Chapitre 2

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Je marche pieds nus dans la ville. Il fait extrêmement froid. Pas très étonnant pour une matinée en plein hiver. Mes membres sont contractés à cause du peu de vêtements que je porte. Le simple T-shirt que j’arbore ne me tiens pas chaud. Tous les poils de mes bras sont hérissés. Mon souffle chaud devient bué au contact du froid ambiant. Il y a une couche d’eau sur le sol qui recouvre le goudron. Je sens tous les petits gravillons coupants sous ma voûte plantaire. J’avance à tâtons, je n’ai ni lunettes sur le nez, ni de lentilles sur les yeux. Ma vue est trouble. Satanée myopie. Je ne suis pas dans mon quartier, mais un peu plus loin dans le port. Aucune idée de comment je suis arrivé ici.

La jetée de Takapuna me fait face avec des bateaux inertes. On pourrait croire que la ville a été laissée à l’abandon. La mer ne bouge pas d’un poil, comme s’il n’y avait aucun courant dans la baie. Je me rapproche encore plus près. Ce que je craignais hier est arrivé. Le port a débordé pendant la nuit. Tout est calme. Je regarde autour de moi. Aucun signe de vie. J’ai l’impression de me trouver dans une ville fantôme après un cataclysme, mais que je n’ai pas été mis au courant. Personne aux alentours. Le bas de mon pantalon baigne dans le dépôt humide sur le sol, ça me gêne légèrement, car mon bas me colle à la peau.

En relevant la tête, je vois l’inconnu qui est censé dormir paisiblement dans mon salon face à moi. J'étais sûr de n’avoir vu personne quelques secondes auparavant. J'étais complètement seul. Pourtant, il est là, bien portant. Ses yeux d’un bleu glacier bien ouverts me fixant, son corps fébrile semble bien plus fragile que je ne le pensais. Sa grande taille amplifie cet effet de minceur maladive. Je me rapproche de lui, il semble si loin et si proche à la fois. Ce n’est pas réel. Il fait un demi tour, comme s’il voulait que je le suive. Pourquoi je marcherais pieds nus dehors ?

Le simple fait de me poser la question me réveille en sursaut. Je m’essuie le visage trempé de sueur. Il ne fait pas si chaud, mais j’ai l’impression d'être dans un sauna. Je tente de me lever de mon lit d'appoint, que j’ai installé durant la soirée précédente, mais impossible de faire le moindre mouvement. Il y a de l’eau partout autour de moi. Et ça monte vite. Trop vite. Je jette un coup d’oeil au rescapé. Il est toujours sur le canapé les yeux bien clos. Je ne comprends pas ce qu’il m’arrive. Je n’entends aucun bruit, les voisins n’ont pas l’air en panique, pourtant je suis au premier étage. Si ça venait de dehors les appartements au rez-de-chaussé doivent être impraticables. L’eau est à hauteur de mes genoux, ça doit donc venir d’une fuite chez moi. Je n’ai pourtant laissé aucun robinet ouvert pendant la nuit. Bientôt, le canapé va être submergé, et mon malade avec. Une vague de stress s’empare de moi. Un bruit sourd m’interpelle. La sonnette de la porte d’entrée résonne.

J’ouvre les yeux. Ce n’était qu’un rêve. La sonnette de la porte n'émet aucun bruit, mais mon réveil si. C’est la première fois que je fais un rêve dans un autre rêve. J'éteins le dernier réveil de la matinée et prends mes lunettes. Ce rêve était vraiment bizarre, pourtant mon réveille fut si calme, en comparaison à la panique que m’a fait ressentir le rêve. Je jette un coup d’oeil sur l’homme qui dort encore dans mon canapé. Il semble bien pour quelqu’un qui a réchappé à une noyade. Il a bougé dans son sommeil, il n’est plus installé de la même manière que quelques heures plus tôt, quand je me suis déplacé pour réchauffer une bouillotte. Je me suis levé pour lui cinq fois, et sa température n’a pas rechuté. Il n’a pas rouvert les yeux non plus, mais il bougeait. Je ne pense pas qu’il est quelque chose de cassé. Mais je vais éviter de faire des suppositions, mes compétences en médecine se résument à Grey’s Anatomy et quelques recherches internet. Autant dire, pas très glorieux.

