Talvisota, 1940

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"Nous n'aurions qu'à élever la voix pour que les Finlandais obéissent. Si ça ne marchait pas, il suffirait de tirer un coup de feu pour qu'ils lèvent les mains en l'air et se rendent ; du moins, c'est ce que nous pensions. .." ; Nikita Khrouchtchev, ses mémoires

5 janvier 1940,

Je devais être à Budapest pour célébrer Noël avec ma famille, mais c'est finalement dans ce wagon dans lequel je voyage depuis plus de 10 jours que mes compagnons et moi-même venons de fêter la naissance du Christ.

Et ce n'est pas un mal.

Je m'appelle Károly et je prends soin de noter ce qui me tracasse depuis que j'ai appris à écrire.
À dater de ce jour, j'espère pouvoir conserver ce qui reste de mes mémoires entre ces lignes.

Si je suis parti, c'est parce que je ne supportais plus la vie monotone dans les rues de Budapest, toujours les mêmes discussions sans intérêt, les mêmes personnes que l'on doit saluer. Et surtout les mêmes habitudes.

Mon mariage étant une des principales causes de ma dépression, moi qui espérais avoir une relation active faites de voyages et de découvertes, me voici plutôt à supporter un poids qui me fait perdre pied petit à petit.

Je ne supportais plus ses caprices et ses crises de nerfs pour des raisons plus ridicules les unes que les autres, me maintenir dans le silence ne faisaient que rendre encore plus pénible ma lente descente en enfer.

Le peu de temps libre que je consacrais à l'occupation du transistor ne me remonté guère le moral, tant les informations étaient peu joyeuses.

Entre la démocratie qui mourrait jour après jour sous les coups de l'amiral*, ou bien les folies furieuses quotidiennes du Führer...

Quand en pleine nuit de décembre dernier, j'entendis l'appel radio à s'engager parmi les volontaires, je cru à un miracle, comme si j'avais enfin trouvé un sens à ma vie qui n'était destinée qu'à être monotone.

J'ai fini par m'engager en tant que volontaire pour rejoindre le front finlandais, je pris soin de ne pas en informer mes proches pour ne pas éveiller de soupçons.

Entre les différents papiers pour s'engager, les tests d'aptitude que j'ai dû réaliser ou les transports pour joindre le front, la tache ne fut pas aisée, surtout en gardant ça uniquement pour moi, mais je suis arrivé jusqu'au bout.

Le soir du 10 décembre, j'eut enfin la possibilité de me rendre dans la gare de Budapest après avoir raconté à mon amour que je devais rendre une visite à mes grands-parents.

Quand soudain, un sentiment encore inconnue envahie le plus profond de mon être...
C'était la peur.

La peur d'être loin de mes proches, de mes amies, de m'engager dans un conflit qui semblait perdu d'avance vu la grandeur de l'agresseur...

J'ignore encore si c'est le courage ou la folie qui m'a poussé à embarquer en direction d'Helsinki.

Le voyage fut particulièrement long et éprouvant. Dû à l'interdiction des Chleuhes d'envoyer des volontaires en Finlande**, nous avons essayé de nous faire passer pour des touristes partis pour la Suède.

Non seulement le voyage était interminable, mais en plus la Gestapo nous a traqués pour tenter de rapatrier le plus de volontaire. Nos instructeurs nous ont appris à dire : "Keine problème" au cas où nous finissions interrogés.

Demain je débarquerai sur le sol finlandais, qui, je le sens, sera mon tombeau...

6 janvier,

Je n'aurais jamais cru être acclamé par une foule en délire pendant notre sortie du train de Laponie.

La région était d'ailleurs peu desservie en matière de transport, comme le reste du nord-ouest finlandais, c'est un étrange plaisir que de voir toute cette population se déplacer pour nous voir, comme si nous étions les cavaliers croisés venus sauver la terre sainte.
Ironique quand on sait qu'ils sont Protestants ici.

Nous avons été invités dans une taverne locale pour célébrer notre venue. Je me suis retrouvé face à des individus de toutes nationalités, comme durant mes rares passages au port de Marseille durant mon adolescence.

Suédois, norvégiens, français, anglais, et même un espagnol.

C'est durant cette soirée que j'ai découvert les soldats finlandais, peu bavard en dehors de leurs heures de pause, j'ai compris que le peuple finlandais est un peuple brave, n'ayant jamais peur de ce qui les attend.

J'ai remarqué leurs caractéristiques ; plutôt trapus, mais doté d'une force incroyable, l'un prétendait avoir arrêté un tank russe en enfonçant dans ses chenilles un tronc d'arbre.

En parlant de russe ... Ruskov ! Ruskov ! Ruskov ! Qu'ils répètent ... les deux peuples se détestent, on sent que les soldats finlandais seraient prêts à aller jusqu'à Leningrad*** pour brûler le palais d'hiver.

