La braise

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Ton téléphone qui sonne en plein milieu de la nuit tu te dis que, forcément, c'est la merde. 


Quand le téléphone qui sonne est celui spécialement dédié à ton métier de pompier volontaire, tu te dis que c'est la grosse merde. Quand tu es pompier pour luter contre les feux de foret et qu'on est au mois de novembre, tu te dis que c'est une énorme merde.

Moi, un feu dans une maison, au sein d'un village, j'y connais rien du tout. On ne m'a pas formé à gérer ce genre de trucs. Au contraire, l'instructeur nous a bien expliqué que c'étaient deux mondes bien différents et de ne surtout pas jouer au con. N'empêche, quand t'es seul et que les vrais pros sont à près de trente bornes, tu prends tes couilles à deux mains et tu fonces. Mais pour quoi faire? Éteindre une maison en feu avec quelques seaux d'eau? Oublie mec, tu peux juste prier un bon coup, si tu crois en quelque chose, et espérer que personne ne soit à l'intérieur. 


Je me dis que, peut-être, une maison qui brûle est le signe que je dois arrêter tout ça. A quoi bon ? 

Mon cousin m'a parlé d'un boulot, dans l'hôtel ou il bosse, pour s'occuper des animaux et des installations extérieures. C'est pas trop mal comme plan de carrière je trouve. Avantage suprême ; c'est très loin. Faut dire qu'il le vend bien son boulot, ça donne toujours envie. C'est un hôtel de montage, très haut, avec la nature et la ressource des citadins stressés comme argument de vente. Il y a des animaux - une basse-cour et des chevaux principalement - et de l'air frais. En hiver, les pistes de ski ne sont pas loin et en été la montagne s'offre à toi pour des balades sans fin. Dit comme ça, qui ne serait pas intéressé ? Seulement, je n'ai plus six ans et le père noël ne me fait plus rêver depuis longtemps. Ce n'est jamais aussi facile, aussi simple. Il y a toujours une contre-partie. Il y a forcément quelque chose qui cloche quelque part, sinon les candidats se bousculeraient au portillon. Je lui ai dit ça la dernière fois au téléphone, ça l'a bien fait marrer. Selon lui, la raison est simple ; c'est loin de tout et de tous. Si tu n'aimes pas la nature et la solitude, passe ton chemin. Pas de bars, de cinémas, de restos, de vie sociale en fait. Il faut aussi se débrouiller un peu en anglais.

Tes meilleures amies seront les marmottes, et encore, quelques mois par an. Pour le reste et si tu acceptes ces contraintes, pas d'embrouille. C'est pas très bien payé mais ça reste honnête, les horaires sont strictes mais raisonnables et les patrons chiants mais respectueux. Fait ton boulot correctement et personne ne t'emmerdera. 


J'en ai un peu assez de crapahuter dans la forêt. Non! C'est pas vrai. J'adore la forêt, j'adore ma forêt, la nature, les arbres, les odeurs, les bruits d'animaux. J'aime tout ça. J'adore tout ça. Mais ça me fait saigner de l'intérieur de voir ce qu'on en fait. J'en peux plus des arbres calcinés, des animaux carbonisés, mes paysages noirs comme l'enfer à perte de vue, année après année. C'est un problème sans fin, sans solution. Trop d'intérêts et surtout des intérêts pour tout le monde. 

Comme on dit dans les bouquins de détectives, il faut toujours se demander à qui profite le crime. Je me suis posé la question ; j'ai encore une fois saigné de mal. Il profite à tout le monde. Moi y compris. Si je bouffe depuis plus de six ans c'est grâce aux incendies. Mon boulot, c'est le feu qui me le donne. Pendant les mois chauds, je lute contre les flammes, le reste de l'année le nettoie les forêts de ses arbres morts et brûlés. On embarque tout et on replante. Parfois on se contente de tout enlever et on laisse la forêt se régénérer d'elle-même. Et quand c'est des parcelles qui appartiennent à quelqu'un, c'est le propriétaire qui décide, à ses frais. Autant dire qu'il laisse le truc comme comme ça, et c'est là que des boites comme celle qui me paye interviennent. C'est l'un de ceux à qui profite le crime. 

Je bosse pour une société qui deale, à tous les niveaux, avec le bois. Ils en vendent sous toutes ses formes, bois brut ou feuille de papier. De toutes les manières, le bois, comme tout, coûte cher. Le bois brûlé coûte moins cher. Beaucoup moins cher. Et comme chez nous le bois ne manque pas... Et donc un feu qui dévaste quelques hectares de forêt n'est pas perdu pour tout le monde. 

Je suis persuadé que nous, les pompiers, on n'est là que pour s'assurer que les habitations ne crameront pas. Et pour les caméras du journal du soir aussi. 



Sept kilomètres, quand tu vas vers un monstre qui dévore tout sur ton passage, c'est long. J'ai même pas pensé à demander chez qui le feu avait prit. Ni s'il y avait d'autres maisons touchées ou qui risquaient de l'être. J'ai sauté dans mon froc et j'ai pris la bagnole. 

Quand je vais vers un feu de forêt, à priori, je sais que c'est intentionnel. Au moins huit fois sur dix. Et encore, je reste gentil. 

Ici je me dis que ça doit être accidentel. Personne ne met le feu à sa maison volontairement. Mais ça veut dire aussi que, potentiellement, des gens peuvent se trouver à l'intérieur et que d'autres maisons voisines peuvent prendre feu. 

C'est ironique. En une heure il peut y avoir plus de victimes humaines qu'en six ans de feu de forêt. 


L'année dernière, et c'était un record mais aussi une tendance à la hausse, on a trouvé tout type de saloperies faites pour bouter le feu.  Ça va des bougies parfumées aux dispositifs sophistiqués que le soleil chauffe jusqu'à l'embrasement. Les gens sont extrêmement imaginatifs quand il s'agit de destruction. Si seulement une petite partie de cette énergie était consacrée à faire le bien, on vivrait tous bien mieux. Avec des si...

Un voisin a même aperçu un jour un chien en flammes s'enfoncer dans la forêt et une voiture qu'il ne connaissait pas sortir du chemin quelques minutes après. 

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