Chapitre 54

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Septembre 2021

Deux mois que les rescapés de la RF se terraient dans leur cave grand luxe. Seule richesse que leur logement n'offrait pas : la lumière du jour. La perte de repères pouvait faire des ravages sur l'esprit des hommes et le siège de mars l'avait prouvé à la CHARLY. Des règles strictes furent imposées. Afin de conserver un rythme diurne, Marceau bricola le compteur électrique pour qu'à 8h30 toutes les lumières s'allument et qu'à 22h elles s'éteignent. Les repas étaient pris ensemble sous la gestion de la cheffe Solange et de son commis Sébastien. Trois fois par semaine, une demi-journée d'activité physique était organisée, la présence de tous était obligatoire. Henri et Jean, le chauffeur du fourgon pestaient de devoir y participer, mais jouaient le jeu. L'entente et la cohabitation entre tant de personnalités auraient pu être un véritable challenge mais tous comprenaient la situation et l'isolement. Ce bunker assurait leur survie, ils prenaient donc leur mal en patience, attendant un signe qui leur soit favorable.

Lorsqu'il leur arrivait de discuter seuls, Guillaume et Olympe étaient focalisés sur une chose : l'identité de la taupe. Le capitaine était très étonné qu'elle puisse tenir aussi longtemps sans avoir besoin d'informer le MLF. Olympe quant à elle, émettait des doutes quant à ses propres coéquipiers. Les rescapés de la BABYLON étaient en réalité tous les membres de la CHARLY, sauf Adrien, qui, comme tous les autres, était tombé lors de l'assaut de la ville. Une trahison de ses frères d'armes lui glaçait le sang. Mais désormais, tout était possible. Trouver le traitre et le démasquer était devenue l'obsession de la lieutenant. Chercher parmi les siens l'écoeurait. Hugo ? Avait-il été rapproché lors de sa convalescence à l'hôpital de fortune ? Guillaume était sceptique, il n'avait rejoint l'unité qu'après qu'Olympe eut ses premiers doutes. Qui dans l'unité W avait intérêt à trahir ? Solange ?

Non, impossible ! Solange ? Elle est si gentille bordel ! Une douce sainte !

Et si son passé était une couverture ? Et s'il y avait plusieurs taupes ? Yvanka ? Pourquoi risquerait-elle la vie de sa soeur de coeur Lola ? Non. Olympe réfutait catégoriquement cette idée. Et Jean, le chauffeur ? Il savait quand les assauts étaient menés. Cependant en deux mois, les gradés n'avaient récolté aucun indice dans ce sens. Les affaires de leurs suspects ne cachaient rien d'anormal. Henri ? Lui aussi connaissait toutes les informations. Là encore, Olympe critiqua la théorie. Si Henri avait été la taupe, il ne se serait pas donné tout ce mal pour la sauver. Guillaume proposa alors de mettre certains soldats dans la confidence. À qui le dire ? Et si la situation dégénérait ? Le capitaine comprenait mais selon lui, le groupe n'avait d'autre choix. Tenter pour avancer. Il voulait mettre la taupe au pied du mur pour l'utiliser à leur avantage. Faire confiance à un traitre ? Une bonne idée ?

— Ça fait deux mois qu'on est ici et personne n'a été tué ni même blessé voire agressé. La taupe a trahi, mais ne doit pas en être très fière, elle n'avait peut-être pas le choix. Si on arrive à lui faire croire qu'on lui pardonne pour ce qu'elle a fait, elle acceptera peut-être de se racheter en aidant tout le groupe. Je veux me servir d'elle pour avoir accès à une radio et contacter ainsi la RF.

Guillaume, sous l'impulsion de l'unité CHARLY, organisa une soirée dansante. Officiellement, le but était de profiter de tout l'alcool qu'offrait leur prison de luxe et décompresser face à l'enfermement. Officieusement, l'alcool aiderait peut-être la taupe à faire une erreur. Le plan se mit en marche.

Olympe, dans un coin de la pièce observait les interactions entre les différents rescapés. Notamment Jean. Il s'entendait bien avec tout le monde, chaleureux, jovial, prévenant.