Je me lève de ma couchette pour de bon et traîne le pas jusqu'à la salle d’eau. Je referme la porte derrière moi. C’est la première fois en douze heures que j’ai un minimum d’intimité. Je pose mes lunettes sur le rebord du lavabo. Mes yeux bleus azur sont gonflés par la fatigue, mes cheveux bruns, totalement en bataille. On pourrait croire que je me suis battu. La seule chose que j’ai en tête est de prendre une douche bien méritée. Je reste sous l’eau un moment, mais pas assez longtemps à mon goût. Un blessé m’attend de l’autre côté de la cloison, je ne peux pas me permettre de le laisser sans surveillance trop longtemps. Je m’habille en vitesse et mets mes lentilles. Depuis que je l’ai trouvé, il n’a toujours pas mangé ni été aux toilettes. Je pense que ce n’est qu’une question de temps avant qu’il est besoin d’une de ces choses primordiales.

En attendant, je vais jusqu’à la fenêtre du salon. J’ouvre le volet électrique. Depuis ma fenêtre je vois la mer et même le port. Une chose est sûre, le port n’a pas débordé. La mer est calme, comme si la tempête ne s'est jamais produite. Mais sur le rivage, une tonne d’algue s’est déposée et des arbres se sont déracinés aux alentours. J’appuie sur l’interrupteur à côté de la fenêtre. La lumière du plafonnier fonctionne. L'électricité est revenue. Les dommages ne doivent pas être si catastrophiques. Il y a peu près un an, la ville entière vivait grâce à leurs groupes allogènes. Pendant une semaine, j’ai dû apprendre à être moins dépendant d’internet et de tout ce que l'électricité a à nous offrir.

Dans la poche de mon pantalon, je sens mon portable vibrer. C’est ma tante Sydney. Je décroche en faisant en sorte de paraître serein face à la situation dans laquelle je me suis mis. Je n’ai pas vraiment envie de stresser ma soeur et ma tante pour un incident qui se réglera en vitesse une fois que j'aurais apporté à l'hôpital le trentenaire qui squatte mon sofa.

— Allô !

— Blaine ? Tu vas bien ? demande-t-elle paniquée.

— Oui. J’ai juste eu une coupure d'électricité hier soir.

— Dieu merci. J’ai eu peur. Ils disent aux informations régionales que c’est un vrai champ de bataille à Takapuna.

— Je vais bien. Je t’assure. Comment c’est à Auckland ?

— Il y a des dégâts sur les routes, il n’y a pas trop de blessés d’après les journalistes. Le couvre-feu, qui a été instauré hier après midi, a dû en sauver plus d’un.

Je ne relève pas. De mon côté, aucune mesure de sécurité n’a été prise. Et pourtant, seulement trois kilomètres de mer, nous séparent. Si elle le savait, elle se ferait un sang d’encre pour moi.

— Et Sacha ? Elle va bien, je demande innocemment pour changer de sujet.

— Demande lui toi même, je te la passe.

J’attends quelques secondes avant d’avoir ma soeur. Puis, j’entends sa voix guillerette.

— Tu n’es pas mort, c’est trop bête ça ! dit-elle pour se moquer.

— Je me sens très bien, je réponds d’une voix neutre.

J'évite de faire des blagues liées au décès. Mais Sacha, elle, ne se gêne pas. Elle était trop jeune quand nos parents sont décédés. Maintenant, elle n’a pas la même sensibilité que moi à ce vocabulaire. Avec les années, elle s’est remise de ce départ brutal. Seule, une peur incontrôlée de l’océan a pris place dans sa tête. Elle ne prend pas le bateau. Pour venir me voir, elle fait toujours le chemin en bus par les terres ou en voiture avec Sydney. Le trajet prend beaucoup plus de temps, mais personne n’ose lui ôter sa phobie. On se dit que ça doit lui permettre de garder le lien avec nos parents.

— Tu viens nous voir bientôt ?

Je regarde l’homme sur mon canapé.

— Bientôt, bientôt. Je te le promets.

— Passe une bonne journée ! dit-elle d’une voix enjouée.

— Je vais essayer, avoué-je en gardant les yeux fixés sur l’inconnu.

J’entends le dring de la porte d’entrée sonner à plusieurs reprises. Je n’attends personne et j’ai payé le loyer. Qui pourrait venir me voir sans prévenir ?

— J’ai quelqu’un à la porte, je te laisse. Bisous.
Je lui raccroche au nez.

J’approche de la porte. Sans même regarder dans l’oeil de Judas, j’ouvre la porte. Harvey se tient devant moi. En plus d'être mon voisin, c’est aussi le gardien de l’immeuble, alors il vient de temps en temps sans prévenir.

— Salut mon grand ! me dit-il accompagné d’un large sourire.

Je le salue de la main.

— Je voulais savoir si tu n’avais pas de dommages dans ton appartement.

— Non, rien à signaler. J’ai éteint le groupe allogène dans la nuit. À part la coupure générale, rien du tout.

— Bon très bien, dit-il en soufflant dans sa moustache.

