L'idiot du village

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Atteint de Scribaymanie, mon état avait subitement empiré.

 

Je savais (de source sûre) que la maladie était grave, très très grave, et le remède difficile à administrer : Je devais « me baigner à minuit, la nuit de la Saint Jean, dans le lac de Bethmale où veille la sorcière, dont la robe verte et bleue donne ses couleurs à l'onde... »

 

Toutefois, les photos de personnes atteintes de Scribaymanie découvertes par hasard dans une vieille encyclopédie médicale m’avaient persuadé de me rendre sans plus tarder au lac de Bethmale.

 

J’aurais du tout laisser tomber lorsque la nuit tomba et que ma vieille voiture tomba en panne à proximité d’un cimetière abandonné.

 

C’était certainement l’un des cimetières les plus désolés que Dieu ait jamais créés pour la punition des hommes.

 

.......

 

Excusez moi d’avoir interrompu un instant ce récit, mais la mélancolie de ce paysage me prend encore à la gorge quand j’y pense.

 

Une auberge se trouvait à proximité  et malgré ses allures de château en ruine, je fus particulièrement satisfait d’apercevoir la faible lueur de ses fenêtres perçant la brume rampante.

 

Le bruit de l’antique sonnette que j’actionnai en arrivant déchira l’air du vestibule qui semblait plongé dans le silence depuis des siècles.

 

Le maître des lieux, un homme au teint livide, vivante incarnation de l’ennui, me fit comprendre d’emblée qu’il était inutile de nourrir le moindre espoir de trouver un garagiste avant le lendemain, et cela dans le meilleur des cas.

 

La collection complète des clés qui pendaient au tableau de la réception ne me laissait aucun doute sur mon parfait isolement et je ne m’étais jamais autant senti vulnérable loin de mes bases dans cet environnement hostile.

 

Le mobilier et la décoration étaient monacaux. On aurait dit qu’un immense linceul d’affliction enveloppait tous les êtres et toutes les choses.

 

J’aperçus la patronne (je devrais dire la matrone) par l’entrebâillement d’une porte donnant sur les appartements privés du gérant. Vautrée sur un divan, cette bourgeoise dodue au regard de hyène tourmentée lança dans ma direction une œillade interrogative où frétillait la flamme vacillante d’une libido crépusculaire.

 

L’épine dorsale traversée par une onde de terreur, je me hâtai de décliner mon identité et de m’enquérir du chemin le plus court pour accéder aux chambres.

 

C’est alors qu’apparut, surgi de nulle part, un gnome boutonneux et emprunté, affligé d’une laideur embarrassante et duquel émanait la sensualité brûlante d’un clerc de notaire diabétique en préretraite. Il tenait à la main un chandelier allumé qui faisait danser sur son visage de diaboliques ombres peu rassurantes.

 

Constatant ma perplexité, la patronne qui s’était extirpée de son divan m’expliqua qu’une partie de l’hôtel était victime d’une panne d’électricité depuis le matin.

 

Son apparition dissipa mes dernières hésitations et je suivis le clerc dans un couloir obscur jalonné de trophées de chasse. Je passai une nuit agitée par les pires cauchemars.

 

Le lendemain, dans une salle aux dimensions de cathédrale, le gnome me servit son visage aride (et à rides) en même temps qu’un café noir épais, quasi solide, apte à ressusciter toute personne morte depuis moins de deux heures.

 

A la réflexion, je me demandais si mon clerc de notaire n’était pas une oeuvre ratée du Docteur Frankenstein, un essai jeté à la poubelle, qui aurait soulevé le couvercle. Sa coiffure mal plantée et la protubérance de ses arcades sourcilières me confortaient dans cette hypothèse. La créature se déplaçait, penchée en avant et les deux bras ballants. Cette imitation "d'homo erectus" se rendait aux cuisines en donnant de grands coups de pieds dans les portes. Dressée à apporter des bols, elle s'acquittait de sa tâche en procédant par étapes, quatre bols à la fois.

 

Le garagiste que l’on avait sorti de sa douche sous la menace de mon impatience, refusa obstinément de réparer ma voiture lorsque je m’enquis du chemin le plus carrossable pour me rendre au lac de Bethmale, ajoutant qu’il ne voyait que l’idiot du village pour m’accompagner dans un tel endroit.

 

Ayant exprimé le souhait de le rencontrer immédiatement, il me dit que je venais de le quitter puisqu’il s’agissait du serveur de l’auberge.

 

Je suppliai l’humanoïde de me conduire au lac de Bethmale, ce qu’il fit moyennant une forte somme dont le montant me fit douter un instant de son idiotie, mais la guérison était à ce prix.

 

Arrivé sur place, il m’expliqua qu’il n’existait pas de sorcière à la robe verte et bleue, que la Scribaymanie était incurable et que l’idiot du village n’était pas toujours celui qu’on pense.

 

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