elle. À la vitesse de l'éclair, le couteau qu’il touchait du bout des doigts un peu plus tôt, se retrouve sous ma gorge.

— Tu te moques de moi petit tangata whenua ?

— Absolument pas ! Il te suffit de tirer sur le bouchon au-dessus des toilettes.

Il me lâche, grognant des paroles inaudibles. Il claque la porte, d’où il sortait, d’une violence sans nom.

— Ok… Sujet sensible, me dis-je à moi-même.

Il sort de la pièce à peine deux secondes plus tard toujours avec ce profil désastreux, presque assassin. Je sens que la pilule est dure à avaler. Mais d’où il sort pour ne pas connaître le fonctionnement des WC ?

— On va à l'hôpital, je n’ai qu’une parole. Finissons-en, ordonne Whiley sur le pied de guerre.

— Tu ne veux pas manger avant ?

— J’ai mangé ce qu’il restait dans la poche arrière de mon pantalon.

Je le regarde de travers. Écoeurant.

— Cette nourriture est restée dans ton pantalon, puis dans l’eau du lac quand tu te noyais, et je l’ai faite passée par la machine à laver. Tu vas avoir une intoxication.

— J’ai vécu pire, relate-t-il faisant craquer sa nuque.

Je ne suis pas certain de vouloir savoir ce que ça signifie. Son tempérament est dur à cerner. Pas que j’ai envie de le connaître plus que ça, mais il m’intrigue.

Rien que ses tatouages et ses connaissances sur ma pierre, me poussent à savoir pourquoi je l’ai trouvé. Je ne suis pas bête, je sais que ce n’est pas une coïncidence. Il en était étonné le premier. Quelque chose ou quelqu’un nous a poussé à nous trouver. Il a des réponses. S’il le faut, ça prendra le temps qu’il faudra, mais s’il sait quelque chose que je ne sais pas sur mes parents, je ne compte pas le laisser filer. Ce qui est étrange, c’est qu’il n’essaye pas de fuir. Il n’est pas non plus terrifié par ce qui lui est arrivé, car il voulait recommencer pour je ne sais quelle raison obscure.

J’avance vers la cuisine. Whiley me suit au pas.

— Je pensais qu’on partait maintenant ! réagit-il sur les chapeaux de roues.

— Peut-être que tu as mangé un fond de poche, mais moi j’ai faim. En plus, pour aller à l'hôpital, il faut prendre le bateau. Désolé pour toi, il ne passe qu’en début d’après-midi.

Whiley pose son dos contre le frigo, tout en triturant sa lame dans tous les sens. Il ne la quitte donc jamais ? Je casse des oeufs dans une poêle et fais revenir quelques légumes dans une autre. Durant tout ce temps, il est derrière moi à la même place, en train d'épier mes moindres faits et gestes. Je sors deux assiettes. Quoiqu’il ait mangé, ça n’est pas suffisant. La nourriture fumante titille mes narines et mon estomac. Enfin, un vrai repas !

— Assieds-toi, je lui souris, en pointant la chaise en face de lui, pour ne pas paraître trop agressif dans mes dires.

Il s’y installe sans broncher. Je ne suis pas certain qu’insister aurait fait quoi que ce soit et qu’il m’aurait écouté, mais j’aurais tout de même tout fait pour qu’il mange.

On dévore notre assiette à la vitesse-éclair, comme si ça faisait des jours que l’on n’avait pas mangé. C’est peut-être le cas pour Whiley. Aucune idée à vrai dire. Il me regarde une fois de plus, ça en devient indécent. Ses yeux font presque peur, limite inhumain. Ce bleu ne paraît pas naturel. De plus, avec l’intensité de son regard, il sert également ses mâchoires. J’ai l’impression qu'à tout instant, il peut me sauter dessus si je fais quelque chose qui ne lui plait pas. Le Whiley décontracté à son réveil a laissé place à un homme menaçant, à cause d’une chasse d’eau.

