Chapitre 49

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— Je peux savoir ce qui n'était pas clair dans mes ordres Warenghem ? Parlez.

Comment osait-il être furieux ? Ce n'était pas sa vie qui était risquée à chaque assaut. Il n'était pas avec elles sur le terrain, alors elle répéta à nouveau ses doutes sur les écoutes furtives de leurs communications.

Le jeune homme fulminait. C'est impossible, hurlait-il presque. Un tel aveuglement risquait de coûter la vie de ses guerrières, répondit-elle. Cinq malheureux miliciens dans l'objectif. Des semaines que cela n'avait pas été aussi facile mais il ne comprenait pas. Selon lui, il s'agissait d'une pure coïncidence, voilà tout.

— Je vous demande d'obéir aux ordres, vous vous rendez compte que vous êtes restées plus d'une heure à découvert avec vingt trois civils affaiblies ? Et si une unité ennemie avait débarqué, vous auriez fait quoi ? Et nous ? Sans unité W active on aurait fait quoi pour la suite ? Vos faits d'armes ouvrent les yeux de la population sur la réalité du MLF bon sang ! À L'avenir, si vous n'êtes pas capable de vous en tenir aux ordres, on trouvera quelqu'un pour le faire à votre place ! Avec vos coups d'éclats, des candidatures on en reçoit à la pelle, vous remplacer ne sera pas difficile ! Est-ce bien clair ? Parlez.

— Oui, très clair Capitaine Bela.

Olympe pestait. Le bureau semblait l'avoir ramolli et ce qu'il souhaitait désormais c'était d'être dans les petits papiers du commandant. Guillaume, à présent, s'était mué en un haut gradé planqué, qui écoutait sans entendre. Un triste flash du siège de mars flanqua des frissons à la jeune femme. Il l'abandonnait comme le capitaine Dinter et le commandant Plantain l'avaient fait autrefois...

— Bon, maintenant, l'objectif de demain sera le bordel de la rue de Londres, l'attaque est prévue à 10h30. 10h30 Warenghem, pas deux heures avant. Terminé.

La conversation s'interrompit aussi brutalement qu'elle avait commencé sous les hurlements d'Olympe. Comment pouvait-il ne pas lui faire confiance ? La preuve était pourtant irréfutable. Margaux, calmement installée près du feu était persuadée qu'il ne comprendrait pas. Seulement, ce que Margaux ne saisissait pas, c'était l'espoir que sa relation particulière avec son supérieur aurait eu raison de ses doutes. Elle s'était ainsi trompée... Et elle n'était pas la seule. Un soir, alors que l'unité BABYLON était postée non loin de la sienne, elle était allée saluer ses anciens coéquipiers et Sébastien s'était également confié ses propres doutes concernant les moyens de communications devant les assauts de plus en plus sanglants. Il avait déjà perdu cinq de ses hommes.


— Qu'est-ce qu'il se passera si on n'obéit pas ? Qu'est-ce qui nous empêche de refaire ce qu'on a fait aujourd'hui ? On agit deux heures plus tôt, ou alors plus tard ! Qu'est-ce qu'il peut bien faire ? Il n'est pas sur le terrain !

Solange qui venait de servir le repas du soir, posait la question en toute transparence et c'était ce qu'elle aimait chez ces femmes, leur liberté et leur ton puissant. La hiérarchie ? Un moyen d'organiser les assauts, surtout pas de contrôle.

— Si on fait ça, je perds ma place et vous aurez quelqu'un qui saura obéir aux ordres.

Yvanka soufflait sur son bol. Pas le choix que d'obéir. Impossible d'envisager de mettre la place d'Olympe en jeu. L'unité, la famille, la meute étaient essentielles pour chacune. Une stabilité face à l'horreur. Elle leur expliqua alors la dureté de la mission qui les attendait. Trois niveaux. Cinquante filles. Gaëlle s'étonna. Comment ces gradés pouvaient-ils les envoyer au casse pipe de cette manière ? Dix filles pour en sauver cinquante... Les prenaient-ils pour des machines ? Alors, pour éviter toute discussion stérile sur les ordres toujours plus étonnants de la hiérarchie, elle proposa à chacune de réfléchir à une stratégie. Certes elle était officiellement aux commandes, mais les jeunes femmes à sa charge avaient très souvent d'excellentes idées pour mener les assauts difficiles et ce fut Jeanne, qui, cette fois-ci, leva la main. Tout en terminant d'avaler la bouchée du Chili que le chef Solange avait réussi à concocter en fouillant les maisons bombardées, elle balança son idée.

