La comtesse

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Car cela se passait un soir, alors que la nuit, obstinée (Avez-vous remarqué comme la nuit est obstinée ?), enveloppait Big Ben de son grand manteau noir de chez Tati. Nous avions notre compte de visites et étions fatigués de transports, de vache folle et de panses de brebis farcies. Autant d’excuses pour aller prendre quelques derniers verres au bar de notre très luxueux hôtel Saint James Court.

Evidemment, je ne fréquente jamais ces lieux de perdition. On y aperçoit, hélas, quelques âmes en péril tournoyer dans les plus chimériques et passagers plaisirs au lieu de songer à l’éternité.

Enfin, passons ...

De plus, nous n’avions pas soif. Mais disons à notre décharge que nous entendions profiter au maximum de notre bref séjour britannique pour analyser sous tous ses aspects, - notre moralité dut-elle en souffrir -, la vie qu’offrent les luxueux hôtels londoniens.

Aussi, tout en dévorant des cacahuètes, nous nous moquions le plus possible de ces chimpanzés de britanniques et nous passions au vitriol leurs ridicules us et coutumes.

Sont-ils bêtes, tout de même.

Si l’on considère que d’une manière générale, les gens sont bêtes, alors que dire des britanniques ?

Le plus sot des belges, même s’il est suisse, me fait l’effet de sortir de polytechnique à côté du britannique londonien dont la stupidité peut engendrer la consternation.

Naturellement, les spécimens les plus stéréotypés, les monoculés, les chapeau-melonés, les coinceurs de Times sous le bras auquel pend un parapluie, nous réjouissaient plus que de raison et nous imaginions des scènes, échafaudions des scénarios, extrapolions, bref, nous délirions.

Nous ne faisions de mal à personne, preuve en est que le " Très Haut " qui, d’où il est placé, voit tout, nous fit le don d’une scène de nature à alimenter les veillées des chaumières pendant plusieurs générations.

Alors que nous étions confortablement installés à l’écart, autour d’une table basse encombrée d’amuse-gueules et de verres d’alcools, enfoncés dans de moelleux fauteuils, un couple de vieux britanniques entra dans la salle.

Le spectacle pouvait commencer. Il commença.

La femme apparut la première, précédant l’homme qui s’était courtoisement effacé pour la laisser passer, plié en deux, dans une ostensible révérence.

L’âge et l’expérience m’ont appris qu’il y a peu de sujet sur lesquels un homme peut être affirmatif. Je n’ai donc plus qu’un tout petit nombre de certitudes. Parmi celles-ci, je peux affirmer que cette femme était très vieille malgré les efforts considérables qu’elle déployait pour paraître une comtesse

C’était une détestable vieille, avec son masque violâtrement blafard, ses petits yeux où luisaient toutes les sales luxures, et sa frisottante perruque brune, si manifestement postiche.

Malgré son grand âge, elle était décolletée jusqu'à l’outrage et donnait l’image de toute l’écume du monde, toute la crapulerie distinguée, toute la moisissure de la société et tant d’autres vices que ma plume se cabre à énumérer.

L’homme la suivait comme une ombre et traversa la pièce dans le gémissement de ses souliers vernis. Le front plissé comme une jupe écossaise, il était vêtu du traditionnel blazer des gentlemen farmer, arborant un écusson de marine qui lui donnait une allure de capitaine d’eau douce.

Après avoir aidé sa compagne à se hisser sur l’un des hauts tabourets alignés devant le bar et que l’on nomme communément " tabourets de bar ", il s’assit lui-même et se tut, ce qui lui fut d’autant plus facile qu’il n’avait pas encore ouvert la bouche.

On ne pouvait pas en dire autant de la comtesse qui jacassait en permanence d’une voix crapuliforme qu’elle essayait de faire gazouillante. Une voix à vous dégoûter de vos oreilles.

Le garçon (du bar) leur apporta deux whiskys qu’ils burent d’un trait comme s’ils avaient des pompes aspirantes à la place du gosier. Leur verre à peine reposé sur le comptoir, ils firent un signe qui provoqua le remplacement immédiat des verres vides par des verres pleins.

Prenant de faux airs de philosophe en proie à la réflexion, la comtesse posait mille questions à son gentleman farmer qui, même placées à dix pour cent, seraient restées sans intérêt. Elle se penchait sur lui, au point de tomber et de l’asphyxier de ses relents alcooliques.

Sans doute mu par un réflexe de politesse, l’homme soulevait de temps en temps ses paupières, libérant un regard semblable à de la purée de marrons. Il répondait par de brefs grognements mi consentants mi réprobateurs.

La comtesse les interprétait à sa guise et d’une voix de rogomme posait de nouvelles questions en faisant trembler ses vieilles joues molles et couperosées.

A notre table, les commentaires allaient bon train, entrecoupés de rires étouffés. Nous supputions sur la mécanique de la comtesse. Une certitude cependant : elle carburait au whisky et sans doute aurait-elle eu moins de pièces à changer si elle avait de temps à autre - sans exagérer évidemment - passé une soirée sans boire.

 

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