— Je peux savoir ce qu’il a de spéciale mon collier ? je demande pour détendre l'atmosphère, tout en me servant dans le frigidaire un laitage.

— C’est compliqué à expliquer comme ça. Et puis, si je t’en parle, tu devras faire un serment.

— Ce n’est pas un peu extrême ? dis-je en plantant ma cuillère dans le pot en plastique.

Un sourire en coin se forme au coin de sa bouche.

— Je te fais marcher, tu verrais ta tête !

Il aime jouer de sarcasme. Je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure nouvelle du monde.

— Qu’est-ce que tu sais exactement sur la magie ? me demande-t-il tout en retroussant les manches de sa chemise impeccablement blanche.

Je vais réellement parler d’un concept totalement improbable, avec un gars que je connais à peine, qui a l’air de venir d’ailleurs ? Mais qu’est-ce qui me prend ? La discussion s’est tellement installée naturellement, que j’ai l’impression de lui parler comme à un ami de longue date. D’habitude, je n’aurais pas réagi de cette manière en présence d’un inconnu, mais quelque chose me pousse à comprendre, à l’écouter.

— Je me souviens qu'étant petit, mes parents me soignaient majoritairement avec des plantes et ils portaient des runes sur le corps, comme toi.

En Nouvelle-Zélande, parler de magie c’est un peu comme parler du plat qu’on a mangé la vieille. C’est monnaie courante dans les familles d’avoir une vieille tante qui joue avec les herbes de provence de la cuisine. Les gens savent que c’est encore utilisé dans certaines familles modernes, mais on n’en voit pas forcément l’utilité d’en parler car ce ne sont que des remèdes de grands-mères.

— Tu connais leur signification ? me questionne-t-il en me montrant son poignet comportant une inscription.

— On ne me l’a jamais appris.

— C’est du Futhark. Un alphabet ancien relié à la nature. Chaque lettre à une signification particulière, mais tu n’as pas besoin de le savoir pour le moment.

Pendant son explication, je pose la vaisselle sale dans l’évier. J’ai la vague impression qu'il veut m’en dire plus. Il s’est arrêté de parler par peur d’en dire trop. Je ne comprends pas ce qu’il craint. Ce n’est pas deux trois explications sur les bienfaits des herbes qui vont changer le sens de rotation de la Terre.

— On va pouvoir y aller, dis-je les bras croisés, par contre, tu devrais laisser tes armes ici. Je ne suis pas sûr qu’on te laisse rentrer avec ça.

Il dénoue la boucle de ceinture autour de sa cuisse pour poser le fourreau sur la table, ainsi que son deuxième couteau coincé près de sa taille.

Suivi par Whiley, je presse le pas vers le salon, où se trouvent des masques. Avec les temps qui courent, nous sommes obligés d’en porter un dans les endroits publics. Surtout dans les hôpitaux, l’endroit même où se trouve le virus qui traque la Terre entière depuis janvier.

— Tiens mets le sur ton nez. Les élastiques se placent derrière les oreilles.

— Qu’est-ce que c’est ? m’interroge-t-il en tenant le masque du bout des doigts comme si c'était quelque chose de répugnant.

— Mais où tu vis pour ne pas savoir ça ?

— Je te l’ai déjà dit. Je vis de l’autre côté.

Je n’insiste pas. Il ne me dira rien. C’est incompréhensible son charabia.

— Regarde-moi, le mettre et tu fais de même.

Il acquiesce et copie mes mouvements. Quelques minutes plus tard, nous sommes tous les deux en bas de mon bâtiment. Je verrais plus tard pour la brouette. Je m'inquiète plus pour la santé d’un être vivant, que pour le repos éternel d’une brouette dans son cabanon de jardin. Après cinq bonnes minutes de marche sans dire un mot, à cause du masque qui rend nos phrases peu compréhensibles, nous sommes arrivés au port.

— Deux billets pour Auckland, je réclame au guichetier.