Ton métier t'avait bien permis de savoir que la pire des saloperies, le salaud qui tabasse sa femme, est souvent celui qu'on envisage le moins. Ne le lâche pas des yeux.

À contre-coeur, elle observa aussi Solange. Sébastien ne la quittait pas du regard, doux et terriblement protecteur, si cet homme détruit lui faisait confiance, qui étaient-ils pour douter de sa guerrière ?

— Tout va bien, Olympe ?

Justine l'arracha de ses pensées et trinqua avec elle. Elle acquiesça.

— Ecoute, je pense qu'il faudra discuter de la suite des événements. Quand est-ce qu'on sort de ce trou ? Quel est le plan ? Cette soirée, c'est bien beau, mais tout ça ne peut pas durer.

Un plan ? Guillaume avait toute confiance en son ancienne aide-soignante. Deux longs mois d'enfermement, tous commençaient à guetter la claustrophobie. Tous souhaitaient trouver leur liberté. Seulement, elle était la première à lui demander des précisions sur la suite. Suspect ? Quelle parade pour échapper à cet interrogatoire ? Elle la rassura simplement, tout était sous contrôle, qu'elle profite de la soirée et demain, tout changerait. Ne pas trop en dire, ne pas éluder, exercice diplomatique difficile. Réussi ? Il semblerait. Justine s'éloigna, le sourire aux lèvres après l'avoir embrassée avec tendresse. Pouvait-elle vraiment douter des intentions de cette femme ? Cette relation était-elle un leure ?

— Un traître ?

— Tu peux arrêter de crier là, merde Cassandre ! Garde ça pour toi s'il te plaît.

Révélation terrible. Le sourire habituel de la jeune femme s'effaça. Etait-une bonne idée de lui confier un tel secret ? Guillaume avait tout prévu. Cassandre était la pièce maîtresse de son plan.

Voyait-il les doutes envahir le visage de la lieutenant ? Il la rejoignit. Tout irait bien. Qu'elle lui fasse confiance. Facile à dire, juger, jauger, observer... Ces gens étaient sa meute et parmi eux, un traitre... Comment faire comme si de rien n'était ?

— Profite, c'est pas ce que tu dis tout le temps maintenant ? Il est là, quelque part parmi nous c'est un fait, mais est-il malveillant ? Je ne pense pas. Le MLF est sournois, vicieux, certains combattants sont forcés à rejoindre leur rang. Tu es bien placée pour le savoir tout ça, alors ne perd pas de vue que cette personne est peut-être au pied du mur. Ne gâche pas la couverture de cette soirée en ruminant. Ton visage transpire toutes tes émotions, tu vas finir par attirer les regards, son regard.

Il se pencha.

— Ce n'est pas ce que je veux, murmura-t-il.

Le souffle brûlant irradia son corps tout entier. Si près de sa nuque, pouvait-il percevoir les frissons qu'il lui procurait ? Elle s'éloigna. Les étincelles qui noyaient ses pupilles lui offrirent la réponse. Oui, il le savait.

One Dance de Drake prit la relève. Musique d'une autre époque, qui s'écoutait dans les bars et boîtes de nuit, collés-serrés contre un partenaire en sueur et alcoolisé. Olympe se servait un verre et continuait sa reconnaissance. Justine dansait avec Antoine, ils riaient. Elle les trouvaient touchants. S'amuser, danser, plaire. Dans ce bunker, on célébrait la vie. L'ancienne aide-soignante jouait-elle de sa candeur pour étouffer les soupçons ? Toutes profitaient de la soirée. Toutes ? Gaëlle se tenait à part. Olympe alla à sa rencontre. Mélancolique, la combattante expliqua que sa famille lui manquait, que le temps devenait long dans cet abri. La lieutenant lui intima d'alléger un peu ses pensées et que le moment venu, le capitaine trouverait une solution pour tout le groupe.

— Tu dois profiter pour ne rien regretter, Gaëlle. La vie est bien trop courte et trop précieuse. Tu t'inquiètes pour eux et c'est normal mais tu ne peux rien faire de là où tu es. Alors fais plaisir à ta lieutenant, prends un verre et passe une belle soirée avec ton unité.

