Barnabé

3 minutes de lecture

Peut-être avez-vous déjà entendu parler de Barnabé.

 

Il descend d’une très ancienne famille savoyarde dont les ancêtres sont parfois rejetés par les glaciers alpins, après quelques siècles de digestion.

 

Barnabé est un enfant de la Maurienne, et les taquineries de l’administration l’ont obligé à s’exiler jusqu’en Tarentaise, ce qui est proprement insupportable pour un mauriannais.

 

Ce coup du sort le condamne chaque fin de week-end à quitter son nid douillet et moyenâgeux du fond de la Maurienne, pour rejoindre ses collègues de bureau, en Tarentaise où le progrès et le modernisme font rage.

 

Il n’a cure de cette situation que, de toute façon, il considère comme provisoire, et n’entend pas quitter son accoutrement d’homme des cavernes pour endosser les tee-shirts du XXIème siècle.

 

Or donc, dès son arrivée au bureau le lundi matin, il ôte ses chaussures de marche pour enfiler d’authentiques charentaises qui lui ont sans doute été léguées par son arrière-grand-père. Il troque sa peau de bête contre un gilet façon “ Oncle Albert ”.

 

Il n’y a qu’une chose dont il ne se départit jamais : son imposante barbe de prophète qui rappelle celle de Charlemagne ou de Karl Marx.

 

Puis, il rejoint son capharnaüm. Car, il n’est pas possible de parler de bureau pour Barnabé. Les rares personnes qui l’on déjà vu rangé ne doivent ce privilège qu’à des occasions exceptionnelles telles que l’inauguration des locaux ou les visites d’huiles supérieures.

 

Hormis ces brefs événements, Barnabé évolue au milieu d’un fatras de papiers où s’entremêlent étroitement, en couches superposées, listings, chèques bancaires, correspondances, bandes machines, stylos à bille, corbeilles de courrier, trombones, crayons de papier, effaceurs, agrafeuses, etc.

 

Bref, toute personne normalement constituée, même non médium, a les poils qui se dressent sur toutes les parties du corps où elle a des poils, en passant à proximité de l’antre de Barnabé.

 

Il n’est pas rare qu’il entrepose des chèques bancaires de plusieurs millions dans une corbeille à papiers renversée sur les couches d’objets divers précitées.

 

Alors votre stupeur se met soudain à ignorer toutes bornes, et vous sentez votre cœur bondir dans votre poitrine avec une violence susceptible de lui en démolir les parois. Votre échelle des valeurs se met subitement à perdre tous ses barreaux, et vous vous rapprochez de l’infarctus à la vitesse de la lumière.

 

Mais mon propos n’est pas là, ne souhaitant vous parler que de la voix de Barnabé.

 

Car si Barnabé a les cheveux collés au crâne, des oreilles d’une superficie fort au-dessus de la moyenne, qui peuvent avantageusement lui servir d’aérofreins, et une grande barbe frisée qui lui sert de serviette et de garde-manger, Barnabé a un joli brin de voix de ténor. Cela lui vaut de faire partie de la chorale du village où les ténors sont particulièrement prisés compte tenu de leur rareté.

 

L’autre jour, il m’a offert une invitation pour une soirée de chants à l’église. J’en fus d’autant plus touché que les entrées étaient libres et gratuites pour tout le monde.

 

Nous passâmes une excellente soirée à écouter cette chorale dont les éléments mâles étaient d’une élégance irréprochable : pantalon noir, chemise bleu clair et nœud papillon.

 

Les chants, puisés dans le répertoire mondial de ces 500 dernières années, furent interprétés magistralement et reçurent les applaudissements qu’ils méritaient.

 

Une seule chose nous préoccupait dans ce torrent de félicité. Une question nous tarabustait. Une question sans réponse comme le sont toutes les questions qui tarabustent. Quoi de plus insupportable qu’une question qui tarabuste ? (D’ailleurs, cette question aussi me tarabuste).

 

Barnabé avait-il, lui aussi, un nœud papillon dissimulé derrière sa barbe fleurie ?

 

La question courait dans les rangs. Personne n’était fixé sur ce point, et une indescriptible angoisse mâtinée de fou rire nous oppressait.

 

La réponse ne fut connue que le surlendemain.

 

Barnabé ne portait pas de nœud papillon.

 

Quel négligé, tout de même !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Oncle Dan ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0