À peine sortie du ventre...

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Assis sur le brancard à droite de son ambulance, Jack observait Károly, couché sur celui d'à côté, écrivant ses futures lettres malgré l'heure tardive

Désormais réunit après une douloureuse épreuve, Jack, Willy et Sebastian, les trois amis médecins, avaient décidé de changer de trajectoire. Le cap était désormais braqué sur la ligne Mannerheim afin de prévenir l'armée finlandaise des événements de Viipuri.

Mais en réalité la situation était plus complexe qu'elle n'y paraissait. Depuis leur escale en Carélie, un nouveau volontaire avait rejoint leur cause sur le trajet :

Károly

La première fois qu'ils avaient entendue parler de lui, c'était dans les lettres qu'il avait abandonnées au sein de la forêt finlandaise. Il s'agissait d'une Hongroise travestie qui s'était engagée en tant que volontaire pour défendre la Finlande.

Son escouade fut massacrée alors qu'il était en reconnaissance à Viipuri. Seul survivant, il tenta de se noyer dans un lac, avant que, par chance, Jack le retrouve et le sauve de sa noyade.

Mais c'est tout le reste en réalité qui était parsemé d'ombre ; D'où vient-il ? Que fuyait il a Vipurii . Comment Jack avait-il pu se retrouver dans un monde parallèle ? Comment la noyade de Károly et, vraisemblablement l'hallucination de Jack, Pouvait elles être connectées ?

Mais avant de répondre aux questions concernant les événements de Viipuri, ce dernier devait en savoir plus sur la personne qui avait rejoint ses compagnons.

Ses deux amis médecins étant à l'avant du véhicule, alternant la conduite de la dodge et le repos. Il se dit que l'occasion était parfaite pour le l'aborder.

Prenant son courage à deux mains, Jack prit la parole :

"Dit moi Károly... qu'est-ce que tu écris dans tes carnets ?"

Le médecin regretta déjà d'avoir posée cette question, parassait beaucoup trop intime.

"Ce sont mes écrits, depuis que je suis adolescent je note tout ce qui m'arrive, ou ce qui me passe par la tête."

Levant un sourcil, Jack continua dans sa lancée.

“Pourquoi est-ce que tu prends tout en note ? Pour ne rien oublier comme un journal intime ?" Reprit Jack

"Non !"S'exclama Károly,"C'est comme une ... une délivrance, un monde parallèle, comme si je réécrivais des passages de ma vie en tant que ...Mmh ..."

"En tant qu'homme ?" Répondit Jack du tac au tac.

"... Oui... exactement."

Jack avait visé juste, il avait commencé la discussion sur un terrain miné, et désormais, il était parvenu à accéder à la personnalité de Károly et sans le blesser.

Ce dernier se redressa de son lit en rangeant son carnet, toujours vêtu de sa robe blanche, mais recouvert par sa couverture, laissant dépasser ses cheveux hors du lit.

S'appuyant sur son bras droit, Károly prit une inspiration :

"Tu promets de ne jamais dire cela à quelqu'un ?"

"Bien sûr, tu peux me faire confiance." Répondit fermement Jack

"D'accord, alors allons-y ... Je te dois des explications depuis que je t'ai demandé de ne pas m'appeler par ... mon physique disons."

Déplaçant ses hanches, il s'essaya sur son lit, laissant dépasser une partie de ses jambes nues. Jack se dit alors qu'il devait rester concentré sur ce qu'il disait...

"Je m'appelle Carole Szàlansi et je suis né en 1919. Mon père était un commandant hongrois durant notre guerre avec la Roumanie*, il y laissât sa peau ainsi que celle de son frère ..."

Se tournant les pousses, il reprit :

" Ma mère ... est une sorcière française issue de la haute bourgeoisie, celle qui avait fui la France lors de la révolution contre Louis Phillips, d'où la «carole». Je vis avec elle depuis toujours, jusqu'à ce que, récemment, je me suis marié avec un des fils de ses amis."

Jack analysait chacune de ses paroles, de ces anecdotes. Alors c'était donc lui Károly, une fille de riches qui, ne supportant plus sa vie mondaine, s'est travesti pour rejoindre la Finlande.

Mais il manque des pièces au puzzle, de quoi pouvait-il s'agir ? ....

"Tu me dis que ton père et ton oncle son mort avant ta naissance c'est cela . Cela a-t-il un rapport avec le fait que tu travestisses en homme ?"

Károly se tue, le silence qui émanait de la discussion mise mal à l'aise Jack et confirmait qu'il avait visé son ami en plein cœur.

"Pardon... je ..." Balbutia Jack, "Je ne voulais pas te poser une question aussi cr..."

