La vieille O'Flanagan

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Maxime-le-vampire toise ses deux compagnons restants, Julie-la-sorcière et Léo-le-démon-vert.

- Bon, on se grouille ! Sinon on va prendre la saucée de notre vie. Suivez-moi, je sais où elle habite, la vieille O’Flanagan. Allez, courage, c’est pas très loin !

Après leur avoir fait suivre un dédale de ruelles, il les emmène tout au fond d’une impasse.

Julie s’en étonne :

- On va où, là ?

- Vous allez voir…

Il emprunte un passage étroit et obscur, coincé entre deux maisons et plein d’orties. Les deux autres enfants le suivent sans enthousiasme.

- Mais…tu nous emmènes dans la forêt ? s’offusque Léo

- Ben oui, c’est là qu’elle vit, la vieille, toute seule avec ses chats ! Mais t’inquiète, par ce chemin c’est tout près.

- Ouais, on dit ça…

- On est même éclairés par les lampadaires.

- Tu parles, on y voit que dalle ! intervient Julie. On va se ramasser par terre.

- Allez, vous me faites confiance, non ? les interroge Maxime, feignant un enthousiasme qu’il est loin de ressentir.

- Pourquoi ? On devrait ?

- Aïe ! Saleté d’orties ! J’aurais mieux fait de rentrer avec Margaux, moi, peste Léo.

- Pense aux bonbons ! lui rappelle Maxime.

Alors qu’ils progressent à tâtons sur le petit sentier chichement éclairé, les premières gouttes de pluie s’abattent sur eux, lourdes et froides. Un coup de tonnerre plus fort que les autres les fait tous sursauter.

Bientôt, l’ombre massive d’une maison se laisse entrevoir à travers la végétation touffue. Maxime, sentant ses camarades peu enclins à avancer, les pousse devant lui.

- On y est ! Allez, on y va !

- Elle vit vraiment seule ici ? s’enquiert Julie, peu rassurée.

- Ben ouais, depuis qu’elle a perdu sa fille, il y a trente ans. C’est ma mère qui m’a raconté cette histoire. La gamine est allée se baigner dans un étang avec son grand frère et elle s’est noyée. Alors, la vieille O’Flanagan a envoyé son fils vivre chez sa grand-mère. Puis son mari est parti et elle est restée seule ici. Elle ne voulait plus voir personne.

- Brrr…Et on va sonner chez elle ? T’es dingue !

- T’inquiète, elle est pas méchante. Son petit-fils, c’est mon pote, je l’ai déjà dit.

La bâtisse, construite dans les années vingt, n’a pas bonne presse dans le village. On dit qu’elle porte malheur, et qu’avant son habitante actuelle, d’autres drames ont touché les familles qui y vivaient. Mais Maxime, Léo et Julie l’ignorent. A leurs yeux, ce n’est qu’une vieille bicoque. Sinistre et effrayante, a fortiori la nuit d’Halloween, mais tout à fait ordinaire.

Julie, qui commence à avoir froid, s’impatiente.

- Bon, allez, on bouge ? On ne va pas rester plantés là, sous la flotte !

- A toi l’honneur, Maxime, l’encourage Léo. Puisque tu es pote avec son petit-fils…

Il grimace en voyant le rideau pluvieux s’épaissir.

- Il pleut de plus en plus, on va se faire sacrément doucher en rentrant !

Maxime se sent mal à l’aise. C’est vrai, lorsqu’il est venu l’an dernier avec Paul, la vieille O’Flanagan les avait accueillis avec gentillesse et avait rempli leur seau de bonbons. Mais cette année, sous cet orage inattendu, les circonstances sont bien différentes. Malgré tout, il prend son courage à deux mains et appuie sur le bouton métallique piqueté de rouille.

Durant un long moment, rien ne se passe. A l’abri sous le porche, la petite bande contemple la pluie qui redouble et hume les odeurs exhalées par la forêt mouillée.

Maxime est sur le point de leur proposer de rebrousser chemin lorsque la lourde porte s’ouvre avec un grincement. La vieille dame qui s’encadre dans le rectangle de lumière n’est pas du tout telle que Julie et Léo se l’imaginaient. Elle n’a rien d’une sorcière. Elle semble tout à fait ordinaire, banale même.

Un visage strié par les ans et les épreuves, mais amical. Des cheveux roux, striés de mèches argentées, coupés au carré. Un gilet rose sur un jean.

Un chat, pas même noir, mais blanc comme de la crème fouettée, vient se frotter à ses jambes.

- Mes pauvres enfants, vous avez fait le chemin sous la pluie ? Venez, entrez un moment. Je vais vous chercher de quoi vous régaler.

Lorsqu’elle pénètre dans le couloir, Julie aperçoit un mouvement ténu à sa droite. Elle tourne la tête d’un geste vif. Dans le salon, plusieurs personnes sont attablées. Une petite fille se tient là, rousse elle aussi. Son teint est blême et de grands cernes marquent ses yeux. Elle grignote sans faim une part de cake qu’on devine confectionné avec amour par l’occupante des lieux.

Soudain, elle s’arrête de mastiquer et tourne son regard vide vers Julie, médusée.

- Toi ! Tu peux me voir, je le sais !

En entendant cette voix creuse et spectrale, la fillette sent la chair de poule l’envahir et son ventre se nouer. Non, ce n’est pas possible, cette gamine n’est tout de même pas…Et les autres ? Maxime avait pourtant spécifié que la vieille femme vivait seule.

- Tous les gens nés le soir d’Halloween peuvent nous voir. Mais tu es la première que je rencontre. Tu vas pouvoir jouer avec moi. Je me sens si seule. Ma mère croit avoir des hallucinations. Elle pense que nous n’existons que dans sa tête. Mais nous sommes réels ! Je suis réelle…

L’enfant se lève et se dirige vers elle d’un pas lent et un peu traînant. Pas du tout celui d’une enfant, mais plutôt la démarche d’un être exsangue et sans âge. Dans ses bras, elle tient une vieille poupée dépenaillée aux vêtements délavés. Julie, paralysée par la terreur, ne bouge pas tandis que l’apparition s’approche inexorablement. Lorsqu’elle ne se trouve plus qu’à un mètre de distance, elle darde sur Julie son regard sans couleur.

- On va pouvoir être amies, toutes les deux. Ça fait trente ans que je n’ai personne à qui parler. On va vraiment s’amuser ! Tu veux bien ? Hein ?

Elle s’approche encore. Tend vers Julie un bras blanc et décharné. Lorsque la main blafarde s’apprête à toucher son épaule, l'enfant horrifiée sent le charme vénéneux qui s’était emparé d’elle la quitter d’un coup. Elle pousse un hurlement suraigu avant de se précipiter à l’extérieur de cette demeure maudite.

(A suivre...)

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