Chapitre 62

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— Alors ? C'était bien j'imagine ?

Cassandre s'était glissée derrière Olympe, de retour après son incartade fantasmée. Le regard en feu, un sourire gigantesque ancré sur le visage, son amie ne laissait place à aucune équivoque. L'ancienne lieutenant s'esclaffa.

— Tu me pistes ou quoi ?

À elle, celle qui l'avait aidée à se relever durant le silence terrifiant et brisant de Guillaume, elle pouvait tout confesser. Cette femme était devenue sa meilleure confidente. Ne rien garder, tout partager. Son corps réclamait Guillaume, son coeur aussi.

— Ma chérie, tu n'as plus le choix. Tu vas devoir parler à Florian.

Une chose l'angoissait cependant. Lui parler, c'était risquer de le perdre. Sa relation avec Florian l'avait guérie davantage. Excellent soutien, à l'écoute de ses incertitudes, il savait la réconforter lors de ses nombreux cauchemars et de ses attaques de panique en pleine nuit quand ses parents la hantaient. Cassandre ne répondit rien et s'éloigna rapidement devant l'incompréhension de la jeune femme.

— Ça va Olympe ?

Sa voix grave et puissante agita le fauve qui assimilait encore son festin. La bête ronronnait toujours et dévorait discrètement Guillaume des yeux. Une conversation anodine s'engagea. Ravi de revoir tout le monde, il semblait néanmoins soucieux.

— Tout va bien ? demanda-t-elle.

— Je pense qu'ils m'en veulent un peu. Mes soldats m'ont manqué, mais je sens leur rancoeur.

— Le temps guérit tout, sois patient et ils passeront outre ton silence.

— Comme toi ?

Il sourit. L'avait-il deviné ? Elle acquiesça avec pudeur.

— Alors, avec Florian, ça se passe bien ? Il prend soin de toi ?

— Oui, il est parfait, il m'aide beaucoup.

Mais pourquoi tu réponds ça ? Oui il est parfait, mais ça n'est pas toi voilà ! Enchaîne avec ça abrutie !

Un sourire sincère s'installa sur son visage. Etait-il soulagé de savoir que sa lieutenant était en paix et heureuse avec quelqu'un ?

— Et toi ? Tu as quelqu'un dans ta vie ?

Olympe balança cette phrase comme si elle lui brûlait la langue.

Mais ça va vraiment pas bien, qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ?

Il répondit par la négative, expliquant que la rééducation était éreintante. Elle le rassura,

— Au vu de tes progrès, ça ne serait qu'une question de temps pour sortir et rencontrer du monde.

Ma parole...

— Tu as repris le boulot ? dit-il brusquement.

Elle baissa les yeux, oui, même boulot, même vie qu'autrefois. La guerre était une parenthèse qu'elle s'efforçait de maintenir bien fermée. Les morts, le sang, la souffrance... Associée à la fureur, cette lourde culpabilité l'envahissait parfois et le couple morbide prenait le contrôle lorsqu'elle était la plus vulnérable : la nuit. Les cauchemars, plus vrais que vrais et leurs lots de soubressauts, de hurlements lui faisaient appréhender le crépuscule. Déclic au changement ? Une nuit, lors d'une énième reviviscence, elle s'était réveillée, assise sur le corps de Florian, les mains autour de son cou. La terreur dans son regard au moment où elle s'était éveillée la hanterait à jamais. Enième fantôme à ajouter à la liste déjà bien longue. Parfait, compréhensif, il ne lui en avait même pas voulu. Fuite essentielle pour sa survie, elle avait réclamé auprès de ses coordinatrices de ne travailler pratiquement que de nuit.

— Ils le méritaient, Olympe. Tous ces hommes que nous avons tué le méritaient.

Nous...

Ses nuits étaient-elles secouées comme les siennes ? Bien sûr. Etendue sur la table de cuisine, hurlant de l'achever tandis que la barre s'enfonçait et déchirait ses entrailles, le hantait-elle ? Le hantait-elle comme ses mains froides et la débâcle de sang tapissé dans l'hélicoptère nourrissait chacun de ses moments de repos ? Ce simple nous prononcé confirmait son intuition refoulée. Ils se comprenaient.