"Non... tu as raison ..." Reprit-il en se mordant la langue, "Mon père et mon oncle sont morts pendant que j'étais dans le ventre de ma mère..."

Károly faisait tous les efforts pour ne pas s'effondrer en larmes, le souvenir absent de son oncle et de son père était une crève cœur pour lui.

Quelque chose qu'il n'arrivait pas à abandonner...

"Tout ce que j'ai conservé d'eux ... ce sont leurs écrits... pas même une photo... juste une partie du carnet de mon père que l'armée roumaine avait rendue à ma mère et que je me suis parvenue à lire..."

Le jeune adulte craquât sous la douleur du sentiment, des larmes lourdes coulèrent sur ses joues, il tournât le regard à son ami, il se mit à pleurer en gémissant.

"Ma mère me traite comme si j'étais un animal, un moins que rien... Enfin, quand elle s'occupe de moi, depuis que je suis tout petit... j'ai souhaitais me marier pour ne plus subir son courroux. Mais cela n'a rien changé ! ce type qui me sert de mari est un alcoolique et me bat pour se calmer les nerfs !"

Les gémissements de Károly s'entendaient dans chaque compartiment de la Dodge. Lorsqu'il vit les ombres de Willy et de Sébastian se retourner, Jack comprit qu'il devait s'excuser face à son ami...

Il se leva de son lit et tendit sa main à Károly, se dernier la refusant, Jack s'installât à côté de lui.
Il reprit sa respiration en serrant les draps :

"C'est pour cela que je me suis engagée en Finlande, pour en finir... pour mourir en tant qu'homme, et au moins pour une cause juste... Tu peux regarder mes bras, ils sont taillés comme une écorce d'arbres. Je ne combats pas la douleur, je la fuis pour ne plus la subir..."

Tandis qu'il séchait ses larmes, l'Américain préparait ses mots, quand ils lui virent à l'esprit, il reprit :

"Je comprends mieux pourquoi tu n'en parles à personne ... mais c'est beaucoup trop lourd de le garder uniquement pour toi Károly. On est prêt à t'aider, moi, Sébastian, Willy... Car nous aussi on n'est pas parfait, nous aussi on a nos tort, on n'est pas du genre à juger les autres sur leur orientation, leur train de vie, ou encore... leur identité."

Károly se redressa, reprenant peu à peu son inspiration.

"Ça ... ça ne t'arrive jamais de douter Jack ?" Demandât Kàroly en suffoquant, "De te demander si tu seras encore là demain ?"

"Bien sûr mon grand," Répondit Jack, "Et pas qu'à moi, à Sébastian, et à Willy. Mais le plus important c'est d'aller de l'avant et de combattre ce qui te fait souffrir ..."

Se penchant sur son épaule, le jeune travesti s'appuya contre lui comme pour chercher du réconfort. Jack l'enlaça.

"Hey Károly," Reprit Jack, "Tu sais ce qui te maintient en vie malgré tout ce que tu as vécu ?"

"Je n'en sais rien..."

"C'est ta rage de vaincre" Répondît Jack "Tu n'en serais pas là si tu ne t'étais pas battu pour devenir un homme. Tu caches tes sentiments en pensant que cela te rend vulnérable et faible... tu ressens ça comme de la féminité, et tu te replis sur toi-même."

Jack semblait avoir compris le cas de Károly, c'est un homme dans le corps d'une femme, dépressif et aussi suicidaire. Bien qu'il n'en est jamais rencontré, il arrivait malgré tout à faire un parallèle entre sa personnalité et la psychologie qu'il avait étudiée.

Comprenant par là qu'il y voyait en la vie de ce jeune homme l'inverse du complexe d'Œdipe**

Si Freud pouvait l'entendre, il se retournerait dans sa tombe en hurlant qu'on lui rende ses théories.

Jack lui caressait le dos et les cheveux de son ami, tandis que ses paupières commençaient à tomber petit à petit. Il s'appuya contre le mur et vit Károly dans ses bras entrain de dormir.

"Je savais que j'avais des mains douces, mais pas à ce point-là, j'aurais dû faire masseur..." Se dit Jack à lui-même.

L'aube débuta quelques heures plus tard, Jack avait mal dormi dans cette position, il sentit des fourmis traverser ses avants bras. Mais cela ne le dérangeait pas, Károly dormait à poing fermé, ses cernes étant imposants, Jack en conclut qu'il était insomniaque alors il allait le laisser se reposer autant qu'il le pouvait.

Quand tout à coup, l'ambulance se souleva, à peine Sébastian eut-il le temps de crier :

"Lance-roquettes !"

Que les deux amis furent projetés de l'autre côté du véhicule.

Jack se releva à moitié conscient, il retrouva la vue lorsqu'une claque lui vint au visage.