Repérages terminés. L'ivresse s'installait. Elle s'accorda alors une pause. Le plan pouvait bien fonctionner sans elle quelques instants. Verre vide posé, elle ferma les yeux et dansa. Enveloppée par les souvenirs de son ancienne vie, elle ondulait seule, sans s'attarder sur les gens qui l'entouraient. La rééducation proposée par Hugo fonctionnait. Peu de douleurs, une simple gêne que l'alcool parvenait à minimiser. Tous les jours, étirements, massages, musculation, aussi. Cinq semaines où son ancien coéquipier fut aux petits soins, se rappelant les exercices vus lors de sa convalescence pour lui offrir le meilleur. Impossible de lui dire que ces séances avaient offert un répit à cette guerre des nerfs, et pourtant, elles étaient devenues sa bouffée d'oxygène. La suspicion, la manipulation, les mensonges, les non-dits étaient parfois plus épuisants que le combat physique. Des mains se posèrent sur son corps. Ses pensées s'envolèrent. Le mystérieux partenaire aux doigts bienveillants qui ne frôlaient pas ses blessures chaloupait avec elle au son de Sky and Sand des frères Kalkbrenner. Qui était-ce ? Elle se retourna et l'enlaça. Paupières ouvertes, elle éclata de rire.

— Ah ah, tu m'as vue nue, ça ne te suffit pas, il faut encore que je partage une danse avec toi !

Henri sourit, lui adressa un clin d'oeil et s'éloigna. La lieutenant rejoignit les hommes de son ancienne unité. Tous sautaient. L'esprit léger, le coeur réchauffé et le corps éméché, ce soir elle voulait se sentir vivante. Un corps se plaça juste derrière elle, son bassin frôlant ses fesses.

— Va doucement, souffla Guillaume.

Pouvait-il encore murmurer ? Pouvait-il continuer de la réchauffer ainsi ? Que voulait-elle ? Plus. Alors, elle le tira par le T-Shirt pour l'attirer totalement contre elle. Ses bras autour de son corps, il se cala sur sa cadence. Tout le monde semblait trouver son compte. Des couples se formaient et se déformaient au gré des mélodies. Ce soir, la guerre était loin. Face à Guillaume, elle jeta ses bras en collier autour de sa nuque. Comme pour la retenir, il maintint ses poignets. L'embarras envahit son regard. Ne pouvait-il pas réaliser que tous se fichaient de qui passait la soirée avec qui ? Flirt, séduction, n'avait-il pas envie de profiter tant qu'il en était encore possible ? Silencieux, il réfléchissait trop. Que pouvait-il tirer de cette soirée ? Le traître profitait. Pourquoi pas eux ? Les jeux étaient faits.

Vaincue, elle le laissa abaisser ses bras et l'observa s'éloigner. Henri profita de cette pause pour fondre sur elle et la faire valser. Son sourire communicateur embrasa Olympe qui ne souhaitait rien d'autre que cela. De la légèreté.

La sensualité atteint son paroxysme lorsque le rythme puissant et intense de 6 Inch se lança. Beyoncé et The Weeknd sonnèrent le glas de la raison des soldats. Des couples s'étaient formés, parfois même des trios où des mains se promenaient, des langues caressaient, des bouches se touchaient, des esprits chauffaient...

— J'arrête de réfléchir.

Sans autre préavis, Guillaume l'attira contre son corps d'une main posée sur son ventre et souffla dans son cou. Frissons, chaleur, elle n'avait rien oublié de leur nuit. Sa langue parcourut sa nuque. La panthère se réveillait avec douceur et s'étirait. Bras en l'air, tête contre son torse, elle jubilait. Lisait-il dans ses pensées ? Percevait-il ses songes les plus inavouables ? Ici, dans cette semie normalité, Olympe reprenait vie. Plus elle partageait de moments avec lui, plus le désir était puissant et les rêves, incontrôlables. Cassandre riait tous les matins en lui racontant tous ses gémissements nocturnes... Elle se retourna. Sa paume bouillante enflamma son dos et se répendit dans tout son corps. Caresse sensuelle et brûlante, ses lèvres rencontrèrent sa bouche. Enfin.

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