— Tu sais, Gaëlle m'a permis d'envisager les choses sous un autre angle. Les soldats ennemis que nous avons abattus étaient peut-être des victimes, au mauvais endroit au mauvait moment, affublés d'une arme, d'un uniforme et obligés de combattre. Certains ont avoué que tant qu'ils combattaient, leurs femmes étaient saines et sauves et ne risquaient pas de finir dans un bordel. Guillaume, qu'aurais-tu fait à leur place si ta femme était menacée de servir d'objet sexuel si tu n'obéissais pas ? Jusqu'où aurais-tu pu aller pour l'amour de ta vie ?

Qu'espérait-elle en prononçant ces derniers mots ? Qu'il pose son verre, l'embrasse et lui déclare sa flamme. Où se croyait-elle ? Dans une comédie romantique à l'eau de rose où tout s'arrange dans les derniers instants de l'intrigue ? Ridicule espoir féminin, elle le scruta. Rien. Aucun indice. Impassible, comme toujours. Seul le regard noir d'un animal furieux inondait son visage. Cette guerre n'était clairement pas du passé pour lui. Pouvait-elle vraiment guérir noyée dans tant de rancoeur ? Elle devait l'avouer, Florian lui apportait une sérénité que Guillaume n'offrait pas à cet instant. Ce chapitre, cette guerre qui ruina son corps, sa vie, ses espoirs ne semblait pas terminé pour lui.

Ejectée de ses pensées et de sa contemplation, Loïc bondit devant eux et l'attira contre lui. Drop the Game de Flume régula leurs ondulations. Tête posée sur son épaule, il l'inonda de quelques mots simples.

— Laisse le temps faire les choses. Tout trouvera un équilibre. Bien sûr qu'il t'aime. Fallait voir la terreur sur son visage lors de ton coma. Mais laisse-le se reconstruire. Peut-être se veut-il fort pour toi, pour qu'ensuite il puisse t'aider. Il revient de loin, lui aussi. Olympe, Florian... est quelqu'un de gentil. Mais est-il vraiment fait pour toi ?

La mélodie se termina sur cette simple question accompagnée du regard si bienveillant de son ami. Tous savaient l'évidence. Restait à prendre son courage à deux mains et discuter avec respect et sincérité avec l'homme qui l'invita à son tour à se joindre à la foule qui sautait, dansait, riait, chantait. Oui, Florian comptait. Mais pas comme elle l'avait pensé...

Fin de soirée. L'aube se profilait, inondant le ciel de ses couleurs tendres et envoûtantes. Etendus sur un drap, tous scrutaient l'aquarelle que la nature peignait sous leurs yeux. Inutile de dire que l'ancienne unité CHARLY pensait à Achille, expert en astronomie. Combien d'histoires leur avait-il offert sur les constellations qui brillaient à des milliers d'années lumières ? Seul souvenir agréable d'un siège aux conséquences physiques et psychologiques dévastatrices. Si dévastatrices que certains anciens combattants ne répondaient plus présents. Gaëlle, Marceau, éternels absents lors de ces retrouvailles festives manquaient cruellement au reste de l'équipe... Sébastien mit un terme à la contemplation silencieuse.

— On refait ça bientôt ?

— Avec plaisir ! Chez qui ? interrogea Félix.

— Dans une salle, tout le monde sur son 31, et cette beauté en robe blanche...

GI Joe s'était tourné vers Solange. Une main dans la sienne, la tête penchée sur le côté. Qu'y avait-il besoin d'ajouter ? Dans son regard, tout était dit. Aussi surprise que tout le monde, la jeune fiancée bondit dans ses bras, inondant l'air d'un oui qui provenait des entrailles. Ils s'offraient le plus beau cadeau : se projeter et créer une vie à deux loin de la guerre. Olympe était-elle capable de cela ? Pas encore. Qu'est-ce qui l'en empêchait ? Difficile à dire. Florian ? Guillaume ? Pas seulement. L'absence de sa famille alourdissait tout. Combien de fois par jour pensait-elle à eux, à Achille, à Clara, aussi ? Trop souvent, beaucoup trop souvent. Regrettait-elle l'offre de Plantain ? Non. Quitter une nouvelle fois ses grands-parents, la chair de sa chair, signerait son arrêt de mort. Ils étaient son ancre à la vie réelle.

