1997

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Disons-le franchement, la petite Noëlle, tout juste âgée d’un an, ne garderait aucun souvenir de ce premier – ou deuxième ? – Noël. Il va de soi que, comme tous les ans, cette année-là la famille Buchet se réunit pour réveillonner : les parents, les enfants, le grand-père, les oncles, les tantes, les cousins, quelques petits-cousins, un ami de passage, puis l’ami d’un ami, un voisin solitaire, et aussi le cousin éloigné d’une connaissance d’un voisin, et même le curé du village. Bref, beaucoup de monde.

Ce dont Noëlle ne se souviendrait pas – somme toute, fort heureusement – c’est de la profonde solitude qu’elle éprouva toute la journée, alors que la famille s’affairait aux préparatifs. Sa mère, Murielle, mettait la main à la pâte en redoublant d’efforts, subconsciemment ravie, certainement délivrée, de refiler le bébé à quelqu’un d’autre pendant ce temps-là. Et puis le quelqu’un d’autre la refilait à quelqu’un d’autre, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on l’abandonne dans le Maxi-cosi plus étriqué que cosy, tel le trône d’une princesse maudite cloîtré par la muraille du parc en bois. On pouvait difficilement se sentir plus seul que ce bébé-colis passé de main en main, ballotté, chahuté, parfois bercé, mais jamais jusqu’à endormissement.

Noëlle oublierait aussi la sensation d’étouffement contre laquelle elle lutta, toute la soirée durant, entre les rires gras, les chansons braillées – débraillées aussi – les tintements des coupes, des couverts, les crissements des sièges sur le carrelage, les pieds buttant dans les joints, les pleurs ivres et nerveux qui couvraient même les siens.

Sans le savoir, à tout juste un an, Noëlle détestait Noël. Elle détesta qu’on l’ignore, qu’on omette de la mettre au lit avant minuit, qu’on la tienne éloignée de son précieux doudou oublié sous la couette, qu’on tente de la calmer en la gavant d’un tas de choses difficiles à suçoter, impossibles à mâchonner, douloureuses à la gorge, qu’on s’amuse à lui faire boire d’autres choses, pétillantes et piquantes qui restaient sur la langue.

Ce qui ne s’effacerait pas, en revanche, c’était cette colère gorgée jusqu’à plus soif.

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