Ingvar

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Cela est arrivé lors de mon dernier hivernage en Islande. J'étais parti avec Ingvar relever les pièges, car le ciel annonçait de grosses chutes de neige qui allaient les ensevelir et faire disparaître toute trace du gibier.

 

Il ne fallait donc pas tarder et les chiens nous emportaient à vive allure vers nos lieux de chasse.

 

Ingvar est quelqu'un de gentil et serviable mais dont la conversation est très limitée. Ours parmi les ours, il est du genre à avoir plus ou moins vidé son sac quand il a dit « alors, quoi de neuf ? ». Il est un peu fragile du côté Q.I. et ne dispose que du discernement nécessaire pour ouvrir la bouche quand il veut manger.

Cependant il n'a pas son pareil pour mener les chiens, poser les filets pour piéger les phoques, et son fusil ne tremble jamais en cas de mauvaise rencontre avec un ours.

 

Bien qu'il soit peu probable de trouver plus d'une cuillère à café de cervelle dans son crâne, on se sent en sécurité à ses côtés dans cette nature hostile et inhospitalière.

 

Toutefois, ce n'est pas le compagnon idéal s'il vous arrive de vous casser la jambe au milieu de nulle part.

C'est pourtant ce qui m'arriva lorsque sur le chemin du retour, à la suite d'une manœuvre hasardeuse pour l'inexpérimenté que j'étais, mon pied resta coincé sous un bloc de glace. Impossible de me dégager malgré de multiples tentatives.

 

Il fallait appeler les secours, faire venir un hélicoptère avec du matériel pour me dégager, et pour cela, il fallait d'abord rejoindre une zone où les communications redevenaient possibles.

-- Retourne à la station et appelle les secours, le numéro est enregistré là-dessus, dis-je à Ingvar.

Je suppose que quelques individus peuvent avoir un air plus idiot qu'Ingvar mais pour ma part je n'en ai jamais vu. Je lui aurais tendu une grenade dégoupillée qu'il n'aurait pas eu l'air plus effrayé.

 

-- Quoi, Ingvar. Ce n'est pas compliqué. Tu appuis deux fois ici et tu fais glisser le message sur la droite. Apparaît une liste que tu fais défiler et alors tu choisis "Secours". Le numéro s'affiche et tu appuis dessus. Simple, Ingvar !

 

-- Ouais. Simple pour toi qui as l'habitude.

 

-- Enfin, Ingvar, tu vois bien que je ne peux pas bouger. Ce n'est pas difficile, lui dis-je dans un soupir qui me venait de la plante des pieds.

 

Ma nonchalance n'était pas à son degré le plus élevé et je sentais l'agacement me gagner. J'étais dans une situation où il est difficile de garder un calme patricien.

 

C'est que Ingvar absorbe tous les verbiages, mais il est impossible de lui expliquer quoi que ce soit à part quelques détails de la vie quotidienne. Impossible de lui sensibiliser l'intellect à des sphères de réflexion un peu plus élevées.

 

-- Comment je fais avec les gants ?

 

-- Mais bougre d'imbécile, je te dis d'aller jusqu'à la station avec le traineau. Nous n'en sommes plus très loin. Et là, tu ôtes tes gants, tu appuis sur ce bouton deux fois. Tu entends Ingvar ?

 

-- Oui, oui, deux fois.

 

-- Ensuite, tu glisses le message sur la droite

 

Je voyais bien que cette phase de la manipulation l'inquiétait. Il arrivait peut-être à conceptualiser un message, mais le glisser, c'était une autre affaire. Comment un message pouvait-il glisser ? Des skis, des patins, un traineau, oui. Mais un message.

Il me regardait avec l'air benêt d'un crétin dont l'encéphalogramme est définitivement plat.

 

-- Enfin, Ingvar, suis-moi bien mon garçon. Tu vas y arriver. Tu ne veux pas me laisser mourir ici ? De froid, ou bouffé par un ours ? Parce que monsieur ne sait pas faire glisser son doigt sur une vitre ? Hein ?

 

-- Et si je dérape ?

 

-- Mais tu ne vas pas déraper, lui dis-je en parlant comme s'il se trouvait à vingt mètres.

 

-- Je te laisserai un fusil lâchât-il pour s'excuser.

 

Je ne devais pas être beau à voir. A la fois rouge de colère et vert de peur. Je devais ressembler à un dictateur sur le point de déclencher une opération d'épuration. C'est qu'en voyant ce benêt d'Ingvar avec son regard de merlan frit, n'importe qui comprenait que sa dose d'intelligence était à peu près semblable à celle d'un flétan crevé.

 

Je ne vous répéterai pas ici les termes que j'ai utilisés pour le secouer. On pourrait me traîner devant les tribunaux et obtenir de substantiels dommages et intérêts. De dictateur, j'étais passé créature de Frankenstein poussant des grognements de même puissance qu'une explosion dans un dépôt de munitions. Je le regardais avec Hiroshima dans un œil et Nagasaki dans l'autre.

 

J'étais tellement en colère et désespéré sur le radeau de sa compréhension, je me suis tant démené que je ne sais par quelle contorsion ni quel miracle mon pied se dégagea de son étau de glace, m'offrant une liberté qui mit fin instantanément à ma fureur.

 

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