Les au revoir. Déchirant retour à la réalité. Etreintes chaleureuses, touchantes ou pudiques, douces promesses de retrouvailles sous des auspices toujours si joviales. Les corps se succédaient dans les bras d'Olympe. Puis, Guillaume. Accroché à sa béquille. Comment retenir sa furieuse envie de l'embrasser, de lui demander de rester, de le forcer à rentrer avec elle ? Simple, Florian. Qui était-elle, quel monstre était-elle devenue pour ne penser qu'à elle ? Qu'à ses propres souhaits au détriment de ceux des autres ? Alors, le dos voûté, elle sourit timidement. En réponse, il déposa ses doigts sur sa taille et s'approcha. Si prêt, avec une lenteur telle que le temps semblait être suspendu. Son torse musclé frôlait ses seins. Percevait-il les frissons qui parcouraient ses aréoles ? Pouvait-il seulement réaliser l'effet qu'il avait sur elle ? Lèvres sur sa joue, il murmura.

— À bientôt, Olympe.

Le corps en feu et les pensées vagabondes, Olympe avait dorénavant une mission en rentrant chez elle : parler à Florian.

Si parfait, si compréhensif, de retour chez elle, blottis dans les bras l'un de l'autre, Florian rompit le silence lourd qui fracassait les murs de la chambre. 

— Est-ce que tu es heureuse avec moi ?

— Très.

— Est-ce qu'il y a un mais ?

Elle hésita. Pouvait-elle tout lui avouer sans prendre le risque de le blesser et de le perdre ? Egoïstement, cet homme l'aidait à gérer la frénésie qui parfois s'invitait sans prévenir. Il savait la rassurer et la calmer. Si elle tenait autant à lui, elle lui devait une chose : l'honnêteté. Elle acquiesça, oui, il y avait un mais. Il lui demanda ainsi plus de précision. Qu'est-ce qui l'empêchait d'être pleinement épanouie avec lui ? Elle répondit en toute sincérité là encore. Il connaissait son manque de tact. Elle espérait qu'il ne soit malgré tout pas brusqué.

— Si tu veux tout savoir, le sexe. Entre nous j'ai l'impression que ça ne matche pas vraiment.

De but en blanc et d'une voix incroyablement calme, il l'interrogea,

— Pourquoi ne pas l'avoir dit plus tôt ?

— Parce que tout le reste de notre relation, je l'aime vraiment. J'aime les moments qu'on passe ensemble, j'aime la façon dont tu me calmes et dont tu prends soin de moi, mais je n'aime pas toujours notre intimité.

Il demeura silencieux, pensif. Déçu ? Difficile à dire. La tristesse envahit Olympe. Cet homme était une perle, comment pouvait-elle ne pas se projeter avec lui ? Tout simplement parce qu'il n'était pas Guillaume. Lui avait tout vu. Sa folie, sa détresse, sa rage. Tout. Florian découvrait au fur et à mesure, les dégats que la guerre avaient causés.

— Dis moi, pour toi c'était bon ? osa-t-elle.

— Pas parfait, mais bien ! Je peux te demander à qui tu pensais tout à l'heure dans la salle de bain ?

Elle ne répondit rien. Pas encore prête. En même temps, rien de concret n'existait alors pourquoi rêver inutilement ? En véritable gentleman, il respecta son silence. Preuve là encore de sa grandeur d'âme. Sans heurts, sans larme, sans cri, Florian embrassa le front d'Olympe dont les yeux ruisselait en silence.

— Tout ira bien, Olympe, tu verras. Je suis désolé de ne pas avoir fait l'affaire...

— Florian, c'est là toute la contradiction. Tu n'imagines pas à quel point tu es précieux. Si tu pouvais réaliser l'aide que tu m'apportes au quotidien. Le calme, la sérénité que tu déposes à chaque moment passé ensemble. Je t'aime. Envisager ma vie sans toi me terrifie, je t'aime sincèrement Florian, mais pas d'amour...

— Laisse-moi un peu de temps. Je reviendrai, Olympe. Pour moi aussi tu es importante. J'avais beaucoup d'espoir pour nous. Beaucoup de projets aussi. Entre nous, c'est différent de ce que j'ai pu ressentir avec les autres, je pensais que tu étais la bonne. Me suis-je trompé à ce point ? J'ai besoin de temps pour réfléchir.

Il sourit avec tendresse et sécha les larmes qui inondaient toujours les joues d'Olympe.

— Dors, je serais dans le salon. Pas loin. Si tu as besoin de moi, tu m'appelles.

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