Nous montons dans le ferry. Le trajet n’est que de dix minutes. Puis cinq minutes à pied. Tout ce trajet se fait dans le silence. Un silence pesant et étouffant. Je voudrais parler, mais je ne sais pas quoi dire. Alors je me tais, la situation est encore pire.

Il garde sa main au niveau de sa cuisse, là où se trouve initialement l’un de ses couteaux. Il a des réflexes défensifs comme s’il allait se faire attaquer à chaque instant.

Arrivé à l'hôpital, le service des urgences n’est pas énormément bondé. Mais les quelques personnes présentes dévisagent Whiley de bas en haut, comme s’ils avaient vu un alien. Il n’a pas l’air de s’en soucier. Je me présente à l’accueil.

— Bonjour, serait-il possible de faire un examen médical à cette personne ? Je l’ai retrouvé inconscient dans un lac hier soir.

L’infirmière qui jusqu’ici ne faisait pas attention à Whiley lève les yeux en sa direction. La surprise est immédiate. J’ai bien fait d’avoir insisté pour qu’il voit un médecin. La dame semble se décontenancer en le voyant. On pourrait croire qu’elle a vu un fantôme. Son teint si pâle n’est pas normal, je le savais.

— Oui bien sur, dit-elle du tac au tac, nous allons faire entrer monsieur tout de suite. Mettez-vous devant la porte jaune, je vais ouvrir le sas.

On se place tous les deux où l’on nous a demandé de nous présenter. La porte jaune s’ouvre, on nous laisse passer. On suit l'infirmière jusqu'à un lit près d’un rideau affreux.

— Installez-vous, enlevez votre haut, ordonne-t-elle en direction de Whiley, un médecin va arriver.

— Je suis médecin… répond-il d’une façon presque inaudible que l’infirmière n’entend pas étant déjà partie.

Il déboutonne sa chemise comme on lui a demandé. Une fois retiré, il la pose derrière lui sur le lit à roulette.

— Ils ne me trouveront rien, s’exclame-t-il sûr de lui.

— On verra bien.

— Bonjour ! intervient un homme en blouse qui vient de faire son apparition, vous êtes là pour… ?

— Une hypothermie, dis-je brièvement.

Le médecin pose les yeux sur son futur patient. Il a un mouvement de recul, surement une fois de plus à cause de la peau. Il se reprend très vite.

— Où et quand je vous pris ? demande-t-il en regardant Whiley.

Il ne regarde même pas le docteur alors j’imagine qu’il ne compte pas répondre. Je le fais à sa place. De toute façon, je suis mieux placé pour donner des détails, que lui, qui était totalement inconscient.

— Je l’ai trouvé pendant la tempête dans le lac Pupuke à Takapuna.

Le docteur prend le bras sans consulter son patient avant. Il place un tensiomètre autour de celui-ci et appuie sur la poire à de multiples reprises. Cette action fait réagir Whiley qui regarde le médecin de travers.

— Vous vous souvenez de la raison laquelle vous étiez dans ce lac ? questionne le généraliste en insistant pour parler à Whiley.

— Bien sûr, mais je ne vois pas le rapport, explique-t-il baissant le regard et fronçant les sourcils de façon presque hautaine.

— Vous étiez donc conscient de cette noyade ?

— Oui, c'était volontaire si c’est que vous voulez savoir.

L’homme en blouse blanche retire le tensiomètre et réfère sur une feuille ces quelques informations.

— Vous allez me suivre, contraint-il à Whiley, on va vous faire passer un scanner.

— Je reste avec lui, dis-je à la volée.

— C’est possible, se contente d’ajouter le médecin avec le sourire.

Whiley n’attend pas les objections du docteur pour passer sa chemise sur son corps frêle, presque grelottant. L’homme en blouse se fait vite remplacer par une femme dans la salle de scanner pour prendre le relais du généraliste.

— Vous allez vous installer sur cette plaque en enlevant votre haut. C’est froid pendant quelques secondes, informe-t-elle au malade.

Il retire une fois de plus sa parure et s’installe comme si de rien n'était sur la plaque. Ni son visage, ni son corps ne montre un seul signe que le froid a atteint son organisme.

