1996

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La vie est pleine de surprises. Et quelle meilleure occasion que le jour de Noël pour recevoir un cadeau tout à fait inattendu ?

C’est ainsi que dans la nuit festive du vingt-quatre au vingt-cinq décembre 1996, entre le traditionnel nougat glacé de sa mère et l’ixième digestif englouti cul-sec, tandis que le patriarche rond comme une barrique entonnait une fameuse chanson paillarde, reprise en chœur par les plus éméchés de ses frères et soeurs, ainsi que le grand-père tout à la fois croulant et alerte pour son âge – preuve vivante que le pastis conserve ! – c’est au cœur de cette joyeuse débandade, donc, que Murielle Buchet, trente-deux ans, perdit les eaux. Et ça, c’était une surprise ! Parce qu’elle apprendrait dans l’heure suivante la définition et l’existence-même du déni de grossesse. Parce qu’elle n’avait aucune idée de qui pouvait être le père et lorsque, dans la Clio bondée en route pour la maternité, un vague souvenir la traversa, elle préféra le chasser aussitôt de son esprit. Et aussi parce, en tout état de cause, le bébé, non content de ces multiples méprises, était prématuré.

Parce qu’elle n’avait pas prévu d’être mère – certes, elle l’avait déjà considéré, mais une telle perspective ne l’avait pas frôlée récemment, et d’autant moins qu’elle venait tout juste de décrocher un CDD auquel elle était désormais certaine de pouvoir dire adieu – Murielle subit tout cela avec un profond détachement. Elle se laissa manipuler par les sages-femmes, arrachées en urgence à leur trinquerie mousseuse. Avant même de s’en rendre compte, elle avait accouché sans effort particulier, tout juste comme on expulse un tampon hygiénique bien imbibé après une sortie piscine. Et puis, lorsqu’on lui demanda quel prénom elle souhaitait donner à sa fille, Murielle resta pantoise.

Parmi la famille amassée dans le couloir, une cousine pompette proposa joyeusement de s’en remettre au calendrier. Voilà à peu près comment Noëlle Buchet vit le jour. Mais surtout, voilà comment elle passa son premier réveillon : la tête sanguinolente, le cuir chevelu lustré de glaires et de placenta ; puis dans une austère couveuse, sous les regards estomaqués d’une famille ahurie, à peine sous celui, perplexe, d’une génitrice qui pour l’heure n’avait pas l’âme d’une mère.

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