Il se retire de mon paillasson, puis me scrute d’un air interrogé.

— La brouette qui est dans le hall ne serait pas à toi par hasard ?

J’avais complètement oublié ce détail. Je ne sais même pas comment je vais me justifier auprès des jardiniers du parc quand je la rendrais.

— Oui, oui. Je la retire au plus vite ! j’annonce précipitamment.

Sur ces dernières paroles, je claque la porte derrière moi un peu trop violemment.

On est qu’en matinée pourtant j’ai l’impression d'être en soirée tellement mes yeux me piquent de fatigue. Je m’avance jusqu’au canapé. Je le retrouve vide. L’inconnu n’est plus dans le sofa, ni même dans la pièce. Le peignoir qu’il avait durant tout ce temps jonche sur le sol. Super. Un inconnu, malade, se trimballe nu dans mon appartement. Je ne pouvais pas mieux tomber.

Déjà, le fait qu’il ne soit plus à sa place me confirme qu’il a la faculté de marcher. J'espère, juste, qu’il n’a pas ouvert une fenêtre pour essayer de s’enfuir.

Je prends le peignoir dans une main et fouille les pièces une à une, à sa recherche. J’entends l’eau couler dans la salle de bain. Il est forcément là. J’enclenche la poignée, la porte n’est pas fermée à clé.

En voyant la scène, je panique. L’eau coule en continu. Il est appuyé contre le rebord de la baignoir. Il a la tête qui passe par-dessus bord, pour mettre la maintenir sous l’eau. Je le sauve pour qu’il ne se noie pas de nouveau. Qu’est-ce que c’est que ce cirque ? Il se serait noyé de son propre chef une fois de plus ?

Je ferme l’arrivée d’eau. Je pose le peignoir sur ses épaules et relève son corps pour tirer sa tête de la baignoire. Il se retrouve assis sur le carrelage grelottant. Pas étonnant, vu la température dans laquelle il a mis sa tête. D’un coup, il relève son crâne, je vois beaucoup mieux ses yeux. Ils sont extrêmement clairs. J’ai l’impression, plus je le fixe, que sa pigmentation bouge toute seule.

— Laisse-moi regarder, dit-il d’une voix grave et posée sans lâcher mon regard.

Je ne sais pas si je dois trouver ça sexy ou terrifiant.

Sans que j’ai le temps de dire ouf, il s'apprête à remettre sa tête sous l’eau. Qu’est-ce qui ne va pas chez lui ?

J’accours vers lui et me place à sa hauteur. Je tire ses épaules en arrière pour le bloquer.

— Hors de question !

Je replace correctement son peignoir pour éviter de dévoiler son intimité, malgré que ça n’ai pas l’air de le gêner plus que ça.

— J’ai besoin de le faire ! Je n’ai pas d’ordre à recevoir d’un tangata whenua de toute manière.

C’est surement du Maori, je le reconnais aux sonoritées. Malheureusement, c’est une langue que je ne pratique pas.

— Un quoi ? j’essaye de comprendre.

— Où sont mes vêtements et mes lames ? dit-il sûrement pour changer de sujet.

Je le toise de haut en bas, puis me relève.

— En train de sécher.

Il commence à enlever une nouvelle fois son peignoir. Je me retourne aussitôt.

— Ils ne sont pas secs ! Remets ça s’il te plaît, dis-je assez gêné.

— C’est bon, avance-t-il.

Je me retourne. Il me fixe comme s’il attendait quelque chose.

— Tu ne vas pas réessayer de te noyer ?

— Plus tard, affirme-t-il en sortant de la pièce faisant comme chez lui.

Je le suis à la trace. Le bas du peignoir vole légèrement, on croirait qu’il a un long manteau. Pourtant, il est bel et bien en tenue de bain. Je me retiens de sourire. Je me ressaisi.

— Je dois t'emmener à l'hôpital. Tu as fait une énorme chute de température.

— C’est bien un truc de tangata whenua. Je me porte bien, me confie-t-il en croisant les bras.

— Tu crois que j’ai compris ce mot en l’espace de cinq minutes ? Et puis, tu es encore très pâle. Tu dois voir un médecin.

— Je suis docteur.

— Ah oui ? je demande peu convaincu.

Il ne me répond et pas enchaîne par autre chose.

— Comment tu m’as trouvé... ? dit-il en s'éloignant les sourcils froncés, cherchant mon prénom.

— Blaine, répondis-je.

— C’est presque impossible, j'étais protégé.

— Protégé ? je demande dans l'incompréhension, d’où viens-tu ?

Il s'avance vers moi. Mon collier commence à me gratter.