Une chose qui m'a fascinée quand j'ai eu l'occasion de discuter avec eux, c'est le "Sisu", c'est une expression unique au finlandais, il représente la ténacité d'un Finlandais face à un objectif à atteindre.

Dans un certain sens, il me rappelle le Bushido, le code d'honneur japonais utilisé par les samouraïs d'entre-temps qui résume cette pensée de ne jamais abandonner même quand la défaite est imminente.

Je sais que cette joie n'est que de courte durée ... Pour être honnête, j'ignore si le "Sisu" sera d'une réelle utilité pour sauver notre peau... Les Finlandais en revanche...

7 janvier,

Nos premiers jours d'instruction furent très rudes, notamment dû au décalage linguistique entre nos deux peuples.

Même si nos supérieurs nous servaient de traducteur, la langue finnoise semblait être bien trop complexe pour eux et nous.

En parlant du finlandais, le premier mot que j'ai appris était : "Suomi", Finlande simplement, car il s'agissait du nom donné à leur arme la plus redoutable : Le "suomi KP31", un pistolet-mitrailleur que j'aurais rêvé posséder afin de dégommer les régiments soviétiques.

Bien que je doive au final me contenter d'une sorte de fusil norvégien, le Krag-Jorgensen, très efficace à longue distance, mais très encombrant. Entretenir une arme en hiver est une véritable horreur, surtout en ces températures infernales.

Les tenues finlandaises sont aussi très déstabilisantes, il s'agit majoritairement de matériel allemand datant de la Première Guerre mondiale. C'est assez étonnant pour un pays qui est si éloigné de la culture germanique.

8 janvier,

La dernière chose que je pensais faire en guise entrainement, c'est bien du ski !

Pourtant c'est bien le moyen le plus efficace pour se déplacer sur le territoire, la majorité du terrain étant enneigé. Presque tous les finlandais savent skier jusqu'à un age très avancé. Mes quelques bases ne m'ont pas empêchés de me vautrer sur le premier arbre ayant eu le malheur de croiser la route d'un hongrois ayant perdu ses battons.

Lorsque les finlandais m'ont récupérés, j'avais un mal de crane et une forte envie de les empoigner pour avoir attendu la nuit tombée pour dégager ma jambe enfouie sous de la poudreuse. Et c'est en éclatant de rire qu'ils ont finit par me sortir de la neige en me soulevant d'un seul coup.

Ce soir-là, il s'agissait du dernier de notre entrainement, alors les soldats finlandais ont décidé de raconter leurs histoires concernant les Russes et la guerre.

Chacun y passait par son anecdote, l'un, borgne, raconté qu'il était en Carélie lorsque les Ruskovs ont attaqué son village, nom loin de Vipurii.

Quand les bombardements ont fait feu, il était en train de raconter une histoire à sa fille dans sa chambre pour qu'elle aille dormir.

Quelques jours après sa mobilisation, il du partir précipitamment de sa maison un matin de décembre. Il nous confia que la seule chose qui faillit le faire retenir de rejoindre le fut son enfant l'empêchant de partir.

Un autre nous racontât qu'il avait vu toute sa famille mourir sous les balles des Ruskovs et était le seul de cette dernière à être encore en vie, il n'a que 19 ans et l'on pouvait sentir sa rage et sa haine en lui dans tout notre camp.

Mais celui qui nous a le plus marqués est celui d'Hjalmar... il a tout d'abord refusé de nous raconter son histoire, il a fini par nous dire un seul mot :

"Kullervo.."

Nos camarades finlandais, même les plus téméraires avaient poussé un cri de terreur, ce nom raisonnait comme un étrange mal qui s'emparait de chacun d'eux, tandis que nous les volontaires étions restés intrigués et horrifiés par l'hystérie qui s'était emparée de ces soldats si robustes et sans peur.

Que signifie ce "Kullervo" ? un monstre du folklore finlandais ? une entité maléfique ? Une chose est sure, si leur but était de nous empêcher de dormir , c'est réussi ...

*L'amiral : Miklós Horthy, ancien amiral de l'empire d'Autriche Hongrie, il fut régent de la Hongrie et participera à la seconde guerre mondiale aux côtés de l'axe. Fuyant son pays lors de l'invasion russe, il s'exilera au Portugal, avant de s'éteindre en 1957

**Le troisième Reich, respectant les termes du pacte germano-soviétique, mit tout en oeuvre pour empêcher les volontaires de rejoindre les Finlandais.

***Leningrad était le nom sous l'air soviétique de la ville de St Pétersbourg, capitale russe durant l'époque des tsars rebaptisée en l'honneur du messie de la révolution russe ; Vladimir Illich Oulianov.

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