Les canaris

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Il ne se lassait jamais du clapotis de l'eau contre sa barque. Parfois, il tentait de compter dans sa tête le nombre d'heures qu'il avait passé comme ça, penché par-dessus bord, à écouter les vagues lécher le bois.

Une vie de pêcheur ne permettait pas de faire fortune, mais combien de pauvres riches peuvent se permettre de compter les heures passées à écouter les vagues?

Il sortit délicatement la petite cage du fond de la cale et l'approcha de lui. Comme chaque jour, il cala la minuscule prison contre la nacelle et, lentement, délicatement, en découvrit les barreaux. Le petit oiseau, impatient de voir le soleil et de sentir le ressac, s'ébroua avec énergie et commença ses vocalises.

Il sifflota doucement en accompagnant le chant de son canari. Une rame dans chaque main et le soleil du matin qui perçait le brouillard lui réchauffant le visage, il commença à pagayer en direction de la côte.

Pepe aimerait passer toute sa vie en mer, seul, entouré par les vagues et le chant de ses oiseaux. Ou alors sur l’île; mais seul.

Tous les jours, il apportait une partie de sa pêche à la maison. Parfois, rarement, ils mangeaient des poissons nobles, d’autres fois, souvent, ce n’était que le fond du panier, celui qui n’avait pas trouvé preneur. Il s’en foutait un peu, détestait le poisson et n’en mangeait jamais.

Lui, en échange, profitait des talents culinaires de ses nièces. Le mot était probablement usurpé, ou pas, il n’en savait rien, il mangeait tous les jours la même chose. Des frites et deux steaks. Avec un verre de vin de pays. Le soir, un grand bol de lait chaud, deux cuillerées de sucre et du pain qu’il émettait dedans. Avec la mie, il façonnait des boulettes compactes qu’il gardait pour la fin, comme une friandise.

Arrivé sur la côte, il posa la nacelle et la cage sur le sable et entreprit de faire le tour de ses filets. Vue la quantité de poisson, ils ne devaient pas être trop abîmés. Machinalement, il commença à ramender les mailles, avec patience, comme depuis la nuit des temps. Il ne savait rien faire d’autre; pêcheur depuis l’âge de neuf ans, il en avait aujourd’hui septante trois. Les gestes étaient précis, experts, rapides sans se presser. C’était une belle journée de novembre où le vent se contentait de menacer sans fouetter. Bientôt, le vrai combat allait commencer et ses mains se figer en crampes douloureuses jusqu’au retour du printemps. Le brouillard allait recouvrir la baie de son manteau opaque et tous seraient forcés de prendre leur mal en patience.

L’hiver était une période détestable. Pas tant à cause du froid ou de la météo en général mais de ses conséquences. Pendant plus de trois mois le temps passé dans la maison devrait littéralement exploser; il détestait la promiscuité. Il détestait les gens, le bruit, les obligations sociales, la politesse… Pepe avait décidé depuis bien longtemps de passer au-dessus de ces considérations et, dans une attitude qui lui semblait logique et salvatrice, n’adressait plus la parole à qui que ce soit sauf urgence impérieuse. Les gens seraient surpris de voir tout ce qu’on peut dire sans prononcer un mot.

Il envisageait très sérieusement d'aller s'installer sur l'île avec ses oiseaux. Il ne savait pas combien de temps il pourrait résister avant qu'on vienne le déloger par la force. L'île n'était plus utilisée depuis des dizaines d'années et le projet pour la transformer en centre touristique attrape touristes prenait du plomb dans l'aile. Qui voudrait venir visiter une vieille prison déglinguée sans rien à faire autour?



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