Chapitre 28

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À nouveau dans le fourgon, les soldats se mirent en route pour une toute petite dizaine de minutes de trajet. Impossible de changer ses chaussettes trempées. Impossible de faire grand-chose d'ailleurs. L'esprit toujours en mouvement empêchait de penser aux atrocités commises et c'était peut-être mieux ainsi. Lorsque le véhicule s'immobilisa, le lieutenant leur ordonna d'enfiler à nouveau les casques, d'y ajouter les lunettes à visions nocturnes, de tenir leur arme prête à servir et d'activer leur radio. L'objectif : être le plus discret possible. En effet, la bataille de cette nuit avait été entendue à des kilomètres à la ronde alors la population ne devait probablement pas dormir. Hors de question de les alertez pas de leur présence en passant trop près des fenêtres.

En avant ! 

Le calme ambiant de cette douce nuit d'été, n'annonçait rien qui vaille. Au premier rond-point, aux barrages placés à chaque sortie, aucun soldat n'y montait la garde. Le MLF devait être aux aguets et il n'y a rien de plus dangereux qu'un animal blessé. À mesure que l'équipe progressait, Olympe se contenait. Pour atteindre l'objectif, il fallait passer devant l'endroit où tout avait basculé. Le parking. La mort. La détresse. La douleur. La brûlure puissante et dévastatrice dans sa poitrine se raviva. Pour la première fois depuis cinq mois, la voilà près de là où tout avait explosé dans sa poitrine. Elle n'allait plus faire ses courses à ce supermarché. Trop difficile. Intolérable même. Affublée d'une arme et d'une tenue militaire, elle était prête à faire la peau aux hommes responsables de cette débâcle de violence. Les combats avaient réussi à occuper son esprit un temps seulement désormais, la quiétude de la nuit se fracassait contre sa culpabilité et son regret. Rien ne serait plus jamais comme avant.

— Ça va aller, Olympe ?

Ses pensées s'étaient-elles, elles aussi, entendues à des kilomètres à la ronde ? Le lieutenant ne s'était pas retourné en murmurant ces quelques mots. Silencieuse, elle doubla une partie de ses coéquipiers. Cette nuit l'éloignait de la femme que Louis avait connu. Prendre les armes, mutiler, tuer, un désir, une nécessité devenus possibilité. Serait-ce sa malédiction ? La frénésie pleurait au fond d'elle. La tristesse hurlait. La peur l'envahissait. Dans quoi s'était-elle embarquée ? Définitif, sans retour possible, Louis était mort et elle avait survécu à sa perte. Cette nuit, son innocence déjà blessée par le meurtre de sang froid commis sur ce parking, s'anéantissait à chaque balle éjectée dans le corps d'un ennemi.

Fluides, habiles, les soldats longeaient les murs. Plus que trois cents mètres avant l'objectif quand soudain, un véhicule déboula. Les uns contre les autres, tous se plaquèrent contre une grille en renfoncement. Une unité, au sens propre du terme. Hypervigilance, palpitant qui s'emballait, mains crispées sur le FAMAS, tempes qui bourdonnaient sous le casque, la combattante prit le dessus laissant la jeune veuve gérer son deuil loin, très loin dans son gouffre tremblant de douleur. Compartimenter pour avancer. Compartimenter pour survivre. L'union de ces corps blottis contre Olympe l'enveloppa. Elle n'était pas seule. Ils étaient là eux aussi avec leurs craintes, leurs regrets peut-être et eux aussi avaient changé cette nuit. Deviendraient-ils un jour sa famille ? Un fourgon médical les dépassa sans leur prêter la moindre attention. La voie était libre.

La mairie. Enfin. L'équipe se plaça de part et d'autre de la voie. Devant eux, six adversaires discutant vigoureusement à l'extérieur. Des fourgons du MLF semblaient prêts à partir, stationnés devant l'entrée. Grâce à d'énormes parterres de fleurs disséminés toutes les trois places de parking, l'unité progressait avec facilité. Olympe suivait Antoine, Hugo, Félix et deux autres soldats dont elle ne connaissait pas le nom. La mission ? Passer devant l'édifice, l'encercler. L'ennemi paraissait désordonné, déstabilisé par la riposte de la RF suite à l'attaque du collège. Aucun commandant, aucun donneur d'ordre et surtout, ils étaient trop peu nombreux, une aubaine. Deux véhicules se mirent en route réduisant davantage la masse ennemie à maîtriser. En mouvement, un par un, les Hommes de la RF traversèrent la route. Dernière à passer, la novice se positionna au plus près de l'entrée de la mairie.

À l'unisson, chacun attendait l'ordre radio du lieutenant. Un seul homme, pour la liberté.

Feu.

Olympe bondit. Hugo se chargea du garde à l'extérieur. En arc de cercle, tous progressaient sur le bâtiment. L'attaque de la nuit avait tant fragilisée la défense de l'ennemi, qu'ils trouvèrent le hall avec son escalier en bois massif vide. Elle s'engouffra dans un couloir sur la gauche. Un soldat. Sans réfléchir, elle lui offrit la même sentence que le précédent quand au même moment, des tirs provenant de l'intérieur d'une pièce la forcèrent à se plaquer contre le mur. Les salves étaient violentes. De l’autre côté du hall, Antoine se débattait aussi pour la maîtrise de sa pièce. Une pause. Enfin. Elle osa un coup d'œil. Nouvelle rafale. Impossible de dire combien d'hommes se trouvaient à l'intérieur... Aux grands maux les grands remèdes. À couvert, elle balaya la pièce du canon de son arme arrachant à l'intérieur le bruit sourd d'un sol fracassé. Un silence de mort lui accorda un répit. Un homme gisait à terre, les yeux grands ouverts, son sang inondant le parquet. Pas le temps pour les états d'âme. Olympe revint dans le hall, vite rejoint par Antoine.

Sept membres de la RF étaient à l'intérieur et il restait deux autres niveaux à sécuriser. D'en bas, les nombreux coups de feu la firent frémir lorsqu'un fracas de verre ainsi qu'une masse inerte s'écrasant sur le parvis en fit sursauter plus d'un. Puis, à nouveau le silence.

Extérieur maîtrisé, entendit-elle à travers la radio. Elle répondit à son tour : hall maîtrisé. Etape par étape. Etage après étage... Domineraient-ils ce bâtiment ? Presque tous étaient novices et pourtant, la puissance de chacun était une véritable force.

Premier étage maîtrisé. Félix inondait son oreillette de sa voix rassurante. Nouvelles détonations. Le dernier niveau serait-il lui aussi enfin contrôlé ? Des gémissements résonnèrent... Se battaient-ils à mains nues ? Réussiraient-ils cette première mission sans encombre ? Aucune notion de combat au corps à corps n'avait été évoquée lors de leur formation sommaire... Qui se trouvait là-haut ? La panique l'envahit. Ici, affublés de ces tenues, ils n'étaient finalement que des amateurs...

Second étage OK. Le soulagement se lut alors dans les yeux de tous. Sélectionnée et formée à la dure, chaque personnalité faisait preuve d'une terrible combativité. Le lieutenant avait bien choisi son unité. Pourquoi en douter ?

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