Il était sur ses genoux, tenu aux avants bras par deux hommes en uniforme verts, à sa gauche se tenait huits autres gardes tenant ses trois amis Willy, Sébastian et Károly.

Des soviets ! Dans cette région ? Pensa Jack, mais comment est ce possible ?! La ligne Mannerheim avait elle était percée ?

Face à eux, apparurent un grand homme russe borgne en uniforme du NKVD, et armé d'un couteau, il prit la parole :

"Enchantés chers volontaires ! Je suis Kyril Glokensko et je vous souhaite la bienvenue en République démocratique Finlandaise ! Mes camarades et moi-même sommes l'armée du peuple ! Si nous vous avons interrompus sur votre chemin, c'est parce que nos renseignements nous ont signalé la présence d'un avion-cargo russe écrasé dans les alentours de Vipurii. Nous avons tenté d'y aller pour récupérer nos documents confidentiels. Mais cela n'a pas abouti..."

Se rapprochant de Sébastian, il se baissât et le regardant droit dans les yeux.

"Vous êtes les seuls à y être allés avant de disparaître, cela fait plusieurs heures que nous vous cherchions dans les forêts aux alentours. Une belle battue en sommes !"

Posant une main sur son épaule, le commissaire s'adressa à Sébastian

"Alors vous allez nous dire gentiment où se trouvent les documents et nous épargnerons votre misérable vie..." Conclut-il

"Ose encore une fois nous comparer à des animaux... et tu connaîtras bien pire que ton goulag !" S'écria Sebastian

Un coup de crosse fut logé dans son cou, ce qui le propulsa en arrière.

Le commissaire se mit sur ses genoux à son tour pour lui caresser le visage.

"Si vous ne voulez pas coopérer monsieur l'Américain c'est votre problème, mais assumez-en les conséquences !"

D'un seul coup, le commissaire pointa son couteau vers Sébastian et l'enfonça sous œil avant de le lui arracher. Un hurlement de douleur émana du jeune homme qui se débattait maintenu à terre par deux hommes du NKVD.

Ses trois amis furent horrifiés par la violence de l'acte et Willy, incapable de regarder davantage, fermât les yeux en gémissant.

Lorsqu'il eut fini avec leur ami, le commissaire se redressa et prit la parole :

"Est-ce que l'un d'entre vous sait parler russe ?"

Il s'approcha du pauvre Willy et lui demanda :

"Alors ? Tu sais parler russe ?"

"Da... qu'est-ce que vous nous voulez enfin ?!" Répondit-il terrorisé

"Simplement rendre à César ce qui appartient à César, ou plutôt à Koba ce qui est à Koba !" **

S'exclama le commissaire suivit des ricanements des soldats russes.

"Écoute-moi bien tovaritch..." Reprit-il "Nous n'avons pas toute la journée et vous crever les yeux à un par un ce cerait une perte de temps tu ne trouves pas ?"

"Écoute bien espèce de salopard ! Si tu fais encore une fois du mal à mes amis c'est un châtiment bien pire que je te réserve !"

Les soldats éclatèrent de rire et le commissaire foudroyât du regard le jeune homme.

"Très bien si tu insistes tovaritch, finissez la !"

Les soldats balancèrent le corps de Károly contre l'ambulance retournée et commencèrent à la rouer de coups. Sous les hurlements de Jack qui tentaient de se débattre pour le sauver.

Le commissaire regardait la scène d'un air hargneux et sortit son makarov pour le pointer sur Károly.

Soudain un coup de feu comparable à un éclair retentit, lorsque les Russes se retournèrent pour découvrir de quoi il s'agissait, ils découvrirent leur commissaire, le visage tranché en deux tenants debout avant de s'effondrer sur ses genoux puis sur le sol.

La peur se lisait sur le visage des soviets, ils crièrent tous en se redressant :

"BELAYA SMERT !"

*Guerre Hongro-Roumaine : Conflit qui prit ses racines de la prise de pouvoir des communistes en Hongrie, une coalition constituée de la Pologne, de hongrois conservateurs, et de la Roumanie fut menée pour vaincre la république socialiste hongroise.
Vaincue par la coalition, la république s'effondra.

** Inverse du complexe d'Œdipe
Théorisé par Sigmund Freud, le complexe d'Œdipe est un concept en psychanalyse qui consiste en l'envie inconsciente chez l'enfant d'entrer en contact sexuel avec l'un des parents et de se débarrasser du second.

En ce cas précis, il s'agit de l'envie de tuer la mère pour entrer en contact avec le père. (À noter qu'il s'agit généralement du cas inverse)

***Koba : Surnom donné à Staline durant la révolution russe

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