— Vous allez attendre derrière cette vitre monsieur, dit-elle en pointant du doigt la porte que je dois emprunter.

— Le bruit ne va pas vous endommager les oreilles.

C’est la dernière phrase que j’entends en sortant de la pièce pour rejoindre celle derrière la vitre qui elle est insonorisée.

Une fois la machine démarrée, je n’entends absolument pas le bruit sourd mais je ressens la détresse de Whiley. Je ne vois pas son visage, mais ses mains crispées sont attachées fermement à son bas comme si la vie en dépendait. Il n'était pas prêt à entendre ça. Il n’a pas non plus l’air féru des appareillages de médecine moderne.

Quand la machine ne fait plus de bruit au bout d’une bonne heure, je rentre dans la cabine du docteur, pendant que Whiley se rhabille pour la énième fois de la journée.

— On aura les résultats quand ? je demande au docteur derrière les machines.

— Maintenant, comme vous êtes passé par les urgences, on ne peut pas vous faire attendre. C’est contre le règlement.

Elle montre son écran avec la pointe de son stylo.

— J’ai fait un scan de l’abdomen. Vous voyez, tous les organes sont en place, ou presque. Un poumon a été perforé, mais ça provient d’un problème antérieur. Pour ce qui est des dommages dus à la noyade, il n’y a rien à déclarer.

Sa réponse me surprend.

— Et pour sa peau blafarde. Il a repris assez de force ?

— Ce n’est pas mon domaine monsieur, mais je pense que tout va bien de ce côté, me répond-elle souriante.

Whiley entre dans la pièce.

— Blaine ! M’appelle-t-il commençant à perdre patience.

Je fais un sourire niais à la doctoresse, suite à l’appel brutal du repêché.

— Bonne journée docteur.

— À vous aussi messieurs.

Whiley fait un signe de la main à la personne qui l’a examiné, puis me pousse vers la sortie.

Une fois hors du bâtiment, il presse toujours le pas dans la direction que nous avions pris à l'aller. Soit il y a une très bonne mémoire visuelle, soit un très bon sens de l’orientation, car le chemin que nous avons pris est loin d'être une ligne droite. Whiley me devance de deux ou trois mètres accélérant le pas encore et encore.

— Tu peux m’attendre deux secondes ? je demande en haussant légèrement la voix.

Aussitôt, il revient sur ses pas et avance vers moi à la vitesse-éclair et me menace avec son doigt à deux centimètres de la figure.

— On fait ce que je dis, annonce-t-il très calmement.

Sans arme bizarrement, ça fait beaucoup moins d’impact. Je ne sais pas quelle mouche l’a piqué, mais quelque chose dans son caractère est plus hargneux que ce matin.

— Qu’est-ce que tu essayes de faire au juste ?

— Rentrer pour récupérer mes armes.

— Et après ? Tu vas partir c’est ça ?

Il fait mine de ne pas comprendre. Il trace son chemin avec cette même longueur d’avance. Je n’arrive pas à cerner cet homme. Soit il ne dit rien, soit il parle trop à son goût et met fin directement à une discussion.

J’ai baigné dans des choses bizarres et inexpliquées durant toute mon enfance. Mes parents faisaient toutes sortes de choses, des mélanges. Des fois ils revenaient au bout de quelques jours avec des blessures en feignant que c'était pour le travail. Beaucoup de choses de mon enfance, m’ont été cachées ou en partie dissimulée. Mon père me parlait de rite, que je n’avais pas encore l'âge et qu’un jour ce sera le moment de choisir ma voie. Je suis persuadée, que Whiley peut m’apporter les réponses que je cherche. Je suis loin d'être idiot, ses tatouages, je les ai reconnus à la minute où je les ai vus et ma pierre n’est pas un objet anodin. Je l’ai compris, j’ai eu le temps de rassembler les éléments. Plus qu'à comprendre, qui il est, lui, et ce qu’il cherche.

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