Tournée de bonbons

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La nuit tombe enfin, en ce trente et un octobre inhabituellement chaud et ensoleillé. Julie a célébré son anniversaire dans le jardin aux nuances dorées avec tous ses amis et soufflé les neuf bougies orange plantées sur son gâteau à la citrouille. Si le gâteau a été terminé avec promptitude, la fête, elle ne l’est pas encore. Il reste à faire le tour du village pour la fameuse collecte de bonbons.

- T’as du pot d’être née le soir d’Halloween, quand même, lance Maxime. C’est trop la classe.

- Je sais, lui répond simplement Julie. On y va ? demande-t-elle à Léo, Margaux et Sarah, qui sont toujours à table, occupés à se goinfrer de Smarties.

- On arrive ! s’exclame Margaux. Je mange juste encore un petit truc.

- Ouais je suis presque prêt, confirme Léo. Plus qu’à enfiler mon costume de squelette.

- Presque prêt, mon œil ! Tu vas mettre une plombe, oui…

- Moi, je serai en zombie, ajoute Sarah, la petite sœur de Julie, avec la voix cristalline de ses sept ans.

- Toi, en zombie ? se moque Maxime. Tu ferais même pas peur à une souris cardiaque. Les Bisounours, à côté, c’est des monstres !

- Même pas vrai ! On verra si mon déguisement vous flanquera pas la trouille tout à l’heure.

- Ha ha ! Ça m’étonnerait. On sera morts de rire, on parie ?

- Max ! Arrête de l’asticoter et magne-toi plutôt, lui ordonne Margaux.

- OK, commandant, capitule Maxime en fourrant dans sa bouche une ultime poignée de Smarties, sous le regard dégoûté des autres convives.

- Dégueu ! grimace Léo. Quel gros cochon, celui-là !

- Bon allez, on se bouge ! les apostrophe Julie. Halloween, c’est maintenant, pas dans dix ans.

Avec des gestes plus ou moins tâtonnants, les costumes sont enfilés et les masques mis. Julie rajoute une touche de maquillage à ceux qui le souhaitent.

- Bouh ! hurle Sarah en tapant sur l’épaule de Maxime-le-vampire, qui rêvasse en attendant que les autres achèvent leur transformation.

-

Il sursaute, se retourne d’un geste vif et se trouve face au masque de zombie le plus répugnant qu’il ait jamais vu.

- Ah oui, quand même ! s’exclame-t-il, le cœur battant la chamade. Bon, mettons que j’ai rien dit. Tu m’as collé une de ces frousses !

- Tes parents t’ont acheté ça ? s’étonne Margaux. Les miens n’auraient jamais accepté.

- Allez, on y va ! Mission bonbons ! s’impatiente Léo, déguisé en démon verdâtre et grimaçant.

Tous s’emparent de leur seau en forme de citrouille, fins prêts pour la collecte de sucreries annuelle.

- A tout à l’heure, les jeunes ! leur lance Elodie, la mère de Julie et de Sarah. J’espère que la récolte sera bonne. Julie, tu fais attention à ta sœur !

- Ça va maman, grommelle Sarah, la voix étouffée par son masque. J’ai plus quatre ans !

Sur le palier, l’air est toujours aussi doux. Une lune ronde, rousse et amicale occupe le ciel étoilé. Cependant, il règne dans l’atmosphère un je-ne-sais-quoi d’électrique. Le vent, presqu’aussi caressant qu’une brise d’été, charrie des odeurs inhabituelles. A l’horizon, des éclairs de chaleur étalent leur lueur paresseuse. Maxime les contemple avec inquiétude.

- On dirait qu’on va avoir de l’orage bientôt.

- T’affole pas, le rassure Julie, on a le temps.

La joyeuse troupe investit la rue et entame sa tournée, alternant entre la lumière blafarde des lampadaires et l’ombre dense des grands marronniers.

- On commence par où ? interroge Léo en shootant dans un marron d’inde.

- On fait notre côté de la rue et l’autre après, propose Julie. Comme ça, on commence par la voisine du premier, Madame Mercier. Elle nous a donné des tas de bonbons l’an dernier.

- Et même des sucettes, précise Sarah. A la fraise et au coca.

- Cool ! s’extasie Léo, s’en régalant d’avance. On y va ?

Mais, à leur grand dam, Madame Mercier n’est pas aussi généreuse que l’année précédente. Une fois leur maigre butin réparti, il reste à peine quelques friandises pour chacun. Au loin, les premiers coups de tonnerre se rapprochent.

- Bon, allez, on continue, les presse Léo, vaguement anxieux. On ne traîne pas, l’orage va arriver.

- Mais non, t’inquiète, le rassure Julie. Quand ça tonne par là-bas, ça passe toujours à côté.

- Si tu le dis. Je déteste l’orage. Surtout la nuit. La nuit d’Halloween, en plus. C’est un mauvais présage.

Personne ne rit, pas même Maxime, qui a pourtant la moquerie facile en temps habituel. Les autres maisons de la rue ne sont guère plus prolifiques et l’ambiance devient morose.

- On sent que c’est la crise, soupire Margaux, paraphrasant ses parents. La conjoncture est vraiment mauvaise.

- Qu’est-ce que tu racontes ? La con…quoi ? ricane Léo.

- Mes vieux disent ça sans arrêt.

- On essaie un autre quartier ? propose Sarah.

- Non, attendez, j’ai une idée. Souffle Maxime. Et si on allait chez la vieille O’Flanagan ?

- T’es malade ? s’insurge Margaux. On dit que c’est une sorcière. Et que la nuit d’Halloween, elle laisse de la nourriture sur la table pour les morts qui veulent se rassasier.

- N’importe quoi ! C’est juste une pauvre vieille un peu bizarre qui vit toute seule. J’y suis allé avec son petit-fils l’an dernier. C’est un pote à moi. Elle nous en a donné plein, des bonbecs ! Alors, qui vient avec moi ?

-

Personne ne lui répond. La lune, pleine et rassurante, n’est plus. Elle a disparu derrière les cumulonimbus nocturnes. Le vent a rafraîchi et l’orage gronde, bien plus près cette fois.

- Pff, quelle bande de dégonflés. J’ai compris, j’y vais tout seul. Mais comptez pas sur moi pour partager !

- Attends, propose Julie. Moi, je viens avec toi.

- Moi aussi ! se ravise Léo. Pas question de laisser passer une occasion pareille.

Tous se tournent vers Margaux.

- Et toi ? l’interroge Julie.

- Ah non, moi, je rentre. Je le sens pas, votre plan. Bonbecs ou pas, je ne vais pas chez une sorcière la nuit d’Halloween.

- Quelle poule mouillée ! Rentre chez toi alors. Tu peux ramener Sarah en passant ?

Margaux accepte avec soulagement.

- D’accord. Tu viens, Sarah ?

- Quoi ? Ah non, j’ai pas peur, moi ! Je suis plus un bébé.

- Sarah, tu rentres, c’est tout ! Tempête Julie. La suite, c’est pour les grands.

Julie se moque de son amie, mais en réalité, elle n’en mène guère plus large. A présent, la nuit sans lune est zébrée d’éclairs et le tonnerre claque. Le ciel menace de crever et de déverser sur eux des trombes d’eau glacée.

Margaux prend Sarah par la main et toutes deux trottinent vers la chaleur et la sécurité de leurs maisons respectives.

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