— Pas ici, de l’autre côté, annonce-t-il en pointant son doigt vers moi, ton prénom est… particulier.

— Merci… Je suppose…

Je commence à gratter mon cou tellement ça me gêne. En me voyant, les yeux du blond s'écarquiller d’un coup.

— C’est impossible.

Il passe ses mains à mon cou. Elles sont encore froides. Il essaye de sortir la pierre de dessous mon T-shirt. Je lui tape le dessus de la main.

— Pas touche !

Tangata Whenua, dit-il en me regardant de travers.

— Pourquoi je sens dans ta bouche que c’est insultant ? C’est quoi d’ailleurs ton nom ? Tu me le dois bien.

— Whiley.

— On va aller à l'hôpital Whiley.

Il sort un espèce de grognement.

— Je veux voir ton collier d’abord.

J’incline la tête pour essayer de savoir ce qui l’intrigue autant, mais rien à faire. Ce gars est étrange. Et qui plus est, en peignoir dans mon salon. Je décroche le collier si cher à mon coeur et lui tend d’une main tremblante. Ses yeux s'écarquillèrent en voyant la pierre.

— Je ne pensais pas qu’il en existait encore ici. Comment tu t’es procuré ça ?

— C’est juste un collier de valeur sentimental, rien de très important.

— Au contraire, ça l’est. C’est grâce à ça que tu m’as trouvé. Si tu me le dis, je te promets d’aller à l'hôpital.

Comment sait-il que je l’ai trouvé ? Je ne me souviens pas lui avoir dit. Tout ça me trouble sérieusement. Je décide tout de même de répondre pour pouvoir l’emmener à l'hôpital. Je n’ai aucune envie de retrouver un mort au milieu de mon appartement à cause d’une hémorragie interne non soignée. Ce n’est qu’une supposition bien évidemment, je n’ai pas de compétences dans ce domaine.

— C’est ma mère qui me l’a donné, il y a de ça une quinzaine d’années.

— Il y en a d’autres ?

— Ma petite soeur en a un autre, mais ce n’est pas le même.

Whiley lève le regard, épaules en arrière, ce qui lui donne un air supérieur. Ses yeux éblouissants sont posés sur moi une fois de plus.

— Tu ne te rends pas compte de ce que tu portes autour du cou. N’est-ce pas ? demande-t-il en inspirant de façon grossière.

— J’ai peut-être une idée qui m’a traversé l’esprit ces dernières années, mais tu me prendrais pour un fou, je réponds me frottant une paupière de fatigue.

Pourquoi je lui raconte ça d’ailleurs ? On se connait officiellement depuis dix minutes. Mais quelque chose d’inexplicable me pousse à lui dire ce qui me traverse l’esprit.

— Dois-je te remémorer que tu m’as vu me noyer deux fois ? Je t'écoute, dit-il en s’asseyant sur le canapé croisant ses jambes.

Je mets ma main directement sur mes yeux. Il n’a réellement aucune pudeur. Je sens mes rouge virer au rouge. Ma chaleur corporelle s'élève. Je suis extrêmement gêné parce qu’il se passe.

— Peux-tu t’asseoir normalement s’il te plait ? dis-je en ouvrant légèrement ma main.

— Petite nature, confie-t-il en levant les yeux au ciel.

Je prends une chaise, mets le dossier en avant et m’asseoir en prenant le dossier comme accoudoir.

— Je pense que c’est lié à la magie. Ne dit rien, je sais c’est bête, dis-je en baissant la tête.

— Aussi bête que de faire ami/ami avec quelqu’un que tu as sauvé de la noyade et surveillé toute la nuit ?

— Mais comment… ?

Il m'interrompt. C’est vrai qu’hier parler avec cette personne me semblait improbable.

— Allons à l'hôpital.

Il se lève du canapé et semble attendre. Il me lorgne les yeux plissés.

— Tu peux regarder si mes vêtements sont secs ?

Je me lève a mon tour et me dirige vers le sèche linge dans la buanderie. Je tâte la chemise blanche et le pantalon. Ils sont légèrement humide, mais ça fera l’affaire. Je les prends avec moi ainsi que la ceinture contenant les couteaux. En revenant dans la salle, il me les arrache presque des mains.

— Tu ne vas quand même pas aller à l'hôpital avec tes lames ? Je pense pas que se soit très légal.

Il part en direction de la salle de bain et ne me répond pas.

— Je prends ça pour un oui ! je crie depuis l’autre pièce.

La seule chose que j'espère c’est qu’il ne s’essaye pas de se noyer une fois de plus en étant seul. Je lui suis alors, et reste derrière la porte pour intervenir si j’entends l’eau couler.

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