Le chef d'orchestre et la petite clarinettiste

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Au pupitre, le chef d’orchestre avait la tête dans les mains. J’ai souvent observé qu’à un moment ou un autre, les individus, et tout particulièrement les chefs d’orchestre, étaient amenés à enfouir leur tête dans leurs mains.

 

Ensuite, il serra les poings, les mit sur sa poitrine et leva un regard muet vers le ciel. Le silence était palpable. Un silence de mort où l’on n’entendait plus que le seul battement de son propre cœur.

 

Alors, il fit le « V » de la victoire avec ses bras et balaya de son regard persan – il était Perse - les cent dix musiciens de son orchestre symphonique. Cela faisait deux cent dix-sept yeux tendus d’anxiété dans l’attente du signal de départ.

 

Les trois absents appartenaient à Paul, le borgne, ainsi qu’à Virginie, la petite clarinette en mi bémol qui venait de respirer malencontreusement un insecte égaré et qui, depuis, s’étouffait paisiblement, en silence, en prenant toutes les nuances de l’écarlate. Comme la situation en cet instant était beaucoup trop tendue pour qu’on pût prêter attention aux clarinettistes en train de s’étouffer, elle était abandonnée à ses propres ressources pour survivre.

 

Lorsque le signal fut enfin donné, les spectateurs firent un bond dans leurs fauteuils sous l’effet de l’explosion qui s’ensuivit. Les cuivres et les percussions attaquèrent la symphonie en faisant penser à la livraison de plusieurs tonnes de charbon à travers le toit d’une serre.

 

Puis, les vents se déchaînèrent à leur tour. Le souffle des trompettes dressa la crinière blanche du chef d’orchestre dont tous les poils se hérissèrent.

 

Il gesticulait comme un possédé, pointait du doigt les contrebasses, puis lançait les premiers violons suivis des seconds et des altos. Ses yeux exorbités, qui donnaient l’impression d’être sur le point de quitter leur base, faisaient trembler le hautbois d’amour et les petites flûtes qui s’égosillaient devant les bassons.

 

Une tempête de notes déchirait l’espace, faisant osciller les lustres monumentaux de la salle de concerts. Elle inondait les spectateurs serrés les uns contre les autres. Une lame de fond décoiffa les premiers rangs à l’exception d’un ancien combattant béat qui tenait à la main un pavillon acoustique.

 

Lorsque vint la partie solo de la petite clarinette, le Maître dont le regard, tempéré par des paupières en forme de fer à cheval, provoquait généralement un trouble de la moelle épinière chez les violoncelles et les flûtes traversières, foudroya la petite clarinettiste qui expulsa in extremis le mortel moucheron.

 

Ainsi furent sauvées à la fois Virginie et la symphonie.

 

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