— Je propose qu'une équipe de quatre prenne le bâtiment d'en face, pour permettre à Margaux et Justine d'installer leur poste de tir. Je sais pas si vous avez remarqué, mais on a jamais eu de prisonnières au rez de chaussée, quelle que soit la configuration du bâtiment. On se sert de ça pour foncer dans le tas. Ça ne sert à rien d'être discrètes, de toute façon, ils nous attendront. On fait exploser des grenades dans l'entrée, la fumée nous donnera quelques minutes d'écran pour pouvoir toutes pénétrer à l'intérieur. Deux d'entre nous fouillent le fond du rez de chaussée et une fois sécurisé, une seule reste en faction, l'autre se greffe au reste afin de s'occuper des niveaux suivants. Quatre soldats sécurisent le premier étage, pendant que deux autres montent la garde dans l'escalier du second étage. Elles attendent à côté des portes et tirent à bout portant au silencieux dès qu'un garde franchit le palier. Puis, dès que le second niveau est sécurisé, une seule reste en faction dans l'escalier, on est ainsi en nombre maximal pour s'occuper du dernier étage. Là aussi j'ai noté que dans les bâtiments sur plusieurs niveaux, les filles étaient plus nombreuses en haut.

Impressionnant. Personne ne trouva à redire face à ce plan ingénieux. Tout au long de son intervention, les nerfs d'Olympe s'étaient calmés. Avec des soldats aussi déterminées et efficaces, rien ne pourraient leur arriver, quelles que soient les difficultés rencontrées sur le terrain. Cassandre félicita chaleureusement sa coéquipière pendant que Margaux, amusée et presque excitée de la mission qui serait sans nulle doute la plus difficile jamais réalisée jusque là, sortit de son sac trois bouteilles de bières. Face à une telle trouvaille, le temps se suspendit. Qu'allait dire Olympe ?

— Putain, mais d'où tu sors ça toi ? s'exclama-t-elle en débouchant une bouteille à l'aide de son couteau.

Un peu d'alcool finirait de retomber la colère de sa conversation avec son capitaine borné. Elle lui en voulait de son manque de confiance. Elle pensait qu'il comprendrait. Son inaction risquait la vie de ses combattantes. Avait-il à ce point les mains liées par sa hiérarchie ? Qu'importe. Sa poitrine se pinça. Elle pensait compter davantage pour lui mais il fallait dire que leurs échanges quotidiens, les comptes-rendus, informations, conseils en tout genre étaient une bulle d'oxygène dans laquelle pourtant, aucun indice sur leur étreinte passée ne filtrait.

La soirée s'allégea enfin. Les femmes profitaient de la trouvaille de la snipeuse, accompagnée de la musique du lecteur d'Olympe pour noyer l'air de discussions féminines. Leur vie d'avant, l'endroit où elles faisaient la fête, la dernière fois qu'elles avaient célébré quelque chose de joyeux, leur dernière cuite, mais cette fois, l'atmosphère était différente. Toutes sentaient que la prochaine mission serait un tournant. Cassandre, comme tous les soirs, inondaient toute l'équipe de son optimisme contagieux.

— Quand est-ce que vous avez joui pour la dernière fois ? Dis moi lieutenant, on va commencer par toi.

Toutes connaissaient sa vie, son passé, aussi, Justine, s'apprêtait à venir à la rescousse de sa lieutenant et amie assaillie par la curiosité exceptionnelle d'une Cassandre si spontanée.

— Ça remonte au mois de Mars.

Amusée, la curieuse réclama plus de précisions. De quelle année ? Car oui, la guerre faisait rage depuis trop longtemps, précisa-t-elle.

— De cette année.

Face à sa réponse, Justine, totalement abasourdie, réfléchit : en mars, elle était à l'hôpital ! Lola exultait, Cassandre était médusée, et Solange riait. La stratégie fonctionnait, elle retrouvait les visages détendus de ses coéquipières qui auraient bien le temps de se laisser envahir par l'angoisse demain. Pourquoi elle seule devait se confier de manière si intime ? Elle invita les autres à faire de même. Solange refroidit cependant toute l'assemblée.

— Chérie, je sais que tu as été prisonnière de ces ordures, mais d'après ce que tu dis, ça fait presque deux ans là, qu'est-ce qui s'est passé avant toute cette merde ?

Cassandre, attristée s'approcha de son amie qui se confia avec tendresse sur sa vie passée et sur la fin d'une longue relation évoluant en une amitié sincère plus qu'une réelle passion amoureuse. Olympe jeta un oeil à Yvanka, elle aussi rescapée de l'horreur, qui, incapable d'envisager la possibilité d'un contact humain, fuyait cette conversation. Les mains des hommes l'avaient trop abîmée. Solange néanmoins étonna tout le monde en poursuivant la conversation sur son besoin de se sentir protégée à nouveau et pas uniquement par ses soeurs d'armes. Elle rêvait d'un homme qui saurait prendre soin d'elle et l'honorer comme elle le méritait. Cet espoir d'une vie meilleure après les terreurs du passé fascinait Olympe. Une si grande détermination et une si grande résilience ne pouvaient émaner que d'une femme puissante et indestructible, qui, dans le plus grand secret, apportait une pierre à la reconstruction de leur lieutenant.

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