2003

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À l’école primaire, Noëlle faisait partie de ces rares enfants – inexistants, diront certains – qui n’aimaient pas les cadeaux. Comme la plupart des enfants, et aussi comme la majorité des adultes qui prétendent le contraire, Noëlle aimait surtout obtenir ce qu’elle voulait.

Sa tante Sylvie répétait souvent une phrase pleine de bon sens : « On n’est jamais si bien servi que par soi-même ! ». Maxime que l’oncle Pascal avait bien intégrée puisqu’il laissait effectivement sa femme faire le ménage, la cuisine, la vaisselle, la lessive, le repassage et le jardin par elle-même tandis qu’il allait, par lui-même, se servir des bières dans le frigo dédié.

Noëlle aimait beaucoup ce proverbe et il lui semblait vrai. Quand quelqu’un lui faisait un cadeau, c’était systématiquement un désastre. Bébé, on lui avait offert un hochet bon marché avec lequel elle avait failli s’étouffer. Plus tard, elle s’était retrouvée avec un régiment de poupons chauves qu’elle trouvait laids à faire peur mais qu’on lui interdisait de décapiter – alors que c’était là leur seul intérêt à ses yeux. Une autre fois, elle avait reçu un très joli sac à dos du Roi Lion. Un cadeau trop joli pour être honnête. Le super sac avait servi de prétexte pour l’envoyer à l’école, l’endroit qu’elle détestait le plus au monde.

Noëlle remerciait Dieu d’avoir fait de sa fête un jour férié parce que, Noël à l’école, ses deux bêtes noires fusionnées en un même monstre, elle n’y aurait jamais survécu. Le repas de Noël de la cantine était un supplice suffisant, à cause des champignons gluants et du pain d’épices trop mou qui lui collait entre les dents et lui avait même filé une vilaine carie.

Noëlle aimait beaucoup Dieu, surtout pour les jours fériés. Elle lui en voulait un peu parce qu’un jour, on lui avait offert une bouteille en forme de dame pleine d’eau “de lourde” – très légère et sûrement fausse – qu’elle n’avait même pas le droit de boire. C’était son pire cadeau, juste après le doudou cousu par Tata Véro, la sœur de sa maman : une sorte de lapin rouge aux oreilles comme des cornes qui ressemblait à un diable. Il lui fichait la trouille mais on l’obligeait tout de même à dormir avec « pour faire plaisir ».

Et puis quelque chose se produisit. Cette année-là, l’école organisait un spectacle de Noël et la classe de CP préparait une crèche vivante. Noëlle était sûre de sûre qu’on lui donnerait le rôle du petit Jésus, parce qu’elle était née le même jour – et ça, c’était un signe envoyé par les anges, disait souvent Tante Marie-Jeanne. Ses autres oncles et tantes, et sa maman non plus, n'aimaient pas beaucoup cette dernière et l'appelaient sans cesse “la cul-bénie.”

Noëlle, qui n’avait vu des bénédictions qu’à deux ou trois baptêmes, s’imaginait que, bébé, on avait béni les fesses de Marie-Jeanne plutôt que son crâne. C’était sûrement un don, comme ceux qu’accordaient les fées à la Belle au Bois Dormant, parce que personne n’entendait mieux la parole de Dieu que Marie-Jeanne.

Bref, Noëlle était sûre que Tante Marie-Jeanne serait très fière d’elle en la voyant dans la crèche. Mais plus encore, elle était sûre que, pour une fois, au réveillon, tout le monde aurait les yeux rivés sur elle. Peu importaient les cadeaux, elle allait enfin être le centre de toute l’attention – pensait-elle.

Évidemment, il n’en fut rien. On lui refusa le rôle pour la simple raison que Jésus devait être un petit garçon. On le donna à Thibault, le neveu du curé, plutôt qu’à elle. Noëlle devinait bien qu’il y avait derrière cette injustice une vraie conspiration. Enfin, puisqu’il y avait beaucoup plus d’enfants que de rôles à pourvoir, et parce qu’elle avait tenté de crever les yeux de Thibault avec un crayon de bois, on lui assigna le rôle d’une des quelques dindes de Noël qui servaient à combler la crèche de fortune.

Elle eut beau se plaindre à tous les adultes de sa famille, personne n’intercéda en sa faveur. Tous lui répétèrent même d’un air faussement convaincu à quel point la dinde était un personnage essentiel. Si bien que Noëlle, vexée, caqueta au lieu de parler pendant toutes les fêtes. Tout le monde s’en agaça et, pour lui clouer le bec, on l’enferma à l’étage devant Le Roi Lion. Elle maudissait Simba à cause du cartable et passa tout le film à lui faire des grimaces. Elle maudissait Dieu, aussi, et ses anges à la noix qui n’avaient même pas voulu d’elle en Jésus. Ainsi, pour ses sept ans, âge de raison, elle arrêta de croire. Non seulement en Dieu, mais aussi en tout ce que disaient les adultes qui, au bout du compte, l’oublièrent là-haut, mangèrent le nougat glacé sans elle et, comme toujours, finirent par lui offrir les sous-marques de tous les jouets qu’elle avait demandés.

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